Point Godwin

Pensez-vous sincèrement que les gens aient besoin d’être stimulés par ces élucubrations, même de façon oblique, pour ressentir les choses comme ils les ressentent ? Si l’on tient à établir un lien entre l’univers des discours et la manière dont les gens interprètent leur expérience, il y a selon moi quelque chose de plus frappant qui mériterait d’être creusé ; c’est cette occupation obsessionnelle de nos media par la seconde guerre mondiale ; plus exactement par le nazisme. Vous ne pouvez pas vous en souvenir, mais dans les années cinquante, soixante, Hitler était pratiquement oublié. Nous vivions dans l’euphorie de la reconstruction et, notre actualité politique, c’était quoi ? La guerre froide et les conflits coloniaux, c’est-à-dire des évènements concomitants. Les communistes célébraient pieusement le mensonge de leurs 75 000 fusillés et les anciens de la Résistance se retrouvaient rituellement devant les monuments aux morts. C’était tout. Ce passé, pourtant proche, était en cours de banalisation. Rien d’ailleurs que de très ordinaire dans cette lente érosion ; c’est un critère de vitalité. Aujourd’hui, en revanche, ce passé fait l’objet de constants rappels incantatoires. Hitler est partout, accommodé à toutes les sauces. C’est le nouveau croquemitaine d’une société qui retombe en enfance et se récite des contes effrayants avec spectres, fantômes et golem…

P.B. – Vous ne croyez pas aux revenants ?

J.F. – J’incline à penser que ces revenants sont utiles à certains. Hitler est devenu un argument polémique, et pas seulement en politique. A défaut de vouloir faire l’histoire contemporaine, nous fabriquons du déjà-vu, du simulacre, du pastiche. L’Hitlérisation du présent est un symptôme.

Julien Freund, Entretiens


13 réflexions sur « Point Godwin »

  1. Vertumne

    Cette obsession contemporaine pour la 2e GM est la conséquence de l’instauration de la Shoah comme une nouvelle religion dans les pays occidentaux dans les années 70, obsession qui a atteint son apogée en France vers la fin des années 80 (« de Nuremberg à Nuremberg »). Depuis, la force médiatique de cette religion, malgré ou peut-être à cause de la propagande permanente reflue très lentement, mais surement.

  2. Gil

    Je viens de voir que deux adaptations ciné de La Guerre des boutons vont sortir en même temps… Admirons l’intense travail conceptuel de renouvellement des scénaristes et producteurs : l’une se passe pendant la Guerre d’Algérie, l’autre en 1944, avec une jeune fille juive traquée… ah non mais quelle audace !

  3. dartagnan755

    « dans les années cinquante, soixante, Hitler était pratiquement oublié »

    Le retour du refoulé « shoatique » a été travaillé par des gens comme BHL (L’idéologie française a justement cet objet). Les gens ayant vécu cette période ont souhaité l’enfouir comme on oublie un cauchemar, et gommer les fautes pour lisser l’image. Le hold-up de De Gaulle a tenu jusqu’en 70.

    Sur Vertumne, la « religion » de la Shoah est, à mon jugement, une réaction au négationnisme. La force médiatique ne reflue aucunement comme base morale aux sociétés post-hitlériennes pour reprendre le jargon de P. Legendre. Le système a été édifié contre l’extrême-droite, et en réaction à le seconde guerre mondiale. La morale est devenue une série de mécanismes institutionnels sont innombrables, d’organes, de législation dont il faudrait au moins le temps, pour le défaire, qu’il a fallu pour le construire.

    Quand je lis des papiers d’extrémistes quels qu’ils soient, je vois qu’ils se réfèrent bon an mal an à la Shoah comme Mal absolu : vous trouvez aujourd’hui des skinheads blancs, noirs et arabes qui instinctivement et rhétoriquement emploie la Shoah à conforter leur morale. Exemple : les Indigènes de la République, la plupart des mouvements nationalistes chrétiens ouest-européens, etc.

    1. nicolasbruno

      Il me semble que Vertumne écrit que l’instauration de la Shoah comme une nouvelle religion a eu comme objet pour la Gauche de se doter d’une arme « Point Godwinienne » contre la Droite toute entière. Ce qui a très bien marché puisque cela a permis d’accuser même des centre-droit d’être des pro-nazis. C’est le fondement de la victoire morale de la Gauche sur la Droite, qui persiste encore aujourd’hui.
      Je ne vois pas en revanche en quoi la Shoah est une réaction au négationnisme. L’influence du négationnisme a été plus que largement amplifiée à dessein. Il ne représentait pas gand chose. Faurisson? pff En 74, le FN a fait moins de 1%…
      Vous écrivez « Le système a été édifié contre l’extrême-droite, et en réaction à le seconde guerre mondiale » (on dirait une redac de collège). C’est de la loghorrée démago-gaucho. Le Nazisme, c’est avant tout du socialisme. De l’hédonisme, du fantasme sans barrière comme dirait Legendre…
      Quant aux skinheads blancs noirs et arabes qui se réfèrent à la shoah comme mal absolu, cela me semble un peu confus toussa toussa…

            1. XP

              Vous êtes exigeant, vous.

              Je ne suis pas sûr d’être en mesure de vous satisfaire.

              Montrez-moi que vous êtes un vrai connard, une petite frappe délatrice qui maquille ses pulsions avec un vernis catholique ou progressiste, à la manière de Jacques de Guillebon ou Jérôme Leroy, et je verrais ce que je peux faire pour vous.

            2. dartagnan755

              Non, ce serait être sans ambition. Il faudrait que vous me haïssiez instinctivement. De sorte, sans modifier ma personnalité, je pourrai étendre le champ des caractères qui vous sont détestables. Mais pour cela, il faut que vous batailliez, que je puisse vous réduire à rien intellectuellement.

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