Après la défense de la loi pénalisant la contestation outrancière du génocide arménien par Laurent Leylekian, voici celle de Bernard-Henri Lévy.
Bernard-Henri Lévy, ce grand témoin, cet intellectuel vibrioniste, qui donne des conférences sur le racisme dans les prétoires avant d’en donner sur la présomption d’innocence dans les médias, répond dans Le Point à un « quarteron d’historiens » s’élevant contre cette loi sur le génocide arménien. Et qui, comme un autre quarteron célèbre, mais de généraux alors, ne va décidément pas dans le sens de l’Histoire.
Avec un grand H.
Et unique, le sens.
Quoiqu’il en soit, son argumentation repose sur plusieurs points, reconnaissons-lui au moins ça.
Premièrement, cette loi ne dit pas l’histoire puisque celle-ci a déjà été écrite sur la question. Et, rajoute-t-il pour faire bonne mesure, « depuis longtemps ». Ce qui, un peu comme un whisky élevé en fût de chêne, doit sans doute être un gage de qualité. Comprenez aussi que la loi ne dérange aucun historien puisque le sujet a… Déjà été traité et que l’historiographie dominante a tranché. Et quand l’historiographie dominante tranche, c’est pour aujourd’hui mais aussi pour demain.
En conséquence il ne s’agit pas d’une vérité d’Etat. Il s’agit d’une vérité édictée par les historiens eux-mêmes. Qui d’ailleurs, comme chacun le sait, édictent des vérités. C’est même la profession de l’historien que d’édicter la vérité. Son objectif. Sa mission. Et pas des petites vérités, non, des vérités pour aujourd’hui, pour demain et jusqu’à la nuit des temps.
Des vérités écrites dans le marbre.
Il est donc tout à fait naturel, deuxième point dans l’argumentation de Bernard-Henri Lévy, que la loi vienne de temps en temps protéger l’Histoire avec un grand H et la « mettre à l’abri ». Un peu comme à Lascaux II on a pu mettre à l’abri la préhistoire. Mais, vous demanderez-vous, à l’abri de quoi, de qui ?
Eh bien des négationnistes. Ces gens qui, pires encore que des révisionnistes, font « trembler le sol sûr ou doit, en principe, s’établir une science ».
Un « sol sûr ? » Ah, oui, ce sol en marbre qui résiste aux assauts du temps…
Car, on le sait depuis l’antiquité, une science s’établit sur un sol en marbre.
Sur des bases solides. Sur quelques axiomes vrais -et vrais pour toujours.
La cosmologie a la relativité d’Einstein, la biologie a l’évolution selon Darwin, l’histoire a ses génocides.
Et les négationnistes, avec leurs super-pouvoirs, eh bien ils font trembler les sols en marbre. Si, si. Faurisson, avant la loi Gayssot, il faisait trembler le marbre. Promis. A ce point que les historiens, paniqués, incapables de travailler sur la question du génocide juif avec ce sol instable, se sont trouvés bien heureux de voir l’Etat, avec la loi, cette kryptonite des négationnistes, mettre l’Histoire à l’abri et leur permettre enfin de retravailler.
True Story.
D’ailleurs, y-a-t-il un historien, se demande Bernard-Henri Lévy, qui a été empêché de travailler sur la Shoah depuis la loi Gayssot ?
Qu’il lève la main !
Qu’il lève la main en sachant que, continue Bernard-Henri Lévy, s’opposer à la loi sur le génocide arménien (et on suppose s’opposer aujourd’hui encore à la loi Gayssot), pourrait être le signe d’une arrière-pensée négationniste. Or, nier un génocide c’est continuer le crime, c’est donc être un criminel.
Personne ne lève la main ?
Ah. Voyez. C’est bien ce que Bernard-Henri Lévy disait.
Personne n’a été empêché de travailler sur la Shoah depuis la loi Gayssot.
Sauf les négationnistes. Et Le Pen.
Ces criminels.
On se demande donc bien de quoi on parle ici. Et si ce quarteron d’historiens ne serait pas finalement un quarteron de lepénistes…
De nazis…
(Note pour plus tard, envoyer Daniel Lindenberg creuser la question)
D’autant que cette loi « n’est pas une loi mémorielle ». C’est « une loi sur génocide ». Ce qui n’est donc « pas pareil ».
