Le débarquement des arabes

Je suis en panne d’inspiration, alors je rediffuse….

Elle était née en 1914 à Marseille, Gabrielle, à quelques jours de la Première Guerre Mondiale, et sa mère de dix-huit ans avait déposé son berceau devant une porte pour ne plus jamais donner d’adresse à personne, comme dans le poème d’Apollinaire.

Je n’invente rien, elle est presque morte le 11 septembre 2001, à quelques dizaines d’heures près… Elle a fait un énorme scandale, sur son lit de mort, elle a insulté la fille qu’elle avait le moins désirée en lui balançant des saloperies aux visages, elle a traité le mari de chauve, de fouille-merde, de cocu, d’homosexuel et de bouffeur d’héritage, elle a dit les mêmes choses au petit personnel ainsi qu’à l’interne, et tout ça parce qu’elle savait que la mort imminente la mettait à l’abri d’une paire de gifles.

En 1916, on l’avait placée dans un orphelinat de Marseille, avant de la confier en 1920 à des paysans, en moyenne montagne, lesquels lui ont signifié que par ici, on n’aimait pas les filles de pute et qu’elle ne s’appellerait plus Gabrielle jusqu’à ses 21 ans, parce qu’il y en avait déjà une à la ferme, de fille qui s’appelait comme ça… Pour bien lui faire comprendre que ce deal n’était pas négociable, tout le monde fût tacitement encouragé à lui planter la gueule dans la neige sans raison précise, et la petite n’a plus jamais osé donner son vrai prénom jusqu’à ses soixante ans.

En 1932, Josèphe a rencontré Louis au bal, lequel s’appelait en vérité Emile, parce qu’ils étaient décidemment bien compliqués, les ploucs de ce temps-là…. Emile, je l’ai très peu connu. Je me souviens juste que sur la fin, il s’endormait sur sa main, à la fin du souper, et que Gabrielle attendait ce moment pour lui faire une balayette, lui mettre sa gueule dans la soupe et trouver un prétexte pour expliquer à la famille qu’elle n’avait pas eu de chance dans la vie, elle qui s’était mariée avec un cochon qui trempe sa figure dans son assiette à la fin des repas.

Je me suis renseigné depuis, et j’ai su qu’elle exagérait un petit peu, la vieille, que Louis était le dernier né d’une fratrie de huit enfants, que ses deux frères les plus proches en âge étaient morts à Verdun à dix-neuf ans, que le hasard du carnet de décès avait fait que c’était lui, qui avait hérité de la maison de famille construite en 1860 et qu’elle n’était pas trop à plaindre, ainsi donc.

Gabrielle, elle a fait toute sa vie comme si ça ne fait ni chaud ni froid aux gens, qu’on les traite de fille de pute au moins une fois la semaine, le plus souvent à la sortie de l’office du dimanche, mais vers la fin, elle a savouré sa revanche, quand on lui a demandé d’héberger Louise, qui s’appelait en vérité Suzanne, une sœur d’Emile…

C’était la veuve d’un retraité de la SNCF qui avait passé toute sa vie d’adulte à Lyon, auprès de son mari fonctionnaire… Peu après sa mort, une famille d’arabes s’est installée en face de son palier, elle n’a pas supporté, et pour signifier sa stupeur, elle a vidé son garde manger ainsi que tout son argent liquide sur leur paillasson à six heures du matin, avant de s’allonger devant la porte… Elle s’est cassée le col du fémur dans la foulée, tout le monde à cru qu’elle allait mourir, Suzanne, mais finalement, elle a fait deux jours d’urgence, trois semaines en psychiatrie et dix grosses années de pension chez Gabrielle, qui lui a mangé sans complexe la retraite de son défunt mari cheminot…

Louise, elle était maigre, il fallait voir comme, mais elle se servait quatre fois à table, à se demander où ça passait… Vous mettiez un civet de lièvre devant Suzanne, elle vous le bouffait en vingt minutes, si vous n’y preniez garde, et Gabrielle la traitait de truie, en lui faisant remarquer que ça coûte cher, la nourriture, et que les vieilles personnes ne prennent pas autant leurs aises, à l’hospice…

Sur la fin, tante Louise, on sentait qu’elle était rentrée dans sa coquille, qu’elle était devenue imperméable aux vexations que lui infligeait dans sa maison natale sa belle-sœur la fille de pute, la pièce rapportée… Toute la journée, elle se tenait debout, les bras croisés, en souriant bêtement et en clignant des yeux, à tel point que nous les gosses, on avait inventé cette plaisanterie: Tu sais pourquoi , Louise, elle a la cote auprès des mecs? Parce qu’elle arrête pas de faire des clins d’œil…. Dans ses très vieux jours, elle était devenue tellement maigre qu’aucune tumeur ni aucun miasme n’arrivait à l’attaquer, à tel point qu’elle n’en finissait pas de se dessécher comme un bout de bois dans son lit, tout en trouvant la force de venir à table pour se servir trois ou quatre fois.

