Disons-le sans ambages.
Une partie de la communauté arménienne en France, qu’elle soit de nationalité ou d’origine arménienne, ne porte pas dans son coeur une partie de la communauté turque en France. Et inversement. Cela génère des tas de petites histoires passionnantes dont l’écho palpitant résonne jusque sur le net. Cela génère également, semble-t-il, quelques plaintes réciproques pour froissement d’ego (motif camouflé pour des raisons juridiques en : diffamation, incitation à la haine raciale -et autres joyeusetés qui remplissent la vie de certains).
Tout cela aurait pour origine, raconte-t-on, une vieille histoire de génocide…
Dans le dernier film de Paolo Sorrentino, This Must Be The Place, Sean Penn joue un vieux rocker gothique qui finit par traquer l’ancien tortionnaire nazi de son père. On ne sait pas trop pourquoi. Lui non plus d’ailleurs. Tout le monde a conscience du petit ridicule de tout cela. A la fin du film, malgré tout, après l’avoir retrouvé et après ce que cet ancien nazi ait joué une remarquable partition d’ancien nazi, le personnage de Sean Penn apparait apaisé.
Souhaitons à Laurent Leylekian que la prochaine pénalisation de la négation du génocide arménien puisse lui amener un peu de paix.
D’autant que, ici, la méthode Sean Penn ne saurait fonctionner.
Les responsables et acteurs du génocide arménien sont morts depuis longtemps.
Maintenant, plusieurs questions se posent avec acuité à nos parlementaires. Est-il dans l’attribution d’un député français de rentrer dans les bisbilles entre quelques membres de la communauté arménienne et de la communauté turque de notre pays ? Et si oui, à tout le moins, n’y aurait-il rien eu de plus important à discuter ces jours-ci ?
Mais je veux en arriver à l’extraordinaire article de Laurent Leylekian et publié par Marianne 2. Extraordinaire article car Laurent Leylekian parvient à aligner au moins une bêtise par paragraphe. Et ils sont courts. Ses paragraphes.
Au final, on en arrive à une somme tout à fait remarquable et qu’il serait fastidieux de réfuter ici en détail.
Je voudrais simplement, dans un premier temps, rassurer les nostalgiques de la gauche plurielle de Lionel Jospin, non, le parlement n’a pas voté une loi substituant
l’expression « aux opérations effectuées en Afrique du Nord » à l’expression« à la guerre d’Algérie ou aux combats en Tunisie et au Maroc »
C’est très exactement l’inverse.
On peut considérer que cela continue de dire l’histoire. Mais il ne s’agit en l’espèce pas du tout d’une loi mémorielle. Il s’agit certes au premier abord d’une loi sémantique à visée édificatrice et historique, mais en réalité elle modifie le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la… Guerre (et non des « opérations »).
On comprend donc que l’intérêt premier de cette petite modification est pécunier.
Mais après comme avant cette loi on peut très bien continuer à parler dans la presse d’opérations pour la guerre d’Algérie. Au pire, on risque l’ostracisme citoyen.
Bref, cela vous regarde.
Or, le problème de la loi pénalisant la contestation du génocide arménien, c’est précisément la pénalisation. Tant que le législateur se bornait, pour faire plaisir aux uns ou aux autres, à reconnaître l’existence d’un génocide, tout allait bien. On se trouvait devant une petite scorie. Une loi purement déclarative qui ne prévoit absolument rien si on l’enfreint. Tout cela était tout à fait passionnant, on pouvait éventuellement se demander à quoi sont payés nos parlementaire -et si se rouler dans le ridicule le plus achevé mérite salaire- mais cela n’allait pas plus loin.
Afin de justifier que désormais on fiche sur la gueule de ceux qui oseront minimiser ou contester de façon outrancière (oh la belle formulation et, bientôt, la nouvelle jurisprudence que voilà !) le génocide arménien, Laurent Leylekian développe un argumentaire en béton.
Il constate tout d’abord qu’il est normal que les politiques instrumentalisent l’histoire puisqu’ils l’ont toujours fait, de la chanson de Roland à la loi Gayssot.
Imparable.
Deuxièmement, il soutient avec force que les historiens, cette corporation d’experts (on note ici que Laurent Leylekian apparaît tout à fait au courant des débats qui agitent depuis longtemps les historiens sur cette notion même d’expert…), ne sauraient avoir le monopole
sur les usages et les conséquences politiques de ces savoirs
Oh. En effet. Je suis entièrement d’accord.
D’ailleurs, aucun historien ne le demande.
Parce que ce n’est pas du tout la question.
