– Tu n’as pas envie de moi ?
Foutre.
Je crois que Ginette me pose cette question sincèrement.
Pourtant elle devrait bien sentir que manifestement, non, je n’ai pas envie d’elle.
Ce n’est pas de la télépathie.
Sa main qu’elle agite nerveusement depuis deux bonnes minutes n’a toujours obtenu aucun résultat.
Sa question est donc un putain de piège. Il faut que j’y aille avec tact pour m’en sortir.
Autrement dit, mentir assez bien pour la rassurer.
Autrement dit, lui dire que JE suis le problème.
– Si, je suis juste très fatigué là.
Oui, d’accord, d’accord, niveau inspiration on a vu mieux.
– Ah, d’accord…
Mais avec un peu de chance, elle va arrêter de me casser les couilles là, maintenant. C’est le moment de vérité. Soit ça passe, soit je risque d’en avoir pour une demi-heure de prise de tête.
Et je vais peut-être devoir lui avouer que, passé la joie d’avoir baisé plusieurs fois avec elle, le fait qu’elle soit quand même vraiment moche m’est revenu aux yeux. Alors pour la besogner avec des yeux de merlans frits, c’est pas gagné. Même avec les yeux fermés j’y arrive plus d’ailleurs. J’ai trop d’imagination.
Alors, certes, je suis moche aussi.
Mais c’est pas une raison..
– … Ça va entre nous ?
Eh merde…
– Oui, bien sûr.
– Tu ne crois pas qu’on devrait parler, faire le point ?
Non, je suis sûr qu’il faut qu’on ne parle pas et surtout, surtout, qu’on ne fasse pas le point. Ne serais-ce que parce que je n’ai toujours pas de plan de secours à mettre en oeuvre si elle me quitte. Même si, grâce à ma relation avec Ginette, je suis moins lourd quand je drague les autres filles.
Comment ?
Allez, je vous explique ma technique.
Désormais je leur fais comprendre, dans le grand rire sonore du mâle dominant, que j’ai déjà quelqu’un.
Et que question baise, j’ai donc déjà ce qu’il faut à la maison.
Et que si je leur parle, c’est vraiment de manière anodine.
Et que si je louche sur leur décolleté c’est vraiment sans arrières-pensées.
Et que si je leur mets une main aux fesses c’est par franche camaraderie.
Bref, je me montre entreprenant tout en essayant d’exciter leur jalousie et leur esprit de compétition. Mais pour le moment sans résultats. Je ne comprends décidément rien à la psychologie féminine…
– Ecoute, j’ai vraiment mal au ventre là, je ne me sens pas très bien, tu ne veux pas qu’on parle quand je me sentirais mieux mon amour ?
– Oh, d’accord, excuse-moi. Bonne nuit mon amour. Je t’aime.
– Moi aussi je t’aime.
Bon, maintenant que je me suis remise du mojito, et peut-être grâce à lui,j’ai compris pourquoi Ginette et JMM ça sent le roussi, leur « couple »!
Dans le film de libertarés que j’ai vu hier (Lady Vegas), à un moment donné, Bruce Willis marié à Zeta Jones (fort belle femme au demeurant)est attiré par une irrésistible jeunette (Rebecca Hall, peut-être certains connaissent?) qui enroule ses boucles rousses autour de son index de façon à vider le cerveau de n’importe quel mâle.(elle sait faire d’autres trucs aussi)
Bref, Tulip (=Zeta-Jones) tourne furieuse et blessée ses beaux yeux noirs et noyés vers Dinc (=Bruce) et lui dit : « we had a deal »! Nous avions un contrat! »Tu devais prendre soin de moi et moi de toi! C’était le deal! Et je n’en reviens pas d’être obligée de te le rappeler! »
Et comme Dinc est un homme de parole (tout est là d’une certaine manière), il reconnaît son plan foireux.
Voilà tout est dit! Pas de deal entre Ginette et l’autre! Rien du tout!Résultat Ginette voudrait plus mais pas trop, JMM voudrait moins mais pas trop mais surtout, le problème : pas de contrat entre eux et rien ne va plus comme on dit.
Le libéralisme, même en amour, il n’y a que ça de vrai!C’est pas la psychologie féminine que JMM ne pige pas, c’est le libéralisme!
