Qu’est-ce qui choque dans le rappel quotidien du respect de la présomption d’innocence de Dominique Strauss-Kahn ? Mon ami XP est choqué par la présomption d’innocence. Pour ma part je suis choqué par l’injonction qui nous est faite de la respecter.
Il n’y a rien, a priori, dans le principe de la présomption d’innocence qui puisse me déranger. Je suis très heureux, par exemple, que la charge de la preuve revienne à l’accusation. Ou bien que le doute profite -en théorie- à l’accusé.
Maintenant il se trouve qu’en France, parce que nous sommes le pays de la limitation de la liberté d’expression et que nous avons des idées à défaut d’avoir du pétrole bon marché, le principe de la présomption d’innocence sert également à protéger la réputation d’innocence des accusés. C’est à dire qu’il convient non seulement que le mis en examen bénéficie de la protection de la présomption d’innocence dans toute la procédure judiciaire à son encontre, mais également en dehors, sur les marches du palais de justice, dans les rues adjacentes à ce palais de justice, dans le café du coin, dans les studios de télévision et, au final, dans la France entière.
Je viens de voir que quelqu’un en parle déjà très bien ici.
Il convient donc d’user de savantes précautions oratoires pour parler de l’accusé afin de ne jamais mettre en péril sa réputation d’innocence. Et ce jusqu’à ce qu’un jugement de cour statue autrement. Certains tentent même de faire préserver leur réputation d’innocence jusqu’à épuisement des voies de recours. C’est à dire des années et des années après que l’affaire ait commencé judiciairement, et ces mêmes années après que l’affaire ait atteint son plus haut médiatique. Si on rajoute à cela l’impossibilité qui est faite, ensuite, de rappeler qu’untel ou untel a été condamné selon le principe de réhabilitation légale ou judiciaire, le laps de temps pendant lequel un coupable aura été clairement identifié comme tel peut être en vérité très court.
Je viens d’écrire le mot de vérité ?
Certes, la vérité judiciaire n’est pas la Vérité. Personne ne pense cela. Il n’en demeure pas moins que c’est un moyen plus certain pour tenter de parvenir à cette satanée vérité que la lecture d’articles de presse rédigés par des journalistes.
Il est également certain que la présentation d’un accusé menottes aux poignets et sévèrement entouré par plusieurs policiers porte gravement atteinte à cette idée que la vérité des photos de presse se révèle généralement moins juste que la vérité judiciaire établie après un procès avec des débats contradictoires, des témoins ayant prêté serment et des preuves matérielles.
Plus encore, on peut considérer que le fait que le monde médiatique fasse d’un accusé un portrait essentiellement négatif pourrait être de nature à troubler le respect du principe de la présomption d’innocence lors du procès. On sait par exemple qu’entre un accusé lambda qui arrive directement de sa cellule entre deux gendarmes et un autre accusé lambda qui vient de garer sa voiture à côté du palais de justice, la perception de l’accusé par les jurés se retrouve totalement différente et que cette perception ne joue pas pour rien dans l’intime conviction qui se forge tout au long d’un procès.
Voilà pourquoi, par exemple, je me suis élevé ici contre les Juges des Libertés et de la Détention qui s’occupaient en dehors de toute légalité d’évaluer la densité d’un dossier d’un mis en examen pour savoir s’ils allaient le laisser en liberté avant son procès ou non. Il ne faut absolument pas donner l’idée aux jurés qu’arriver devant eux entre deux gendarmes est un signe préalable de culpabilité. Il faut, bien au contraire, qu’ils sachent avec certitude que l’homme entre deux gendarmes qui se trouve devant eux n’a pas été préjugé et que c’est en dehors de toute appréciation sur l’épaisseur d’un dossier qu’il ne se présente pas libre à son procès.
Or, il ne faut pas se méprendre, on peut très bien imaginer que présenter un accusé entre deux policiers, menottes aux poignets, dans de nombreux journaux, écrits ou télévisés, ait un effet comparable.
Il me semble absurde de nier cet effet possible.
Mais il me semble encore plus absurde que de vouloir le contrer en censurant les médias.
