Bastiat : « Il faut reprivatiser la Sécurité Sociale ! »

(Une interview réalisée par Georges Kaplan le 23 janvier 2012)

Georges Kaplan : Monsieur Bastiat, bonjour et merci de nous accorder quelques minutes dans votre emploi du temps qui, je le devine, doit être assez chargé ces jours-ci.

Frédéric Bastiat : Mais je vous en prie !

GK : Vous venez donc d’annoncer votre candidature aux élections présidentielles de 2012 afin d’y représenter les idées libérales et le moins que l’on puisse dire c’est que, dans le paysage politique actuel, votre programme dénote.

FB : C’est en effet ce que j’ai cru comprendre.

GK : Vous suiviez l’actualité politique française de là haut ?

FB : Oui, sur mon iPad.

GK : Vous avez des iPad ?

FB : Oui mais c’est récent. Nous suivons la technologie de ce bas monde avec un léger décalage : autant vous dire que l’arrivée récente de Steve n’a pas fait que des malheureux !

GK : Oui, j’imagine. Sauf peut être Karl Marx ?

FB : (rire) Oh, vous savez il a bien changé Karl. De son vivant il disait déjà qu’il n’était pas marxiste ; aujourd’hui il le répète tous les jours.

GK : Ça se comprend en effet… Mais revenons à votre programme et, en particulier, à votre proposition de privatisation de la Sécurité Sociale. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous défendez cette position ?

FB : Il faut, pour bien comprendre, faire un peu d’histoire : j’ai vu surgir spontanément des sociétés de secours mutuels, il y a plus de 187 ans, parmi les ouvriers et les artisans les plus dénués, dans les villages les plus pauvres du département des Landes.

GK : À l’époque où vous étiez député des Landes n’est-ce-pas ?

FB : Oui, ça ne date pas d’hier. Le but de ces sociétés était évidemment un nivellement général de satisfaction, une répartition sur toutes les époques de la vie des salaires gagnés dans les bons jours. Dans toutes les localités où elles ont existé, elles ont fait un bien immense. Les associés s’y sentaient soutenus par le sentiment de la sécurité, et de plus, ils sentaient tous leur dépendance réciproque, l’utilité dont ils avaient les uns pour les autres ; ils comprenaient à quel point le bien et le mal de chaque individu ou de chaque profession devenaient le bien et le mal communs.

GK : Et c’est selon vous cette dernière particularité qui assurait la pérennité des sociétés de secours mutuels n’est-ce-pas ?

FB : Absolument. Leur écueil naturel est dans le déplacement de la Responsabilité. Ce n’est jamais sans créer pour l’avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu’on soustrait l’individu aux conséquences de ses propres actes. Le jour où tous les citoyens diraient : « Nous nous cotisons pour venir en aide à ceux qui ne peuvent travailler ou ne trouvent pas d’ouvrage, » il serait à craindre qu’on ne vît se développer, à un point dangereux, le penchant naturel de l’homme vers l’inertie, et que bientôt les laborieux ne fussent réduits à être les dupes des paresseux. Les secours mutuels impliquent donc une mutuelle surveillance, sans laquelle le fonds des secours serait bientôt épuisé.

GK : Vous attribuez le bon fonctionnement des sociétés de secours mutuels au fait qu’elles étaient issues d’initiatives privée : pourquoi ?

FB : Eh bien c’est très simple : pour que cette surveillance ait lieu et porte ses fruits, il fallait que les sociétés de secours soient libres, circonscrites, maîtresses de leurs statuts comme de leurs fonds. Il fallait qu’elles puissent faire plier leurs règlements aux exigences de chaque localité. A l’époque, c’était le cas.

GK : Mais comment avez-vous pu, près d’un siècle avant la création de notre Sécurité Sociale, prédire ses dysfonctionnement ?