La loi mémorielle avec son volet pénal tend à sanctuariser le « savoir », à le graver dans le marbre. Et à rejeter d’avance l’hypothèse, qu’on pourra juger farfelue mais qu’on ne peut écarter avec une certitude absolue, qu’un jour on découvre un carton d’archives (par exemple) qui remette en cause de manière outrancière le génocide arménien.
On me dira que tout tient au qualificatif d’outrancier. Sans doute. Mais a-t-on vraiment envie de laisser cela dans les mains de quelques juges ?
Sur sa lancée, Laurent Leylekian continue,
Il n’appartient certes pas aux politiques de débattre des équations de la physique nucléaire; doit-on en extrapoler que nos députés devraient se taire sur la politique énergétique de la France ? Il n’appartient certes pas aux politiques de débattre des principes fondamentaux de la biochimie; doit-on en extrapoler que nos députés devraient ne pas débattre sur les OGM ?
Mais les politiques devraient-ils un jour expliquer que telle « équation de physique nucléaire » est la bonne et qu’il est désormais interdit d’en formuler d’autres qui remettraient en cause de manière outrancière la première ?
Quelle rassurante idée que la vérité d’aujourd’hui sera aussi celle de demain et de tous les jours qui suivront dans l’éternité.
Bien.
On me dira que le gouvernement est parfois tenté, sur les OGM, d’interdire la recherche. Mais je ne suis pas sûr que ce soit une raison suffisante. Certains me répondront alors avec la loi sur la bioéthique. La loi sur la pénalisation de la contestation du génocide arménien ne pourrait-elle pas s’en rapprocher ? N’y aurait-il pas des moments où il faudrait dire non ? Peut-être. Sans doute. Je ne vois cependant pas trop le rapport entre la recherche sur un évènement passé et qui le restera de toute façon, et la recherche sur les embryons ou les cellules souches, qui étaient deux endroits où la représentation nationale ne voulait pas aller.
Mais, plus fondamentalement et de manière plus intéressante, Laurent Leylekian illustre ici de manière parfaite le combat entre histoire et mémoire. Je dis bien parfaite et non caricaturale. Car, effectivement, ce combat oppose le bien et le mal, le blanc et le noir. Le n’importe quoi de l’article publié de manière complaisante par Marianne 2 (je les soupçonne de l’avoir publié pour faire du tort à Laurent Leylekian et, disons-le également à leur intention, c’est moche de tirer avantage des plus simples d’entre nous) représente la réalité de ce qu’est la mémoire aujourd’hui.
La mémoire t’envoie en prison, t’ostracise, te trompe, t’éloigne de la vérité, de la recherche, de la science et de la contradiction, mais te rapproche du pathos, du communautarisme et de la victimisation.
J’oserais même rajouter que la mémoire et son corollaire occidental qu’est la repentance, peut te faire perdre ta femme.
Et je ne serais pas étonné qu’elle provoque des problèmes d’érection -dus à la mémoire de l’oppression de la femme.
« repentance, te faire perdre ta femme. »
Je crois qu’il manque un « peut ».
À part ça, vous avez parfaitement raison.
« les historiens ne sauraient avoir le monopole sur les usages et les conséquences politiques de ces savoirs
Oh. En effet. Je suis entièrement d’accord.
D’ailleurs, aucun historien ne le demande.
Parce que ce n’est pas du tout la question.
La loi mémorielle avec son volet pénal tend à sanctuariser le « savoir », à le graver dans le marbre. Et à rejeter d’avance l’hypothèse, qu’on pourra juger farfelue mais qu’on ne peut écarter avec une certitude absolue, qu’un jour on découvre un carton d’archives (par exemple) qui remette en cause de manière outrancière le génocide arménien. »
Exactement, et en plus, ce qui est amusant dans le tissu d’âneries de Leylekian, c’est que s’il pense suggérer de faire un usage des savoirs historiques en promouvant en réalité la dogmatisation de l’histoire, il ne songe visiblement même pas à pousser les politiques à faire réellement usage de ces savoirs… par exemple en posant la reconnaissance du génocide arménien comme préalable aux négociations sur l’entrée de la Turquie dans l’UE. Du point de vue de Leleykian, ce serait pourtant logique.
Certes, la Turquie n’entrera pas dans l’UE et les Turcs se sont probablement déjà faits une raison, mais ce n’est pas la question.
« Quelle rassurante idée que la vérité d’aujourd’hui sera aussi celle de demain et de tous les jours qui suivront dans l’éternité. »
N’est-ce pas ? Ça évite d’avoir à penser, le confort suprême des imbéciles.
