Le Pen contre le Front national

Titillant ma curiosité, suite à un commentaire de Sweeney Todd, je me suis laissé tenter par par la lecture de Le Pen contre le Front national. Publié en 2005, le livre suivit l’éviction de Jacques Bompard du Front National, qu’il avait co-fondé en 1972. Livre témoignage sur la trentaine d’année de compagnonnage qu’il a passé au sein du FN, justification en direction des camarades, mais aussi analyse politique, cet ouvrage constitue une histoire intéressante du parti. Je n’ai pas l’habitude des lectures militantes, mais je dois dire que les anecdotes contées sont tellement amusantes, en même temps que désolantes, que j’ai lu d’un trait ces 90 pages ; sautant de-ci delà les passages relatifs à la défense personnelle de Bompard.

Le cas Bompard est profondément original au Front National, puisque ce fut l’un des seuls à remporter un mandat électif au suffrage majoritaire ; et mieux encore l’un des quelques rares à être régulièrement réélus. Outre Orange où il fut élu 3 fois maire, sa femme prit la ville de Bollène en 2008. Loin de gagner une reconnaissance dans le parti, cet enracinement lui a plutôt été reproché. Il y a un passage savoureux où les cadres du FN gloussent du contenu de son journal municipal. Les articles sur la voirie, le système d’épuration des eaux, les écoles, l’éclairage public, etc… s’éloignent trop de la haute politique pour ne pas être méprisés. On lui reproche de se comporter en élu local. Vu que le parti se veut diriger la France sans avoir ni une mairie ni un député, forcément ça choque.

Toute la politique du parti étant dirigée par la figure de Le Pen, on en arrive donc rapidement à un réquisitoire contre le Líder Máximo. Le FN c’est la PME Le Pen, dont il est le chef incontesté, au point d’inscrire un peu partout que le « FN est le parti de Jean-Marie Le Pen ». Toute remarque ou critique contre la stratégie du parti devient de fait un crime de lèse majesté, qui conduit naturellement aux charrettes de félons qui sont régulièrement purgées. Toute autorité incontestée s’accompagne naturellement d’un culte de la personnalité, dont la stigmate la plus visible est la stratégie uniquement basée sur les présidentielles. Le FN est le Zébulon qu’on voit surgir du paysage politique tous les 5 ans. Les rapports au sein du parti sont régis par les rapports personnels que ses membres entretiennent avec le chef, sans autre jugement, et bien que cela conduise régulièrement à des désastres. Loin de se renforcer, le FN s’est en fait beaucoup affaibli sur le terrain depuis le début des années 90, suite à la destruction de son réseau militant. Les chiffres cités sont accablants, et sont confirmés par les témoignages que j’ai recueillis à l’occasion.

Pour les lecteurs qui ne connaissent pas bien le FN vu de l’intérieur, ce livre est éclairant sur les mécanismes qui régissent le parti, sur ses dynamiques, ainsi que sur les stratégies adoptées par celui-ci, qui se veulent en fait la mise à disposition du parti au service du chef. La continuelle chasse aux sorcières contre « les félons » rend bien compte de la paranoïa qui règne au sein du parti. Le jeu de cour semble encore beaucoup plus accentué que dans les autres partis, sans même évoquer son fonctionnement qui ferait passer celui du PS pour démocratique. La volonté d’éliminer toute personne réussissant, par peur des rivalités, des velléités d’indépendance, et de la remise en cause du chef, conduit à cette absence de fiefs électoraux. Après Lutte Ouvrière le FN doit être le parti le plus centralisé et le plus jacobin de France.

Même si Bompard a des qualités qui pourraient donner envie de l’avoir pour maire, cela ne fait pas de lui une alternative très souhaitable au plan national. A la lecture de ce livre on sent bien les limites du personnage. Comme l’entend vlad tepes : « on sent au final les mêmes relents dans son discours que ceux de JMLP et de l’extrême-droite de manière générale. Cette opposition ridicule quand on gratte un peu au « mondialisme », aux « puissances de l’argent », etc… qui démontre bien que la tournure prise par la scène politique française, l’opposition nationale, et le pays de manière général, ne se limite pas aux problèmes d’égos des Le Pen mais trouve sa source dans des racines beaucoup plus profondes. »

Je ne résiste pas à l’envie de reproduire cette anecdote hallucinante, qui montre que le FN entend juste faire semblant, et que la plupart de ses cadres aimeraient se revêtir des symboles et parures barbares pour mimer le jeu du pouvoir.