Il est dommage que Bernard-Henri Lévy n’aille pas plus loin dans le pourquoi-c’est-pas-pareil, parce que je connais un quarteron d’historiens, c’est à dire une large majorité d’entre eux en fait, qui serait ravi d’en savoir plus. Mais, sans nul doute, le format du bloc-note du Point, ne permet pas à la pensée majestueuse de Bernard-Henri de se développer entièrement et de briller de toutes ses plumes.
Comprenez donc simplement que ce n’est pas pareil parce que c’est différent et que, de toute façon, il n’y a que trois ou quatre génocides dans l’histoire, chiffre validé par Bernard-Henri Lévy lui-même. Or, on le sait, trois ou quatre, ce n’est rien. C’est plus que un, mais c’est moins que dix. Ou cent. Ou mille. D’ailleurs le quarteron de généraux a échoué en Algérie par exemple. Ce qui est bien la preuve que quatre, c’est pas assez pour quoique ce soit.
Pourquoi cette incertitude entre trois et quatre ceci dit ?
C’est que le cambodgien pose manifestement interrogation.
Au passage, il serait d’ailleurs temps que les historiens écrivent sur cette question du génocide au Cambodge qu’on sache la vérité une fois pour toute -afin qu’on puisse la protéger par la loi ensuite. C’est qu’il y a des gens qui, potentiellement, souffrent de voir ce génocide pas encore reconnu comme génocide. Or, tant que ce ne sera pas le cas (s’il s’agit bien d’un génocide), le crime continue, n’oubliez pas.
Bref, ce ne sont pas ces trois ou quatre génocides qui vont ouvrir « la boîte de Pandore ». La loi Taubira n’est ainsi pas du tout une conséquence de la loi Gayssot. Et Olivier Pétré-Grenouilleau n’a jamais été inquiété judiciairement pour ses recherches.
Tout va bien.
Oh oui oh oui oh oui. Qu’on attrape Lindenberg, qu’on le voiture dans une malle arrière jusque dans une forêt lugubre autant que propre à y trouver des fosses communes, qu’on lui colle une pelle dans les mains et qu’on lui dise de creuser. Ré-enchantons la recherche historique et morale.
Je peux aussi lui proposer de plancher sur une autre grave question issu du texte de Bernard-Henri Lévy.
Si Bernard-Henri Lévy dit qu’une loi visant uniquement à réparer une atteinte outrageante « à la mémoire » des morts n’est pas une loi « mémorielle », est-ce parce que les morts n’ont plus de mémoire ?
@ Blueberry,
BHL est un philosophe dans le vent, il n’échappe donc pas au reproche d’aller dans le sens du vent. Ici, on le voit déployer un talent assez maigre dans une activité où d’habitude il excelle: le lobbying.
Ce qui m’a frappé dans son article, que vous avez mis en lien, est son argumentation: elle est auto-contradictrice.
Par exemple, sur son argument premier: l’histoire est écrite, elle existe en soi, elle entre dans le marbre du réel inaltérable et objectif du seul fait de sa création, elle est un « en puissance » devenu « en acte » par l’opération de son accomplissement.
En conséquence de quoi, on peut librement légiférer sur l’histoire sans risque de l’altérer et sans entraver le travail des historiens, car dans cette conception, l’histoire est une sorte de dépôt placé en sûreté dans un coffre à la banque et il ne peut rien lui arriver.
Mais dans ce cas, pourquoi seulement légiférer, alors? Puisqu’elle ne risque rien, pourquoi vouloir la protéger d’un hold up négationniste?
Faut être cohérent: si l’histoire est un bloc de béton inaltérable, pourquoi vouloir la protéger dans on intégrité?
Et tous ses autres arguments sont de la même eau.
Il prétend par exemple qu’il est imbécile de dire « attention ! vous ouvrez une boîte de Pandore d’où peut sortir tout et n’importe quoi ! ». Mais la boîte de Pandore est déjà ouverte: on en est à la quatrième loi mémorielle, et la mécanique du pire est enclenchée depuis longtemps, comme l’atteste précisément l’adoption de cette proposition de loi, parfaitement clientéliste, ce qui montre bien qu’on est en pleine instrumentalisation de l’histoire: on est capable de créer une infraction pénale concernant la lecture de l’histoire dans but purement électoraliste.