FB : J’ai simplement supposé que le gouvernement interviendrait. Il était aisé de deviner le rôle qu’il s’attribuerait. Comme je l’avais prédit, son premier soin a été de s’emparer de toutes ces caisses sous prétexte de les centraliser; et, pour colorer cette entreprise, il a promit de les grossir avec des ressources prises sur le contribuable. Ensuite, sous prétexte d’unité, de solidarité (je ne pensais pas tomber si juste à l’époque !), il s’est avisé de fondre toutes les associations en une seule soumise a un règlement uniforme.

GK : Quelles conséquences cela a-t-il eut selon vous ?

FB : Posez-vous cette simple question : qu’est devenue la moralité de l’institution quand sa caisse a été alimentée par l’impôt ; quand nul, si ce n’est quelque bureaucrate, n’a plus eut intérêt à défendre le fonds commun; quand chacun, au lieu de se faire un devoir de prévenir les abus, s’est fait un plaisir de les favoriser ; quand a cessé toute surveillance mutuelle, et que feindre une maladie n’a été autre chose que jouer un bon tour au gouvernement ?

GK : Mais les gouvernements successifs ont pourtant mis en place des mécanismes de contrôle…

FB : C’est vrai. Le gouvernement, il faut lui rendre cette justice, est enclin à se défendre ; mais, ne pouvant plus compter sur l’action privée, il a bien fallu qu’il y substitue l’action officielle. Il a nommé des vérificateurs, des contrôleurs, des inspecteurs. On a vu des formalités sans nombre s’interposer entre le besoin et le secours. Bref, une admirable institution a été, dès sa naissance, transformée en une branche de police.

GK : Qu’est-ce qui explique qu’aucun des gouvernements successifs ne ce soit rendu compte des défaillances du système ?

FB : L’État n’a aperçu d’abord que l’avantage d’augmenter la tourbe de ses créatures, de multiplier le nombre des places à donner, d’étendre son patronage et son influence électorale. Il n’a pas remarqué qu’en s’arrogeant une nouvelle attribution, il venait d’assumer sur lui une responsabilité nouvelle, et, j’ose le dire, une responsabilité effrayante.

GK : Et comment faites-vous le lien entre la disparition de cette surveillance mutuelle et l’état actuel de la Sécurité Sociale ?

FB : Voyons, qu’est-il arrivé ? Les ouvriers n’ont plus vu dans la caisse commune une propriété qu’ils administraient, qu’ils alimentaient, et dont les limites bornaient leurs droits. Peu à peu, ils se sont accoutumés à regarder le secours en cas de maladie ou de chômage, non comme provenant d’un fonds limité préparé par leur propre prévoyance, mais comme une dette de la société. Ils n’ont pas admit pour elle l’impossibilité de payer, et n’étaient jamais contents des répartitions. L’État s’est vu contraint de demander sans cesse des subventions au budget. Là, rencontrant l’opposition des commissions de finances, il s’est trouvé engagé dans des difficultés inextricables. Les abus sont allés toujours croissant, et on en a reculé le redressement d’année en année, comme c’est l’usage, jusqu’à ce que vienne le jour d’une explosion.

GK : Vous faites référence à la perte de ce fameux AAA ?

FB : Bien sûr ! Considérez simplement qu’en 2010, les dépenses des administrations de Sécurité Sociale s’élevaient à 513,7 milliards d’euros tandis que les recettes ne s’élevaient qu’à 490,8 milliards : près de 23 milliards de déficit en une seule année !

GK : Mais, maintenant que cette explosion a eut lieu, pourquoi une réforme du système semble t’elle si difficile à mettre en œuvre ?

FB : Je l’avais prédit aussi : on s’aperçoit qu’on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d’un ministre ou d’un préfet même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d’avoir perdu jusqu’à la notion du droit, de la propriété, de la liberté et de la justice.

GK : Ce n’est pas très gai… C’est cette évolution que vous prédisiez dans vos Harmonies Économiques publiées en 1850 ?

FB : Oui, c’est presque mot pour mot ce que j’ai écrit dans le chapitre XIV des Harmonies.

GK : Qu’est-ce qui vous a mis sur la voie ?

