J’aime bien quand dans un roman, l’écrivain explique son travail. Je préfère encore plus quand le propos est glissé dans l’oeuvre même plutôt que dans une préface ou un avant-propos, du style « faire concurrence à l’État civil ». Ainsi vous livre-je le dernier sur lequel je suis tombé:
« – Vous connaissez Edgar Poe, Conan Doyle, Agatha Christie, Dashiell Hammett, Raymond Chandler, Simenon?[…]
– Dans une affaire , vous avez les apparences et la réalité. Les apparences, c’est la scène de crime et tous les éléments du dossier. La réalité, c’est la façon dont les choses se sont réellement passées, le comment et le pourquoi.
– Mais on ne connait jamais exactement la réalité!
– C’est vrai, mais on a besoin de cette hypothèse. Sans elle, ce métier n’aurait pas de sens. Les reconstitutions seraient dérisoires.
– Exact, dit Marina, qui était toujours surprise de la fécondité d’une bonne reconstitution.
– L’enquêteur cérébral comme Poirot pense que derrière des apparences anarchiques, la réalité est logique et carrée. C’est pour cela qu’il cherche d’abord à reconstituer la réalité, sans perdre son temps à redresser une scène de crime confuse. L’intuitif comme Maigret croit que tout est illogique dans une affaire, sauf le coeur humain. Il va donc s’imprégner du milieu du crime, pour atteindre un état d’empathie avec le meurtrier. Le savant comme Sherlock Holmes croit que tout est logique, dans la scène de crime comme chez le meurtrier. une observation minutieuse va lui permettre de restituer l’enchaînement des causes qui a conduit au neurtre. Le cogneur comme Marlowe pense que rien n’est logique ni intelligible. C’est le plus sceptique de tous. Il va se jeter dans le désordre de l’action pour que le forfait se résolve en direct devant ses yeux. Il pense être l’étincelle qui va faire éclater la vérité. […]
– Je viens au concret. Dans un roman, le romancier donne à son héros une affaire adaptée à sa technique d’enquête et c’est pour cela que l’enquêteur réussit toujours…. »
Le testament syriaque, Barouk Salamé. C’est honnête sans être transcendant, si on vous le prête, pourquoi pas…sinon pas la peine.
Je ne peux que vous conseiller la lecture du livre dont l’image illustre l’article. Roman policier d’Imre Kertesz, qui n’en est pas un. Texte court, puissant, froid, distancié…un changement politique dans un pays indéterminé, probablement quelque part en Amérique du Sud…un fils de famille dans les mâchoires d’une dictature policière, des flics déshumanisés. Beaucoup y verront une critique des régimes militaires des années 60-70 dans ces contrées tropicales, alors que Kertész a connu les dictatures nazie et communiste…
Merci pour l’analyse, très intéressante.