Premier argument, tenter de museler la presse a des effets pervers qui sont hautement dommageables. Et certainement plus encore qu’une photo d’un accusé avec des menottes aux poignets. Il y a tout d’abord le risque qu’on suspecte les élites -ou ce qu’on nomme le monde médiatico-politique. Ces élites mêmes qui sont presque les seules à se faire filmer quand elles se font arrêter. Suspecter de quoi ? De chercher ainsi à se protéger. D’autant que ceux qui n’appartiennent pas à cette élite capable de défendre sa présomption d’innocence dans les médias n’auront pas le droit aux mêmes égards de la part de la presse. Ensuite, on peut imaginer que ce système encourage un certain nombre de victimes à préférer fermer leur gueule plutôt que de porter plainte lorsque celui qu’elles mettent en cause est une personnalité. La publicité d’une plainte, d’une arrestation et/ou d’une mise en examen est, dans le cas d’un plaignant s’attaquant à une personnalité, une garantie d’un procès équitable et, allons plus loin, d’une bonne justice tout simplement.
Deuxième argument, cette médiatisation n’a pas forcément un sens univoque. On peut ainsi fort bien imaginer que ce traitement médiatique peut également susciter chez les jurés de l’empathie ou de la sympathie pour celui qui doit le subir.
Maintenant, on me répondra qu’on peut toujours, par principe, déclarer que cet étalage est à porter au préjudice de la défense. Pourquoi pas ? Ainsi, aux États-Unis, il serait formellement interdit au procureur de faire filtrer dans la presse des éléments du dossier pénal monté contre un accusé. Cette pratique porterait atteinte à l’obligation d’avoir un procès équitable. Et une même obligation est faite à toutes les parties. C’est un postulat. Dans le cas de figure qui nous occupe, il n’y aurait donc qu’à s’arranger pour que l’accusé ne soit pas en état d’être filmé ou photographié de manière considérée dégradante. On le fait sortir par une porte dérobée. Ou avec une voiture aux vitres opaques. Etc.
La différence principale ici étant qu’on ne cherche pas à museler la presse mais qu’on tente de fermer le robinet à la source.
Ce qui me semble être une chose tout à fait différente.
Et, oui, je pourrais concevoir un système tel que celui-là.
« Dans le cas de figure qui nous occupe, il n’y aurait donc qu’à s’arranger pour que l’accusé ne soit pas en état d’être filmé ou photographié de manière considérée dégradante. »
Mais c’est ce qui a été fait dans l’affaire DSK. On lui a mis un manteau pour cacher les menottes, on a vu en direrct les audiences, ou il a pu longuement s’expliquer via ses avocats, qu’une juge écoutait attentivement, qu’elle motivait longuement ses décisions en fixant bien le prévenu, on lui donnait du « Monsieur Strauss Kahn, etc.. »
En réalité, ces images n’étaient pas dégradantes. Elles ne l’étaient que pour ceux qui trouvent de toute façon dégradant qu’on ose arrêter un emminent représentant de l’état. A titre de comparaison, les images de l’arrestation de Gbagbe,en marcel elles, étaient dégradantes…
Entre parenthèse, on a vu l’intérêt de filmer les audiences.Onn a appris qu’il s’agit d’un élément d’information essenciel. On a appris un peu du fonctionnement de la justice Américaine, et surtout, on a vu une une et un procureur sans morgue, qui ne cherchaient pas à accabler le prévenu sous la solennité… imaginons une seconde que nous n’ayons pas eu les images, et imaginons les comptes-rendus par la presse française… Comment aurait été représentée la juge, par exemple?
Vous confondez. Entre filmer des audiences où l’accusation parle mais aussi la défense et faire défiler un bonhomme encadré par je ne sais pas combien de policiers dans une mise en scène savamment étudiée pour les médias et pour frapper l’opinion, il y a une différence notable. Une pratique me semble souhaitable. L’autre non. Qu’on ne cherche pas à imposer le respect du principe de présomption d’innocence aux médias ou au grand public est une chose, mais ici, dans cette démarche du « perp walk », il y a une volonté inverse d’influer et qui ne me semble pas plus honorable.