« Bon, maintenant que je me suis remise du mojito »
Tu es une alcoolique, ma fille…
Ginette n’en veut pas vraiment plus. C’est plus subtile. Ginette aimerait posséder le pouvoir sexuel que vous prêtez à la rousse du film, elle aimerait aussi rendre fous les hommes en s’entortillant une mèche autour du doigt. Mais elle est moche, donc ça n’arrivera jamais. Ginette est donc frustrée, tentée par la dépression, et certainement malheureuse. Par conséquence elle se venge sur JMM de ne pas être fou de désir pour elle. Ils sont à peine ensemble depuis quelques semaines qu’elle est déjà très chiante, et les choses empireront. Elle n’aime pas JMM, elle aime le pouvoir qu’elle espère avoir sur lui ; c’est narcissique.
De son côté JMM ne sait pas vraiment ce qu’il veut. Il dit vouloir un PQR (plan cul régulier) pour avoir les moyens de vivre le grand amour avec une autre fille… qui serait belle. Seulement il ne traite pas Ginette comme un PQR mais comme une petite copine dont il a honte. Au final il n’a déjà plus envie de la sauter, il se fait emmerder, et la garde pour ne pas être seul. Ce qui est pathétique.
Si cette situation perdure JMM et Ginette formeront un couple standard. Elle frustrée et chiante, lui frustré et absent, restant ensemble parce qu’ils n’ont pas trouvés mieux.
En fait le couple standard confond amour et pouvoir? Ou amour = gloire et beauté?
L’amour est un marché comme un autre. Il est aussi mu par un mécanisme d’offre et de demande.
Vous avez le marché gay où l’on affiche directement le prix, ce qui donne un : « j’achète », « j’achète pas ». C’est rapide, net et efficace. Comme un hypermarché.
Et puis vous avez le marché hétéro qui ressemble à un souk arabe. L’acheteur fait semblant de ne pas vouloir acheter, le vendeur fait semblant de ne pas vouloir vendre, on se dispute longtemps sur le prix, on atermoie beaucoup, et au final chacun est mécontent.
Oui je comprends bien « l’amour est un marché comme un autre », je suis d’accord avec cela, vos commentaires sont très éclairants VV.
Ce qui me gêne, c’est ce que l’on offre au supermarché comme au souk : l’amour = puissance, beauté physique etc… C’est là où je coince un peu. Non pas qu’il n’y ait pas une part de vérité là-dedans, c’est évident, mais les critères physiques de la beauté, par exemple, ou de la puissance virile, ont changé d’une époque à une autre (exemple, les femmes aux hanches larges étaient certainement bien considérées anciennement et sont vues comme des femmes « moches » par nos contemporains)et aujourd’hui les pauvres hommes et les pauvres femmes sont astreints à des critères extrêmement difficiles à atteindre (maigreur pour les femmes, douceur pour les hommes)et qui iront même à l’opposé des finalités d’un amour objectif (la reproduction, la vie, sa protection etc). Oui c’est cela, les critères se sont inversés complètement.
Ceci se retrouve aussi dans la façon d’appréhender la condition féminine (une femme « épanouie » se doit de travailler, éventuellement de fumer, de boire etc ce qui n’est tout de même pas génial lorsqu’on décide de vivre une vie de couple avec ce que cela devrait impliquer en terme de soins de l’autre et des enfants s’il y en a)
C’est le texte de Lounès sur la Gabegie où l’on voit un dessin avec une femme en train de surveiller, écoeurée, son fils dans un bac à sable et qui dit : « J’ai dû faire un truc très moche dans ma vie pour retrouver là un dimanche matin au lieu de bruncher avec mes copines… »
Mais je dois être un peu hors-sujet.Ou plutôt,les critères que j’avance sont-ils aujourd’hui complètement obsolètes et impensables, inimaginables pour Ginette comme pour tous. C’est encore ce que souligne Lounès, dans ce même texte : « Ils [les occidentaux hommes et femmes] ont été dressés comme des chiens de garde pour détester tout ce qui pourrait les sauver : fermer sa gueule, écouter les anciens, se tenir humblement, tenir aux trois vertus théologales, épargner 30% de son salaire, chercher à se marier et à faire des enfants, aimer le travail manuel concret et productif, faire un sport, avoir une conscience morale, bref tous ces éléments qui sur le long terme vous sauvent, finissent par vous sauver. »