Donc, les verrous ont déjà sauté. L’histoire n’est déjà plus un libre sujet de discussion par définition puisqu’on peut être puni si on tient à son sujet certains discours. Et ça fait longtemps qu’il en est ainsi, mais on étend le champ d’application du principe à d’autres cas.
Ce n’est pas la métaphore de la boîte de Pandore qui convient en l’espèce, c’est celle du type qui tombe et qui, plus il se rapproche du sol, dit: « jusqu’ici, ça va ».
Idem pour l’argument tiré de l’établissement d’un néo délit de blasphème laïc, qu’il considère comme ridicule, alors qu’il s’agit très précisément de ça, puisque ces lois mémorielles ont précisément pour objet fondamental de définir les limites d’un sacré laïc en utilisant des moyens religieux.
Etc.
Autre point intéressant de l’argumentaire de BHL: il se situe dans l’argument d’autorité. Pas de mise en balance, pas de nuance, pas d’analyse. Juste de l’affirmation.
Par exemple, pour lui cette loi n’est pas mémorielle. Pourtant elle légifère sur un événement historique juridiquement qualifié de génocide par une précédente loi afin de sanctionner tous ceux qui prétendraient remettre en cause cette qualification juridique.
Elle est donc très exactement mémorielle. Mais pas pour BHL. Et pourquoi, Ben parce que c’est une loi sur un génocide…
C’est un peu comme si je disais: « voilà, je vous promets de ne pas modifier le code de la route, mais seulement de voter une loi qui abaisse à 110 km/h la vitesse maximum sur autoroute »
Vous allez me dire: « c’est quand même une modification du code de la route »
Et là, moi je vous réponds: « Non Monsieur, vous êtes un imbécile, c’est pas la même chose car c’est une loi sur la vitesse sur autoroute. Rien à voir avec le code de la route, vous mélangez tout! Et c’est à cause de gens comme vous que notre société va mal et qu’on perd le sens des mots ».
C’est ce qu’on appelle l’argument d’autorité et ça sert à faire de la propagande, pas de la philo.
Ah il est malin le bestiau!
Hmmm… En fait, j’ai écarté l’idée que Bernard-Henri Lévy puisse penser, ou laisser à penser, qu’il considère que l’histoire « existe en soi ». Je préfère croire qu’il parle de la transmission historique de cet évènement lorsqu’il dit qu’elle est faite. Mais j’avoue que je me suis posé la question, parce qu’il écrit « on le sait depuis toujours » et qu’il évoque les « aveux » des « criminels turcs ». Puis je me suis dis que c’était quand même vraiment trop gros.
Non, je pense fondamentalement que ce n’importe quoi tient au fait que Bernard-Henri Lévy est un homme pressé, un homme qui se veut dans l’action, dans l’histoire qui se fait et non celle qui s’étudie.
Ainsi, les bases solides qu’il prête à la science pour avancer et qui est largement, tel qu’il le décline en tout cas, un concept-blague, n’est, pour moi et avec le peu que je connaisse de lui, que le reflet de sa propre conception de son travail. Etudier (pas trop longtemps). Conclure. Énoncer la vérité. Passer à autre chose.
L’histoire n’est donc pas un bloc de béton inaltérable. Mais devrait l’être -au moins sur certains sujets. Pour avancer. Or, comment avancer dans certaines idées qu’on soumet au public afin qui lui-même avance si des trublions remettent en cause certains fondements sur lesquels on se repose ? Voilà pourquoi les négationnistes, dont les historiens se foutent, éventuellement se moquent et vont parfois jusqu’à les contredire quand ils sont courageux ou qu’ils ont du temps, sont si graves pour Bernard-Henri Lévy. Parce que Bernard-Henri Lévy, contrairement à l’historien, a un message qu’il lui faut absolument inculquer aux masses.
Cette loi est une très bonne idée.
@ A toute l’équipe d’ilys
Je tiens à vous signifier que je suis profondément scandalisé par le livre raciste et haineux que vous avez mis en diffusion dans vos actualités.