ALORS que dans ces années qui précèdent la scission mégrétiste certains s’occupent de leur commune et d’y faire progresser nos idées grâce à une gestion crédible, les instances dirigeantes du Front national s’amusent à faire semblant. Les enfants jouent à la dînette ou à papa-maman. Au Front national, on jouera à « si j’étais président et si tu étais ministre ». Ce sera la mise en place du pré gouvernement du Front national,
appelé également sans rire : shadow-cabinet. Sans doute car, dit en anglais par des patriotes français, l’affaire gagne en sérieux. La presse du système a voulu, à l’époque, y voir la constitution d’un contre-pouvoir à la prise en main du Front national par Bruno Mégret. Peut-être… Mais qu’importe ! Huit ans plus tard, l’important est ailleurs, c’est-à-dire dans le fait que le mouvement a consacré des sommes considérables pour un jeu de rôles où tout était faux, presque tout inutile, et dont il ne reste rien. Un jeu de rôles où j’ai tenu ma place de figurant et que, curieusement, les militants et adhérents du Front national connaissent très peu. Il est vrai qu’annoncé en fanfare dans Français d’Abord et National Hebdo, le pré gouvernement du Front national a glissé par la suite en bas de page intérieure avant de disparaître à peu près complètement. La faute à la crise mégrétiste ? Pas vraiment ou pas seulement. Le jouet avait cessé d’être neuf…

Pourtant, en soi, l’idée de mise en place de commissions travaillant sur les grands dossiers du gouvernement, à la fois capables de rédiger des notes argumentaires et des propositions alternatives n’était pas sotte et même nécessaire. Mais le contre gouvernement Front national n’était pas cela. Il s’agissait moins de travailler sérieusement et régulièrement que de jouer. La preuve en est d’ailleurs que chaque « ministre » s’était vu recommander de nommer un « chef de cabinet », comprendre quelqu’un qui travaillerait à sa place… Cela commençait bien !

Pour la première manifestation publique du pré gouvernement de Jean-Marie Le Pen, on choisit bien évidemment un lieu digne des fastes de la République. Tant qu’à jouer, autant que ce soit confortablement, n’est-ce pas… Le « gouvernement » Front national se réunit donc toute une matinée dans une salle de l’hôtel Crillon, place de la Concorde. J’ignore combien nous coûta la salle, mais n’importe qui peut vérifier qu’une chambre, dans ce prestigieux établissement estampillé Relais et Châteaux, vaut environ 700 euros (4 500 francs) par nuit, qu’une suite peut monter à 6.800 euros (45.000 francs) et que le petit-déjeuner n’étant pas compris, il dépasse les 30 euros (200 francs). Bref, un hôtel très représentatif de la droite sociale et populaire que le Front national incarne dans ses documents de présentation.
La salle où prirent place messieurs les pré-ministres était donc magnifique, grande table de bois, nappe épaisse, lambris au mur, dorures au plafond. Une vraie pièce de gouvernement, un vrai décor pour y jouer une pièce. Pour que l’illusion soit parfaite, un permanent du Front national, incarnant le rôle d’un huissier élyséen, annonça d’une voix grave et compassée l’arrivée de Jean-Marie Le Pen : « Monsieur le Président ! ».
Puis l’on passa à l’ordre du jour. L’étude des affaires de la France prit deux bonnes heures, passées lesquelles on en vint aux choses sérieuses, un cocktail et une conférence de presse. La comédie du Crillon se renouvela à plusieurs reprises. Pour varier les plaisirs, le gouvernement Front national partit tout un week-end en Alsace, pour un séminaire de réflexion, dans un hôtel de luxe à 1.000 francs la chambre. Ce fut, à ma connaissance la dernière séance de travail collectif de messieurs les ministres. Invité à m’y rendre au titre de Secrétaire d’Etat, je dois avouer que je n’en sortis pas épuisé, mais pas davantage rassuré sur cette étrange conception du combat politique.

