La main coupée

L’année dernière, en novembre, je suis sorti d’une boîte de nuit vers les trois heures du matin.
J’ai tapé la tête de ma copine contre le pare-brise d’une voiture parce que je ne supportais pas qu’elle me quitte, et je ne comprends décidemment rien au ballet qui met en représentation toutes ces âmes qui se touchent, se donnent des coups de ventre et s’éloignent, avant de se tenir la main pour saluer le public.

Pour le dire d’un mot, je ne comprends rien du commerce qui lie les hommes entre eux, fait les couples, tisse des liens sacrés entre le père et le fils, le camarade et le camarade.
Je n’arrive pas à concevoir qu’à certains moments choisis par le ciel, je peux ressentir un amour intense, en faire part, et découvrir dans la foulée que l’autre ne fût pas touché, qu’il s’est forcé, que nous n’étions alors que deux solitaires faisant dans la comédie.
C’est un drame épouvantable, une tragédie Shakespearienne que cette histoire, ces millions d’hommes lancés sur terre et doués chacun du don d’aimer mais tous enfermés dans leur paquet de viande, élevés dans l’ombre d’une horloge personnelle qui les empêchent d’aller vers leurs frères et les croiser vaiment.

Après, j’ai fait de l’auto-stop.
Il m’a fallu, pour rentrer chez moi, parcourir une route de trois kilomètres qui vous fait passer de 500 degrés d’altitude à 1500.
J’ai cru à la première tentative que je serais pris, mais si la voiture a bien freiné devant moi, ce fût pour me cogner l’épaule…. J’ai vu le sang couler, et je me suis dit qu’il vaudrait que je marche et n’attende le secours de personne.

Quand je suis enfin arrivé à la maison, ma mère a retiré mon blouson, et c’est alors qu’elle s’est aperçue que je n’avais plus de bras gauche…Les pompiers l’on retrouvé le matin suivant dans un fossé, on me l’a recousu, mais depuis, je n’arrive pas à le bouger…

Je suis un handicapé…Je ne parle plus à personne, et je retourne mon histoire dans tous les sens.
Je voudrais comprendre comment j’ai pu perdre un bras sans me rendre compte de rien, et les raisons de la fantastique propension des hommes à se mentir et faire par exemple trois kilomètres sans leur bras gauche et sans rien savoir du drame qui vient de les frapper, en se mentant très fort, en faisant tourner dans leurs têtes le récit grâce auquel la race humaine ne s’est toujours pas jetée la tête contre un mur.

5 réflexions sur « La main coupée »

Laisser un commentaire