Argh. Il manquait bien un « peut »…
Pécunier, c’est la forme populaire de pécuniaire, qui est français.
Alors faudrait savoir. Je croyais que le crédo ici c’était de haïr les masses.
Là dessus, vous parlez comme elles.
Vous dites aussi: « Au final, on en arrive à une somme tout à fait remarquable et qu’il serait fastidieux de réfuter ici en détail ».
En fait, ce qui rend ce blog assez agréable à l’usage, c’est que vous lâchez vos grandes vérités et vous vous barrez. Je n’ai jamais vu personne ici (je parle des animateurs du blog) entrer dans une réfutation en détail qui tienne la route.
C’est pas votre truc la réfutation en détail. Comme vous le dites très bien, c’est fastidieux.
Pécunier oui. Peut-être parce que je sous-entends que ce motif est « vulgaire » justement…
Enfin.
Voyez ça comme vous voulez.
Maintenant, concernant la « réfutation en détail », c’est ce que je fais déjà tous les deux posts. Ici, parce que le matériel me semble trop inepte et donc que la réfutation serait fastidieuse et superfétatoire (je mets en lien l’article original), je me suis dis que je pouvais y échapper pour arriver le plus rapidement possible (tout en m’attardant quand même sur le corps du texte, on ne se refait pas) à ce qui m’intéresse, l’illustration pathétique du combat entre mémoire et histoire.
Bien.
J’espère que mon commentaire est assez détaillé.
Ben en fait ce qui fait le cœur de votre post, c’est le passage:
« Mais, plus fondamentalement et de manière plus intéressante, Laurent Leylekian illustre ici de manière parfaite le combat entre histoire et mémoire. Je dis bien parfaite et non caricaturale. Car, effectivement, ce combat oppose le bien et le mal, le blanc et le noir. »
C’est pas idiot de poser le problème comme un « combat », ce qui change de la thématique usée jusqu’à la corde de l’intrumentalisation de l’histoire par la mémoire.
Mais il y a juste cette phrase: c’est un combat. Puis vous rajoutez: c’est un combat entre le bien et le mal.
Ensuite, trois idées: la mémoire est l’instrument d’une politique pénale au service de nos lubies du moment (le pathos, la victimisation et le communautarisme), elle est devenue un « fourre tout » où on met du n’importe quoi et elle est le corollaire de la repentance (autre mode assez navrante, nous sommes d’accord).
Jusque là je vous suis, mais je croyais que c’était le plan de ce qui allait suivre, sauf que… couiiic! Ca s’arrête là.
C’est juste pour ça que je vous dis que vous n’êtes pas dans la réfutation dans le détail. Vous balancez ce que vous avez à dire et vous tirez votre révérence.
C’est pas un mal, non plus.
Exprimer ses opinions sans chercher à les argumenter, ça donne tout de suite une pesanteur académique au propos. Ca montre aussi quels sont les ressorts intimes de votre réflexion. Ca permet une réfutation, aussi. ca crée des discussions à rallonge qui deviennent ennuyeuses.
Tandis que là, c’est… vlan! Moi j’aime bien. Si, si. C’est clair comme un tract, net, tranchant.
C’est reposant.
Et puis c’est au lecteur de faire son propre travail, après tout.
Voyez comme nous tombons rapidement d’accord.
A la limite, ce que je pourrais faire afin d’aider l’internaute dans son travail, c’est insérer quelques références à la fin.
Do you want to know more ?
Mais, sincèrement, à notre époque, en 2012, quel est l’intérêt alors qu’en quelques recherches sur le net on trouve ce qu’il faut ?
Non.
Ce qui serait vraiment bien me dira-t-on, c’est de numériser les sources indispensables sur chaque sujet que nous abordons (Nicolas le fait déjà de son côté). Et, à la limite, se passer de post. Mettre juste en lien le ou les ouvrages.
Non.
Le travail, bénévole !, que j’effectue ici me semble bien trop précieux. Je synthétise, je concentre et j’assène. C’est, comme vous dites, net et tranchant. C’est la méthode qui fait gagner le plus de temps à l’internaute. Faire plus long serait contre-productif. Et puis je ne suis pas payé. Cela joue aussi.
Sur les lois mémorielles ont pourra facilement tomber d’accord. Le seul sujet de dispute que j’envisage: savoir qui sera le premier à appuyer sur la pédale de la poubelle.
Il est d’ailleurs assez amusant de se dire que la poubelle dont je parle est bien celle de l’histoire.