FB : J’ai vu qu’une commission de l’assemblée législative était chargée de préparer un projet de loi sur les sociétés de secours mutuels. J’ai cru que l’heure de la destruction avait sonné pour elles, et je m’en affligeais d’autant plus qu’à mes yeux un grand avenir les attendait, pourvu qu’on leur conserve l’air fortifiant de la liberté. Malheureusement, la suite a prouvé que j’avais vu juste…

GK : C’est le moins que l’on puisse dire en effet mais pensez-vous pour autant que votre proposition de privatisation ait une chance d’être entendue de nos jours ?

FB : Eh quoi ! Est-il donc si difficile de laisser les hommes essayer, tâtonner, choisir, se tromper, se rectifier, apprendre, se concerter, gouverner leurs propriétés et leurs intérêts, agir pour eux-mêmes, à leurs périls et risques, sous leur propre responsabilité; et ne voit-on pas que c’est ce qui les fait hommes ? Partira-t-on toujours de cette fatale hypothèse, que tous les gouvernants sont des tuteurs et tous les gouvernés des pupilles ?

12 réflexions sur « Bastiat : « Il faut reprivatiser la Sécurité Sociale ! » »

  1. RG de Severac

    Deux points que Bastiat ne pouvait pressentir :
    1. Le fait que ce « système » allait créer un marché et donc des consommateurs et des fournisseurs du service. Les consommateurs, on les a vu naître avec ma génération (68+). Les fournisseurs : pas besoin de dessin.
    2. Un telle organisation ne pouvait que susciter l’envie et appeler des consommateurs de tout lieu puisqu’à coût nul.

    1. kobus van cleef

      qui sont les fournisseurs ?
      ces enfoirés de médecins, donc mes chosefrères
      tous pourris , gripesous , dépensiers et crapules au dernier degré
      jusqu’au moment où on tombe malade , bien sûr
      ou qu’on s’imagine qu’on tombe malade , ce qui , sur le papier est différent , mais , pour l’abbruti de médecin , harcelé par l’hypochondriaque , n’est pas pareil
      bref
      il y a aussi tous les autres…les gentilles infirmières ( gentilles car si les médecins sont méchants , car d’abord sont masculins ensuite leucodermes et pour finir gagnent de la thune, les infirmières sont femmes et donc tout leur est pardonné) les gentilles laborantines , les gentilles kinésithérapeutes, les gentilles aide-soignantes , les gentils ambulanciers et les gentils brancardiers ( ha non ,pas gentils , jamais là quand on a besoin d’eux et surtout , on est obligé de les flatter bassement )
      et les gentils maçons qui reconstruisent les ailes des services de soins gentiment déclaré insalubres par l’arh (le préfet de santé , avec un nom moderne)
      les gentilles visiteuses médicales ( ha non , pas gentilles , elles forcent à la consommation , merde , et ruinent la sécu , ses fesses )
      et les gentils ingénieurs bio-médicaux ( perso j’ai jamais pu en faire intervenir un seul quand il fallait )
      j’ai oublié personne ?
      si !
      les gentils administratifs pour faire tourner tout ça
      pensez bien qu’avec le nombre d’affects et de préjugés qui entache l’image de chacun des fournisseur , ça peut pas aller bien loin