C’était ma marraine, Gabrielle… C’était une bigote, et c’est pour ça que chaque année, on allait tous les deux en car au pèlerinage de la Salette, cher à Léon Bloy… Pendant le trajet, elle n’arrêtait pas de se signer, mais elle m’expliquait en même temps que les curés, ce sont tous des pédés refoulés, pour la plupart des types pas assez costauds des bras pour remuer la terre et qu’une fois sur place, il faudrait que je me méfie et que j’appelle, si l’un de ces cochons s’approchait de moi… On avait un gros panier plein de bouffe, dans l’autobus, et je crois que c’est seulement-là, que je l’ai trouvée sympathique, Josèphe…

Mon Dieu, qu’est-ce qu’elle parlait fort, cette bonne femme… Je n’ai plus jamais entendu un tel coup de clairon dans la voix d’une femme, plus tard, même en traînant dans les bars américains… Un jour, à la ferme, elle s’est engueulée avec le voisin qui se tenait du côté de son mur, avec sa casquette vissée sur la tête, la discussion est partie sur une banale histoire de chien qui aboyait la nuit, et la vieille a fini par lui conseiller d’aller faire des gosses à sa fille, puisqu’il ne savait faire que ça, comme tous ceux de sa race depuis au moins 1904, et je vous jure que ce con à casquette y est allé, ou pour le moins qu’il a tourné les talons sans chercher le dernier mot.

Après le 11 septembre 2001, c’est son unique fils, un vieux garçon négociant en matériel agricole, qui a hérité de la maison de famille… En 2008, il a choisi dans un catalogue une algérienne de 22 ans qui est aujourd’hui sa femme, il n’a pas voulu payer le fournisseur, ça s’est presque terminé à coups de fusil dans la cour, et ça n’a pas plu du tout, dans le village, qu’il fasse des dettes…. La petite Rachida dort maintenant dans le lit de Gabrielle, et quand je pense à ces morceaux d’enfance passés à la campagne, ça n’est pas loin de me laisser froid, que cette aventure généalogique se termine comme ça… Je n’y étais pas malheureux, j’en ai même ramené des souvenirs gigantesques, mais je les dois aux chiens, aux chats, aux montagnes, aux forêts, et pas le moins du monde aux serfs émancipés qui la peuplaient en masse jusqu’en 1960, avant d’aller grossir les rangs de la fonction publique…

La paysannerie, moi, je suis tout juste assez vieux pour en avoir aperçu la queue et la voir disparaitre, j’ai vu de mes yeux les tous derniers sols en terre battue, et je vous prie de croire qu’elle ne mérite pas qu’on la pleure, qu’il faut même passablement manquer de cœur, pour se lamenter qu’elle ait fini par crever dans un fossé de l’histoire, entre une directive européenne et un décret signé par le Général de Gaulle, lui qui les méprisait autant que les Pieds-Noirs, les culs-terreux, soit-dit en passant.

D’Hugues Capet jusqu’au président Coty, le paysan français, ce fût une racaille qui se contentait d’être en règle avec son fermier, un paresseux qui se lève tôt, selon le mot de Georges Pompidou, un salaud qui tirait un coup vite fait dans la paille en sachant que si la bonne tombait en cloques, il pourrait toujours la traîner par le cheveux chez la tricoteuse… L’Eglise avait de l’autorité, mais le curé du bocage, c’était juste un autre descendant de serfs qui avait trouvé une planque, qui s’était branlé dans le foin avec les paysans qu’il sermonnait à confesse, à l’adolescence, et La France de la terre qui ne ment pas, celle peinte par Pagnol et Maupassant, elle était en vérité pleine de foutre à ras-bord… on y baisait vite et mal comme chez les nègres, on y étouffait les aïeux sous l’oreiller pour supprimer discrètement une bouche inutile, on y était bling-bling au point de toujours laisser le premier banc à la bourgeoise qui portait son or autour du cou comme le font les nègres, justement, le dimanche à la messe, on y détestait les chats, les montagnes et les forêts, et puisqu’il faut dire les choses, on n’avait pas deux sous de spiritualité, dans la France d’avant l’exode rural.