Peut-être.
N’empêche que moi, j’ai été content de voir ces images, et content que mes compatriotes les voient. Pourquoi? Parce que je déteste les socialistes? Ca doit jouer, et je vous accorde que ce n’est pas très avouable.
Maintenant, si je réfléchis, je me dis que j’aurais été furieux qu’elle soit cachée, et je pense que je l’aurais été parce que j’aurais vraiemnt eu l’impression qu’une information essenciel à la compréhention de l’affaire nous aurait été caché. Quelle est cette information? C’est que Strauss Kahn le canditat de la gauche, l’hyper notable auquel les socialistes assurent leur amitié et leur soutien est VRAIMENT accusé de crime sexuel.
Et ça c’est l’antidote à la volonté, justement, de préserver sa réputation d’innocence, c’est à dire de désinformer. Il me semble que ce discours aurait bien plus porté si on ne l’avait pas vu menotté. Le montrer menotté, concrètement, cela veut dire « regardez de quoi il s’agit vraiment ».
Oui, enfin Strauss-Kahn devant sa juge, négociant sa remise en liberté dans l’attente de son procès m’aurait personnellement suffit pour comprendre qu’il était VRAIMENT accusé de crime sexuel.
Le problème du « perp walk » est qu’il est institutionnalisé et mis en scène. Et que, à mon avis, même si la cour suprême n’a manifestement pas été d’accord, cette mise en scène est un vrai problème. On peut comprendre pourquoi elle a lieu, comme on peut comprendre en France les lois Guigou sur la présomption d’innocence, il n’en demeure pas moins que dans les deux cas l’erreur me semble manifeste.
« Oui, enfin Strauss-Kahn devant sa juge, négociant sa remise en liberté dans l’attente de son procès m’aurait personnellement suffit pour comprendre qu’il était VRAIMENT accusé de crime sexuel. »
C’est vrai.
Mais ça marche aussi dans les deux sens, non? Disons que ces images n’apportent pas grand-chose. Elles ne nous apprennent rien de plus que les images de l’audience, mais ne sont pas beaucoup plus « dégradantes ». C’est donc un sujet secondaire, presque un non-sujet. Pourtant on en parle beaucoup. Qu’est-ce q’ont derrière la tête ceux qui s’en offusquent? Quon n’aurait rien dû montrer du tout.
Je note que comme par hasard, ceux qui en font une affaire importante sont uniquement ceux qui sont attachés à préserver la « réputation d’innocence ».
Alors oui, vous avez raison, il n’aurait pas fallut montrer ces images-là. Mais avouez que ce n’est pas un truc à se réveiller la nuit.
Je ne sais pas si c’est tant mis en scène que ça. Ce n’est que parce que DSK est célèbre que ça se passe sous l’oeil des caméras, c’est la rançon de la gloire. C’est comme ça que ça se passe à New York et c’est tout, qu’on soit DSK ou un dealer de rues. Le délinquant local, à la rigueur, peut avoir droit à 30 secondes de célébrité sur une chaîne locale. J’ai assisté une fois en trois ans à un « perp walk » en pleine rue. Les flics se sont simplement approchés d’un type dans la foule, lui ont passé les menottes sans résistance de sa part et l’ont emmené à la vue de tous. Ca fait une impression bizarre, mais sans plus. Simplement la vie qui passe. Pas de jubilation, de réaction déshonorante dans la foule ou quoi que ce soit de cet ordre-là. Ce qui est sûr c’est que les flics ne viennent pas arrêter n’importe qui, n’importe quand en pleine rue sans raison.
Je ne comprends pas bien. Vous parlez d’une arrestation ou d’un « perp walk » ?
Ce n’est pas un peu la même chose ? Dans cette arrestation à laquelle j’ai assisté, il y avait un perp walk en puissance, si le type avait été high profile…
Je me suis très mal exprimé, ce n’est évidemment pas du tout la même chose. Le « perp walk » n’est en rien une catégorie juridique, mais (je suppose) une expression de journaliste. Je parlais donc d’une arrestation banale, et du fait que c’est déjà une perp walk, en miniature, dans la façon dont ça se déroule, pour le témoin visuel, et que ça ne devient un spectacle que si le suspect est une personne connue.
