José Bertrand

Je fus avocat pénaliste, dans ma jeunesse.

Je n’ai jamais beaucoup aimé le job, il me rebutait, et si je n’avais pas peur des mots, j’avouerais que ça me faisait chier passablement, d’aller toutes les semaines à la barre….

Ma vocation à moi, c’était les fleurs et les oiseaux, les sciences inexactes, voire même un phare à dix kilomètres des côtes de la Bretagne que j’aurais gardé pendant soixante-sept ans, pour ainsi dire de ma nomination au poste jusqu’à la mort….Je n’aurais rien foutu de ma vie, personne ou presque ne m’aurait croisé, j’aurais passé mes journées à dévorer des revues de cul pour tromper l’ennui, mais c’est moi qui aurait évité une marée noire aux côtes d’Armor en agitant mes gros phares,… Deux ans plus tard, des enquêteurs américains auraient établi que c’est grâce à ma seule volonté, que le pétrolier s’est échoué assez loin pour que les plages ne soient pas salies, des reporters auraient tenté de venir m’interviewer en s’approchant de mon île à bord de petites embarcations pneumatiques, j’aurais dissuadé ce petit monde en lui tirant dessus, et le plus courageux de ces types aurait même essayé l’aventure à la nage… il serait presque arrivé à ses fins, il aurait été à trente mètres du rivage, à un moment, mais alors mon chien m’aurait averti, et j’aurais tiré sur cet inconscient avec ma carabine à plombs, celle dont je me servais dans ma petite enfance pour dézinguer les poules, à la campagne, dans les terres… Ca n’a l’air de rien, une carabine à plombs… Dans des circonstances ordinaires, ça ne fait pas bien mal, mais je vous jure qu’en pleine tête, en plein dans le front d’un type qui tente de ne pas boire la tasse alors qu’il ne sait pas bien nager, ça fait des dégâts.

Dans ma jeunesse, donc, j’ai fait l’avocat pénaliste et j’ai même défendu aux assises un petit arabe qui avait soit disant étranglé sa logeuse, une vieille dame qui lui reprochait de ne pas payer son loyer ou de ne pas coucher avec elle, je ne sais plus…. Ca se passait à Chalon-sur-Seine, une petite ville de province où il ne se passait jamais rien d’autre que des procès d’assises, parce que l’administration a ses raisons que la raison ignore. Non seulement je n’aimais pas le métier, mais pour le coup, je ne croyais pas du tout à mon dossier et je pensais vraiment qu’Ahmed avait tué Jeanine.

Ahmed, c’était un tunisien fluet d’1m62, et Jeanine était une matrone de 97 kilos qui avait un casier judiciaire, qui dans sa jeunesse s’était assise sur son premier mari, un maigre, pour l’étouffer et lui prendre tout son argent… Elle avait été acquittée au bénéfice du doute, mais selon le médecin légiste, elle lui a foutu sa chatte gargantuesque sur la bouche tout en lui pinçant le nez, et le pauvre garçon aurait rendu son dernier souffle après avoir livré les deux derniers chiffres de son compte chèque de la Banque Populaire… Ahmed s’était confié à ses copains de banlieue, et il leur avait dit combien il craignait que la grosse l’étouffe, au cours de l’une de leurs parties de jambes en l’air, et que c’était désormais elle ou lui.

Le Président du Tribunal, ce jour-là, c’était José Bertrand, 28 ans et déjà quatre enfants…. Un garçon dont on aurait juré qu’il était irréprochable, un ami intime de la députée Christine Boudin, un catholique…. Pendant l’audience, je me réjouissais que José Bertrand mette une telle ardeur à prouver l’innocence d’Ahmed, mais enfin, ça me paraissait louche, cette histoire…. A la fin, vers 21 heures, quand nous avons gagné parce que le petit Arabe a été acquitté, j’étais satisfait de moi-même, certes, mais je pressentais qu’il y avait un loup, comme on le dit vulgairement… Les trois sœurs de Jeanine, 97 kilos chacune, se sont mises à insulter mon client en lui promettant de lui couper sa bite dès que l’occasion se présenterait, elles ont fait des bras d’honneur à tous le monde, mais rien n’y a fait et la police a fini par faire évacuer la salle.

Comme Chalon-sur-Seine est une toute petite ville, il n’y a là-bas qu’un hôtel, et nous y étions tous descendus … Moi, ce soir-là, j’ai pris une douche, j’ai fait monter un croque-monsieur, j’ai regardé un peu la télévision pour voir si l’on y parlait de moi, et je me suis demandé encore une fois pourquoi nous avions gagné si facilement, alors qu’Ahmed avait vraiment trucidé Jeanine.