    1. kobus van cleef

      remettons les choses à l’endroit
      la sécu est effectivement une société privée
      mais de droit public
      c’est là que ça coince
      elle ne rembourse pas que des soins, mais elle rembourse tout , ça devient une usine à redistribuer ce qu’on n’a pas gagné , voilà un florilège ( non exhaustif)de ce qu’elle prend en charge:
      des déplacements des cures thermales des fauteuils roulants ( le beau-père de ma tantine , corsico diabétique , a laissé à sa mort des papiers fort peu clairs , il avait bénéficié depuis 20 ans d’un fauteuil roulant neuf tous les ans dans sa maison de retraite corse , personne n’a jamais été capable de mettre la main dessus )des massages ( comme dit candida rosario , la concierge portouguech’ de brétécher « lé massadg’ il fa dou bien » .certes )et quantité d’autres trucs s’éloignant de la notion basique de soin
      ha si
      depuis quelques semaines , elle va rembourser des nichons
      pas seulement ceux des cancéreuses qui s’en sont fait greffer un pour compenser la perte ( pour le suivi du cancer du sein , la prothèse mammaire c’est top …demandez au premier radiologue venu )
      non , ceux des connasses jalminces de la voisine qui en a des plus gros
      elles voulaient des tétasses d’enfer , des mammelles qui explosent le corsage ( et la braguette du mari ou de l’amant), des loches qui pointent sous le pull-over et qui fassent pointer le goret sous la couette
      résultat , faut tout virer
      alors même qu’on a rien pu prouver de nocif….
      j’aime beaucoup votre allusion à la pharmacie , il est vrai qu’on ne paye plus rien , mais , heureusement , les médicaments sont de plus en plus déremboursés ( ou de moins en moins remboursés c’est selon)
      sauf les trucs qui ne servent vraiment à rien
      parfois j’avise des patients avec des ordonnances longues comme le bras….putain , faut rien leur enlever car sinon ils peuvent plus dormir , tu oses leur suggérer une thérapie comportementale pour le stress ou la dépression ( ha , y a toujours une bonne raison à la dépression , mon mari m’a quitté , ma fille s’est mariée , mon chat s’est perdu , t’es une ordure si tu suggères que c’est en eux qu’ils doivent trouver la force de s’en sortir)et là , tu deviens docteur mengele

    2. XP

      A ce propos, je viens d’apprendre un truc surprenant: il y a un grand fléau dans le monde arabe et le moyen-Orient qui fait beaucoup de morts:le Tramadol.

      En Egypte, dans la bande de Gaza… Une personne sur deux en consomme quotidiennement, et c’est aussi courant d’en avoir dans sa poche qu’un paquet de clopes.

      Encore un truc qui ne fonctionnne pas dans le raisonnement des CAB selon laquel l’occident, la société de consommation toussa fabriquerait des dépressifs, à l’inverse des sociétés traditionnelles.

        1. XP

          Excellente idée!

          C’est un conseil qu’on pourrait donner au prochain président US républicain: au prochain attentat genre WTC, envahir un pays musulman, pour obliger les hommes de plus de 18 ans à se faire greffer des nichons… Tout homme arrêté dans la rue sans nichons serait passible de la peine de mort.

      1. vlad tepes

        « dans la bande de Gaza… Une personne sur deux en consomme quotidiennement »

        Oui, enfin bon, si on voulait être honnête jusqu’au bout, il faudrait préciser que pour la bande de Gaza, ça peut se comprendre.^^
        Raison de plus, pour sortir de cet engrenage, on pourrait légitimement les inciter à déposer les armes, à reconnaître de façon unilatérale Israël en tant qu’état juif, et à se contenter de négocier le tracé de frontière le plus avantageux pour eux entre gens civilisés et de bonne compagnie. Mais allez expliquer à un dépressif qu’il faut être raisonnable 😉

        1. XP

          Vous venez de mettre le doigt sur le problème:il n’y a en vérité jamais eu le moindre dialogue israëlo-palestinien.

          Dialoguer, ça ne consiste pas seulement à se mettre autour d’une table avec des jus d’orange, se faire des sourires et se serrer la main. C’est autre chose. Ca nécéssite un minimum de rationalité et d’honnêteté de part et d’autre.

          Mais ce qui est vrai en politique internationale est vrai aussi dans la vie courante: Combien de gens sont prêts à s’excuser, à faire semblant d’avoir changé, en ayant tout oublié le lendemain, en toute sincérité… Pas du tout par vice ou par calcul, mais parce que les sermENTs qu’ils ont prêtés « n’ont pas pris », parce que la greffe n’a pas pris.

          C’est ce que j’appelle « l’intelligence des mendiants ».

          Le mendiant, le serf, n’a aucun mal à mimer la sincéeRté, parce qu’il croit à ce qu’il dit, quand il s’engage… Mais faute de noblesse d’âme, ses serments ne vont pas prendre.

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