Il a plu aux philosophes de l’Europe que l’on transmette la souveraineté aux descendants de serfs, vers 1789, que les nations du continent soient incarnées par leurs faces nègres… Comme il fallait s’y attendre, les serfs émancipés, les nègres et les maures de l’intérieur ont fini par attirer d’autres nègres et d’autres maures, une paire de siècle après leur sacre.

14 réflexions sur « Le débarquement des arabes »

      1. tschok

        Nan, nan, c’est bien, changez rien. Forcez pas votre talent, vous y perdriez votre grâce.

        C’est un monde qui respire la joie que vous décrivez. Du Céline au cul de la vache. On a tout de suite envie d’y aller (et d’en repartir aussi sec). Ca donne le goût du voyage, quoi.

        1. XP Auteur de l’article

          Si vous avez envie d’y aller, faites vite, parce qu’il est en train de disparaitre, ce monde…

          Enfin plus exactement non. Le troupeau s’est déplacé… Ils sont maintenant employés à la Poste ou à Carrefour, femmes de ménage ou des trucs comme ça. Mais la mesquinerie et l’envie de vous baiser la gueule quand vous aurez tourné le dos n’a pas disparu. Si vous essayez de comprendre pourquoi et si vous remontez leurs arbres, vous y trouverez d’abord des paysans, puis des serfs.

          1. tschok

            Moi aussi je les ai vus, les derniers sols en terre battue, mais j’en ai pas retiré des souvenirs aussi… sombres, disons.

            Ils avaient leurs avantages, question entretien. Et puis, un coup de lino et du BA 13 sur les poutres, et en un clin d’oeil la longère se transformait en F3 d’HLM.

            Mais je me suis pas posé la question de la généalogie façon Rougon-Macquart. Je me suis pas demandé comment la précieuse liqueur de leurs couilles paysannes s’était répartie dans le grand cycle du carbone et les échelons sociaux.

            Faut dire que les miens, de paysans, avaient de la tune et de la terre. C’était la paysannerie de la bouffe. Je sais pas s’ils baisaient, mais putain, qu’est ce qu’ils bouffaient. La bouffe sortait de partout. N’importe quel animal dans la cour de la ferme, sauf le chien, était considéré comme de la bouffe en mouvement. Fallait pas s’attacher à Jeannot de lapin, parce qu’ils avaient un sens du l’humour du genre « tu l’aimais ton Jeannot? Ben reprends-en ».

            Et il y avait un autre truc aussi: ils étaient passés maître dans l’art du suicide de toutes les façons possibles, à croire que c’était leur seul bonheur.

            Ils n’avaient pas le sens de la perfection du samouraï japonais, mais un sens de la simplicité, sophistiqué et rustique, généreux et faible, instruit et ignare aussi, que je regrette.

            Pas quelque chose d’aussi noir que ce que vous racontez, quoi. Mais le sentiment d’une misère un peu mystérieuse m’est resté. Il y avait dans tout leur être un inassouvissement qui ne s’expliquait pas et qui les prédestinait à disparaître dans une énigme en ne laissant derrière eux que le bâti de la ferme, ses meubles, ses tracteurs, ses bêtes et sa terre.

            Comme si une bombe à neutrons était passée par là en supprimant tout ce qui était humain et en laissant le reste, poules comprises.

            De la dit le paysans d’aujourd’hui est heureux: c’est un être d’élite et d’exception, rare et riche. J’en connais un qui peut faire le tour de Paris sans quitter ses terres. Il n’est pas de la fonction publique ou du carrefour du coin, lui.

            1. kobus van cleef

              ha ha excellent!
              j’aime bien aussi le passage sur le suicide
              dans les cevennes , les femmes se suicident en se noyant
              dans le puits de préférence
              en laissant les godasses à coté pour qu’on pige tout bien
              même qu’après y a un villageois désigné pour essayer de l’agripper avec un crochet ( pas question de descendre dans un puits , même cévenol , on est assuré de jamais pouvoir en remonter )
              en général ,c’est toujours le même gars qui s’y colle
              les hommes sont un peu plus inventifs
              c’est soit la pendaison ( rare) soit la décharge de calibre 12 en pleine poire ( classique)
              ceci dit , j’ai jamais vu de sol en terre battue dans les fermes cévenoles
              ça s’explique facilement , il y a très peu de terre en fait
              que du cailloux

  1. Grant

    Jean Gabin pris en otage par les paysans:

    « 1962 dans la nuit du 27 au 28 juillet, 700 agriculteurs encerclent son domaine familial normand de La Pichonnière pour protester contre la centralisation des terres, en exigeant la location de certaines fermes à de jeunes éleveurs en difficulté. Ils se servent d’un conflit ouvert avec le célèbre acteur pour médiatiser leurs problèmes du monde agricole. Cette situation a profondément bouleversé et blessé à vie l’intéressé, qui s’est senti rejeté par la communauté paysanne normande dont il avait profondément à cœur de faire partie ».

    http://jeangabin.mes-biographies.com/Jean-Gabin.html

    1. XP Auteur de l’article

      Bien triste affaire, mais tellement prévisible: le serf n’est jamais sensible à aucune marque de reconnaissance, d’affection ou de loyauté. Il prend ça pour de la faiblesse et il en profite pour tenter de vous écraser et vous dépouiller.Comme la caillera, comme un cleps qui sent l’ordeur du sang.

      Comment aurait-il pu se faire respecter de ces gens-là? En leur montrant à quel point il les méprisait, en leur faisant comprendre qu’il n’hésiterait pas à faire casser les jambes de quiconque entrerait dans sa propriété, qu’une armée d’avocats était prêts à persecéuter et ruiner le premier qui s’avisait de l’emmerder.

      Le pire, c’est que le père Gabin devait savoir tout ça. Quand on parcourt sa bio, on voit que le mec foutait la trouille à tous le monde, qu’il tenait les gens à distance, qu’il interdisait la familiarité, et que c’est comme ça qu’il est resté le patron pendant quarante ans. Mais il a dû se dire qu’avec le monde de la terre, ça devait être différent…. Foutaise, évidemment.

  2. kobus van cleef

    de gaule méprisait les culs terreux ?
    la belle affaire !
    il détestait et méprisait tout le monde
    et les ceusses qu’il a le plus méprisé ont porté sa mémoire aux nues
    les mongolosouverainistes
    oui , il leur chiait dans la bouche tous les jours aux godillots
    hé bien , leurs descendants en redemandent

    1. kobus van cleef

      ben oui
      mais une fois disparu , les crapules lui ont tressé des couronnes de laurier
      logique , hein
      la mort, le malheur , ça anobli , ça sanctifie
      il y a quelques années , un violeur pédophile libéré de prison avait violé un petit gamin ,musulman turc , dont le père , c’est bien compréhensible , était allé pousser les hauts cris à l’élysée ( ha , cet élysée ….la puissance thaumaturge du président qui vient toucher les écrouelles du bon peuple….bon , comme juste avant il a touché le cul des vaches , tu risques la septicémie avec des germes costauds , bref)
      le père donc avait réclamé que l’on rétablisse la peine de mort pour le violeur de son gosse
      la presse bien intentionnée n’avait pas titré « le bistrotier fou veut du sang » ce qui aurait été somme toute raisonnable ( en effet le père était bistrotier , et , effectivement , il voulait la peau du pédo )mais avait noyé le poisson ,en disant « le restaurateur avait échangé avec le président »
      échangé mon cul !
      pas restaurateur , bistrotier !
      le malheur anobli , je vous dit

      1. kobus van cleef

        et c’est là que je m’interroge
        comment un mec tant tellement anobli par le malheur , à un point tel qu’il peut échanger avec le président de la bananocratie pendant une heure , comment un mec passé du statut de bistrotier ou de vendeur de chawarma ou de kebabs à celui de restaurateur ( qui a une autre gueule , hein ) , comment un mec comme ça n’a pas eu , soit sa médaille ( et lorsqu’on voit les promos de la légion , on se dit qu’on aurait pu lui faire une place , merde , qu’est ce que ça coûtait ,hein ), soit son audience dans les médias ( « ding dong dalading , radio ma banlieue , avec la chronique de m…. k….. , la chronique des ceusses qui ont beaucoup souffert , la seule la vraie l’unique , la voix des victimes « ….quoique…le créneau de la voix des victimes , hein , c’est un peu encombré …), soit tout connement un poste informel de « facilitateur de relations dans les quartchés difficiles  » ou « de sage assis sous l’arbre à palabres » ( comme l’avait imprimé un journal à propos des gensses que les militaires français allaient convaincre de déposer les armes en côte d’ivoire ou un autre trouduculistan africain , putain , les sages assis sous l’arbre à palabres….ça résume bien en effet tout ce qu’on peut en attendre )
        et voyez vous , rien de tout ça
        inexplicable

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