Je pense comprendre mieux. Il est fort probable en effet que le « perp walk » n’a vraiment du sens que si l’arrestation elle-même n’a pas été mise en scène pour les médias. Si DSK avait été arrêté en plein émission de télévision -ou en tout cas devant les caméras- l’intérêt de mettre ainsi en scène sa sortir du poste de police aurait été moindre.
« Ce qui est sûr c’est que les flics ne viennent pas arrêter n’importe qui, n’importe quand en pleine rue sans raison. »
On peut même penser que dans un pays qui oscillerait entre l’état de droit et la république bananière, on arait sans doute tendance à arrêter les gens sans raison, pour faire pression sur quelqu’un d’autre, par exemple, ou sans vraiment avoir de biscuit… Dans ces cas là, on doit le faire discrètement, pour le relacher tout aussi discrètement.
Paradoxalement, c’est une sorte de garantie apportée aux accusés, que de les humilier un peu pendant les arrestations. Ca veut dire que les flics ou le juge assument. Je pense que si vous êtes arrêtés pour de mauvaises raisons, vous avez envie que ça se sache, tandis que le juge qui veut faire faire un petit abus de pouvoir a surtout envie de garantir son anonymat et ceux des flics.
« Le Quatrième Amendement à la Constitution des États-Unis d’Amérique, fait partie des dix amendements ratifiés en 1791 et connus collectivement comme la Déclaration des Droits (Bill of Rights). Il protège contre des perquisitions et saisies non motivées et requière un mandat (et une sérieuse justification) pour toute perquisition. »
« « Le droit des citoyens d’être garantis dans leurs personne, domicile, papiers et effets, contre les perquisitions et saisies non motivées ne sera pas violé, et aucun mandat ne sera délivré, si ce n’est sur présomption sérieuse, corroborée par serment ou affirmation, ni sans qu’il décrive particulièrement le lieu à fouiller et les personnes ou les choses à saisir. » »
Donc un juge qui ordonne une arrestation ou les flics qui prennent sur eux d’aller arrêter un type (je ne sais pas comment ça marche, s’ils doivent avoir une autorisation) courrent le risque de violer un amendement de la constitution américaine. Rien que ça. Ca doit faire réfl »chir, et ca me semble une garantie des droits de la défense autrement plus sérieuse que le fait de ne pas le montrer en train de marcher avec des menottes.
En fait, c’est surtout les flics et le juge, qu’on montre et qu’on exxpose, dans un perp walk.
Soit le prévenu sera déclaré coupable, et il n’y aura aucun préjudice. Soit il sera déclaré innocent, et il examinera avec minutie ce qu’il peut faire des images de son perp walk.
Votre raisonnement est tellement spécieux qu’il en devient presque insultant.
A part ça, vous m’avez convaincu. Je viens de comprendre ce que vous me disiez. Je parle en effet de la réputation d’innocence quand je vise la présomption d’innocence… Je vous donne raison et je me donne tord… Enfin pas tout à fait:
Aristide, dans votre lien, dit ceci;
« Il n’est pas besoin d’être un éminent jurisconsulte pour comprendre que la présomption d’innocence dont il est question ici n’est pas la même que celle que nous avons détaillé juste avant.(…) Il s’agit de préserver sa réputation d’innocence dans l’opinion publique. »
la réputation d’innocence que je visais est bien nommée « présomption d’innocence » par le législateur français. Disons que je parlais de cette présomption d’innocence-là, vue sous cet angle-là… Mais il était en effet indispensable de préciser que c’est un abus de langage du législateur. En fait, vous ne
Le « perp walk » a une autre dimension : c’est une coutume issue du far west lorsque le sherif rentre triomphant d’avoir arrêté le suspect. C’est une récompense pour la police qui veut montrer ses résultats. Enfin c’est également un signal très fort envoyé aux témoins : le puissant est arrêté, ils peuvent cesser d’avoir peur et venir parler à la police.