A ma connaissance, le bilan de ce contre gouvernement est mince : un livre que personne n’a lu et qui parfois donne également l’impression de ne pas avoir été écrit, une demi-douzaine de « Lettre du contre gouvernement » à la distribution groupusculaire, la répartition de luxueux cartables en cuir noir marqués « pré-gouvernement Front national» entre messieurs les « ministres ». Et puis c’est tout !

J’ai entendu dire début 2005 que les plus hautes instances du Front national envisageaient une « réactivation du pré gouvernement » en vue de la Présidentielle 2007. Je trouve dommage de s’arrêter en aussi bon chemin. Pourquoi pas un Pré-Parlement pour jouer au député ? Sans oublier des Pré-Préfectures pour les secrétaires départementaux, des Pré-ambassades pour nos militants vivant à l’étranger qui pourraient s’y rendre pour se faire apposer des visas Front national sur les passeports délivrés par la République de Saint-Cloud. Tant qu’à vivre dans le virtuel, autant que ce soit drôle !

Le Pen contre le Front national, chapitre 3, page 15

6 réflexions sur « Le Pen contre le Front national »

  1. Sweeney Todd

    C’est le passage que vous citez qui a provoqué chez moi également un fou rire, même s’il n’est pas le plus intéressant du livre.

    D’ailleurs s’il vous faut une preuve en images :

    http://www.ina.fr/politique/gouvernements/video/CAB97125494/fn-a-orange.fr.html

    Pourtant j’apporterai une nuance à votre billet.

    Il faut admettre un constat de fait qui est que l’extrême droite française est un courant constamment miné par les haines et rancunes personnelles. C’est le cas de tous les partis me diriez-vous, mais cela atteint une certaine proportion dans cette frange politique. La raison? Je ne la connais pas. Mais il ne faut pas oublier que le FN rassemble (rassemblait?) des horizons très divers, parfois même contradictoires et JMLP était le seul dénominateur commun. L’affirmation « Le FN est le parti de Jean-Marie Le Pen » est vraie, mais je suis d’avis qu’il fut un temps où il n’y avait pas d’autres solutions tout simplement. C’est grâce à lui et à son tempérament que le FN a dépassé le simple stade groupusculaire. Evidemment il y a les scories et Bompard les résume très bien. Le FN aurait dû depuis passé à autre chose.

    Sur Bompard lui-même, il est je pense conscient de ces limites. A sa décharge, il n’a jamais manifesté de grand « dessein ». J’ai fait partagé le texte parce que ses actions et son bilan vont dans le sens de ce qu’il prône. Nous sommes en 2012 et il est le seul maire d’une ville (petite mais notable) à être ouvertement d’extrême droite. Si le texte est militant, il ne s’agit pas que de mots, mais également d’une politique transcrite dans les faits et qui peut donc être jugé sur pièce. Mais hors questions locales, et parce qu’il a plus de chance d’y être directement confronté c’est tout de même la thématique de l’identité qui l’emporte. Il explique à la fin de son texte d’ailleurs. Il y avait Peyrat à Nice qui était également un exemple intéressant. Philippe de Villiers à sa manière (la Vendée, département resté à droite alors que le reste vire soc-dém).

    L’intérêt de tout ceci. Disons que ce type de baronnies peut aider à la communautarisation du pays. Après chacun en pense ce qu’il veut. Mais cela vaut la peine d’étudier ces quelques exemples.

  2. NOURATIN

    C’est absolument consternant. Quand on voit ce qui, en France, nous tient lieu
    de droite, il ne faut pas s’étonner que la Gauche revienne périodiquement nous
    ruiner un peu plus.
    Désormais, nous avons Marine, dans le genre elle risque de se révéler encore pire que son père. Sans compter que rien n’est perdu, la troisième génération
    arrive, la dynastie a encore de belles décennies devant elle…et les socialistes de belles raisons d’espérer!

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