Les albanais ne sont pas le peuple brutal et arriéré que vous tenez à dépeindre, et voici la preuve en image: http://www.youtube.com/watch?v=EL_bZAdOKhk
😆
Non, plus sérieusement, je vous remercie du fond du coeur, premièrement ce livre est tellement caricaturale que je réalise à quel point j’ai pu être débile de me faire du mouron pour ces histoires, mais surtout son « auteur » est tellement bête qu’il dévoile sans même qu’on le force tout ce qui a trait à la « cause » serbe.
Alors que les extrémistes serbes sont en général assez intelligent pour confessionnaliser le conflit pour s’attirer des sympathies en cette période trouble pour l’Occident et les peuples européens, lui fait tout pour insister sur le caractère purement ethnique du contentieux, et borde tout son récit d’un racisme assez effrayant contre les albanais, tout en prenant soin à chaque phrase de préciser leur côté totalement « areligieux » et leur caractère incontrôlable par les turcs eux-mêmes.
Si il n’y avait que les albanais qui en prenaient plein la gueule, ce ne serait pas rigolo, mais l’auteur ne peut s’empêcher de dévoiler toute sa haine des allemands et des catholiques, ce qui est absolument fabuleux.
En gros toute la rhétorique de l’ignoble axe sans foi ni loi islamo-catho Zagreb-Istanbul soutenu par les hideux allemands na*zi, face à l’axe pur et sans tache constitué par l’axe Moscou-Belgrade. Alors que l’on se contente de dire que ce sont les serbes qui ont déclenché les guerres, lui arrête toute discussion par « les croates, les bosniaques et les albanais sont des descendants d’oust*achis et de S*S, il n’y a pas à discuter plus longtemps ».
Ce n’est que ça la cause serbe, une volonté de diviser l’Europe et les européens entre catholiques et orthodoxes, et entre slaves et germains, ceux qui en doutaient encore sont servis.
Un passage hilarant: un moment où il raconte que les autrichiens ont lancé la légende de l’origine ilyrienne des albanais, il cite l’auteur en question qui disait que ceux-ci étaient un « peuple indo-germanique ». L’auteur y trouve un prétexte pour lâcher toute sa haine des allemands, et voit là la preuve que les autrichiens voulaient faire des albanais un peuple germanique pour pouvoir les annexer et ainsi détruire la belle Serbie. Sauf que ce brave homme ne sait même pas que le terme « indo-germanique » définissait à l’époque ce que l’on appelle aujourd’hui « indo-européen », et que les slaves faisaient donc bien aussi partis de la catégorie. A côté de ce livre, les études de Diouf et de Kemi Seba sur l’origine noire des peuples chamito-sémitiques méritent la mention très bien à une thèse de doctorat.
Pour finir, concluons donc sur ses allégations. Puisque l’auteur est beaucoup trop bête pour cacher son jeu, et donc la réalité, il donne toutes les cartes en main.
Dans les derniers instants de l’Empire Ottoman, les albanais étaient décrits sous un jour sympathique par les autrichiens, les allemands et les italiens, insistant sur leur caractère européen, et ils étaient décrits comme un peuple de sous-homme dégénérés par les français, les russes et les serbes.
Conclusion: les slaves orthodoxes voulaient avoir accès à la mer adriatique, et donc avaient tout intérêt à donner un caractère exécrable aux albanais, tandis que la Triple-Alliance avait tout intérêt à les définir comme un peuple européen pour constituer un état satellite, qui empêche Moscou d’avoir accès aux mers chaudes.
La vérité sur ce qu’était le Kosovo d’alors devait donc se situer entre les deux, à savoir que les albanais ont probablement dû profiter de leur position dominante pour commettre des excès, mais que l’image de primitifs mangeurs d’enfants est totalement exagérée.
Quoi qu’il en soit de l’aveu même de l’auteur, les serbes ont récupéré le Kosovo alors qu’il était très majoritairement albanais, même si il oublie de préciser qu’un bon tiers des serbes qui y vivaient étaient musulmans. A partir de là conflits purement nationaliste et non-religieux, puisque l’auteur admet même que Belgrade a toujours tout fait pour obtenir le soutient des serbes musulmans, avec probablement des excès de chaque côté.
La cause serbe n’a pas pour finalité de combattre l’islam, mais simplement de ramener l’Europe en 1914 alors que la race blanche est en train de disparaitre.
Merci encore, et je vous remercie encore une fois très sincèrement.