Vers minuit, je fus réveillé comme tout le monde par les sirènes de la police… Je suis allé à la fenêtre, et un policier m’a dit que l’hôtel était quadrillé, qu’on n’avait pas le droit de sortir mais qu’il ne pouvait pas m’en dire plus… J’ai foncé dans le couloir, et c’est alors que j’ai vu le Président Bertrand à poil, en train de courir après mon Ahmed et lui expliquer très fort qu’il venait de l’acquitter et qu’il devait payer sa dette… L’arabe aussi, était à poil, il hurlait le juge il veut me violer, sur la tête de ma mère et je vous assure qu’il faisait peine à voir…. José Bertrand a été placé vingt-quatre heures en cellule de dégrisement, puis il a été discrètement muté aux Prud’hommes, où il exerce toujours, à ma connaissance…. Ahmed, je l’ai revu. Il a vieilli. Il est maintenant chef de rayon dans une grande surface de bricolage… Il vend des vis et des perceuses, ainsi qu’un tas d’autres choses qui servent à faire des trous… A mon avis, il ne pourrait plus être acquitté par José Bertrand, de nos jours, il n’a plus le physique…..

Quant à moi, je vais bien. Enfin plus exactement, je fais comme je peux….

Je suis le factotum d’un collège privé en province, je fais ce qu’on me dit de faire, je répare les chaises, je taille un peu les arbres, je fais gentiment la police quand ces demoiselles chahutent trop dans les rangs, et j’ai un logement de fonction…. Pour le dire d’un mot, je suis peinard…. Je ne paye même pas d’impôts, ou pour être plus précis c’est Monsieur le directeur, qui s’en occupe et qui retient la somme sur mon salaire.

14 réflexions sur « José Bertrand »

  1. Hordalf

    « Alors, ah oui, je crois que ça devrait vous intéresser. C’était amusant, c’était quand j’étais avocat, j’ai plaidé un jour aux assises, ce qui m’est arrivé souvent.

    C’était une affaire assez grave, violence, coups, etc. Un jeune homme, assez beau, un peu maghrébin, comme ça. J’avais remarqué que le président qui conduisait l’enquête était plutôt indulgent. Alors je m’étais dit, c’est pas mal.

    Et puis, à la fin de la soirée, çà avait duré toute la journée, il est acquitté. C’était formidable comme résultat, j’étais déjà très fier. Et puis nous partons, nous emballons nos dossiers et on va à l’hôtel.

    Et dans la nuit, réveil de la fanfare, la police, les sirènes, je me réveille, moi aussi je me demande ce qui se passait.

    Alors qu’est-ce qui s’était passé ? Il n’y avait qu’un hôtel, c’était une petite cour d’assises mais importante, et on me dit : « Il y a un monsieur qui se promène tout nu et qui court derrière un autre garçon ».

    Alors je cherche et je retrouve mon président de la cour d’assises qui courrait derrière le type dans les couloirs, à poil, et qui se sauvait. Parce que, ce que j’avais pris pour un résultat de ma plaidoirie, en réalité c’était parce qu’il avait jeté son dévolu, il voulait avoir la suite, il voulait être payé en quelque sorte.

    C’était un président de cour d’assises assez curieux. On l’a déplacé après, on l’a mis au tribunal de commerce. »

    http://www.fdesouche.com/216338-sexe-et-justice-une-confidence-de-roland-dumas-video

    🙂

    1. XP Auteur de l’article

      Oui, c’est une histoire vraie. Je ne m’en suis pas caché, sans quoi j’aurais attendu que cette anectode racontée par Roland Dumas soit oubliée.

      XP est attentif aux faits-divers, comme avant lui Flaubert, Stendhal, Shakespeare et Tchechov.

      1. Restif

        C’est génial de pouvoir voir le travail de réécriture. D’un texte play, purement narratif sans nuls détails, rien que l’os, tu as fait « oeuvre de chair », donnée la vie, tout ça à d’un seul coup une âme, de l’épaisseur. Putain de beau boulot XP, sincère. La vie d’ma mère!

        1. XP Auteur de l’article

          Merci, mon cher Nicolas!

          Moi aussi, je suis satsifait de ce texte, parce que j’y réussi quelque chose que j’avais cherché avant sans toucher le but.

          Ce texte doit faire 3, 4 pages, pas plus, il y a un narrateur qui s’exprime, et il a trois profils: c’est un gardien de phare sans age, un jeune avocat, et un vieux concierge… En peinture, on appelle ça une mise en abyme…Et puis en arrière plan, il y a des personnages dont personne ne peut dire s’ils sont repoussants ou attachants: quatre soeurs physiquement monstrueuses, mais quatre victimes aussi, et un jeune arabe qui est à la fois une proie et un criminel…. Même le Président, qui a le rôle titre, a une épaisseur…

          Bref, je m’approche de la peinture, ici. Ca commence un peu à ressembler à ce qu’il y a dans ma tête, même si je suis encore loin du compte.

          Au passage, un grand coup de chapeau à Philippe Bouvard; Roland Dumas était venu pour vendre son livre de mémoire, et de toute évidence, cette histoire lui était sortie de la tête. Il l’avait zappée. Ici, Bouvard à un flair incroyable, il sent que l’autre à quelque chose à dire qu’il a oublié. Ca s’appelle le talent, ça.

  2. Rosco

    Intéressant. DSK serait-il acquitté s’il se tapait la juge ?

    Mais autre question plus importante, qui mériterait un post entier : quelle attitude faut il avoir face aux flics qui vous arrêtent et éventuellement vous place en G.A.V. – surtout quand on se fait coincer pour des actes et des violences à caractère, heu… nationalistes ? POur une fois qu’on a un pénaliste sous la main, faut en profiter.

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