Adieu Ginette

J’ai quitté mon domicile vers seize heures trente. Je devais passer à pôle emploi, mais je me suis arrêté au bar sur le chemin. J’ai bu quelques verres. J’ai joué au Rapido aussi. A dix-neuf heures j’ai trouvé la porte du pôle emploi close. Alors je suis retourné au bar. Oui oui. Je suis un habitué. Ils me connaissent tous là-bas.

Ils confirmeront.

Quand est-ce que j’ai quitté le bar ? Je ne sais plus trop. C’est un peu flou. Après ? Après je suis rentré tout droit. Enfin, directement à l’appartement je veux dire. J’ai regardé une émission à la télé. Les douze coups de midi que ça s’appelle. Non, je sais, il n’était plus midi… Mais je l’avais enregistré. C’est qu’à midi je regarde Tout le monde veut prendre sa place et après je me fais une petite sieste. Donc je regarde le soir Les douze coups de midi. En rattrapage. Voyez, il y a une explication. Faut pas vous fâcher hein. Mais je sais quand même à quelle heure je me suis couché ce soir là. 23h30. Je suis formel. J’ai une sonnerie sur mon téléphone. Celle du réveil. Je le mets à 23h30. Ça veut dire qu’il faut que j’aille me coucher. Vu que je ne le fais pas sonner le matin, je me suis dis que je devais au moins mettre un réveil le soir. Pour garder une hygiène de vie. Tout ça quoi. Après ?

Ben après j’ai dormi.

Le lendemain matin ? Ouais, vers 11h00. Comme d’habitude aussi. Je suis un homme d’habitude en fait. J’avais pas réalisé avant. Oui. Je sais que ça ne me donne pas d’alibi. Mais je vous jure que c’est pas moi. Oui, je sais qu’elle est morte dans l’appartement entre 21h30 et minuit. Vous me l’avez dit. Mais à minuit, moi, je dormais. Et avant… J’en sais rien. J’étais devant la télé que je vous disais, alors j’ai pas tout vu. Oui, je sais que c’est un studio. Mais quand je suis absorbé par un truc je vois rien d’autre vous savez. Je me ferme. J’entends plus que ce qui m’intéresse, je ne vois que ce que je veux voir. Vous savez ça comme moi. Que au bout d’un moment dans un couple, on n’entend que ce qu’on veut entendre… C’est ce que tout mec sensé apprend rapidement à faire en fait.

Et je suis plutôt doué de ce point de vue là.

Pourquoi je n’ai appelé la police ? Ben j’ai pas du voir non plus le corps. Je me suis pas inquiété de ne pas la voir vous savez. Ça fait des mois qu’on dort chacun de notre côté du lit, sans se toucher ou se parler. Et puis Ginette avait fait installer deux matelas d’une place dans le lit, parce que je bouge beaucoup la nuit qu’elle disait. Donc je me suis pas inquiété de rien sentir bouger. Sentir tout court ? J’ai le nez bouché depuis plus d’une semaine. Je sens rien du tout. Non, je me fous pas de votre gueule. Demandez à mon médecin, il confirmera. Il m’a même proposé de me donner des jours d’ITT. Mais bon, vu que j’ai pas de boulot, j’ai pas vu l’intérêt hein.

Appelez-le je vous dis.

En tout cas, dès que j’ai vu le corps, j’ai téléphoné direct. A ma mère ? Ben ouais, au début j’ai un peu paniqué quand même. Alors j’ai appelé ma mère. C’est naturel non ? Les soldats blessés, c’est pas leur mère qu’ils appellent tous ? Comment ça ? Les griffures que j’ai sur le visage ? C’est le chat. Le chat de la voisine. Demandez-lui. Enfin, pas à la voisine, elle était pas là. Mais au chat. Il confirmera.

Je suis con.

Ça parle pas les chats. Mais vous pouvez peut-être étudier le chat remarquez. Il doit avoir des traces de ma peau sous ses ongles, de l’ADN qu’est à moi. Vous pouvez faire ça hein ? A la télé, en tout cas, ils le font. Enfin, après j’ai téléphoné aux pompiers hein. Peut-être pas tout de suite, tout de suite, mais j’étais sous le choc vous comprenez.

Des regrets ?

Ben je sais pas. Je devrais en avoir ? Je veux dire, étant donné que je vous dis que je l’ai pas tuée…

Ah…

Des regrets parce qu’elle est morte.

Ouais, bien sûr que j’en ai. J’ai des tas de regrets. Je veux dire, il y a des trucs que j’aurais aimé lui dire avant qu’elle meure quoi. J’ai le regret de pas avoir pu lui dire ces trucs-là. Quels trucs ? C’est un peu personnel. Puis c’est pas des trucs précis. Laissez moi réfléchir… Ah si.

Que je l’aimais.

Et puis qu’elle était une compagne vraiment sympa aussi. Ah oui. Qu’elle était la seule à me comprendre vraiment. C’est vraiment un truc vachement important. Donc voilà. J’aurais bien aimé lui dire ça. Non, non. C’est pas parce qu’on se parlait plus qu’elle ne me comprenait pas.

A la limite, je dirais même au contraire.

Non, non. J’ai pas besoin d’avocat. Je suis innocent. Les avocats, c’est fait pour les gens qu’on des choses à se reprocher. Moi, je m’en fous, j’ai la conscience tranquille. Enfin, si ce n’est les regrets bien sûr. Les regrets de pas voir dit les trucs que j’aurais aimé dire hein. Ces regrets là. Me faites pas dire ce que je veux pas dire.

Ouais, ouais.

Je sais que ça a l’air dingue. Je sais que vous pensez que c’est moi. Mais je vous jure sur la tête de qui vous voulez que c’est pas moi. Que je suis innocent. Non, non. Je peux pas vous expliquer comment c’est possible. J’en sais autant que vous. Je sais pas comment le mec a fait pour tuer Ginette à deux mètres de moi et que je ne m’en rende compte que le lendemain matin. C’est un truc de fou. C’est une histoire à la chambre jaune si vous voulez mon avis. Si je curieux de savoir ? Carrément. Faut retrouver le gars qu’a fait ça à ma femme hein. Je peux compter sur vous ? Ouais ?

Bon, ben je suis content.

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