A Kampala, Ouganda, depuis quelques jours et pour quelques autres encore, une partie de la fantasmée communauté internationale se réunit pour discuter de la révision du statut de Rome qui fonde la Cour Pénale Internationale (CPI).
Si on excepte l’article 124 sur l’exception des crimes de guerre que la France avait introduit en réserve au traité en 1998 et qui ne sera probablement pas prorogé, deux points préoccupent les belles âmes qui, depuis quelques semaines maintenant, s’agitent dans la presse.
Premièrement le principe de la compétence universelle et, deuxièmement, la définition du crime d’agression.
1/ La compétence universelle
Pour le premier sujet, tout est parti d’un projet de loi visant à mettre en conformité le droit français avec le statut de Rome fondant la CPI. Et, notablement, sur le lancinant problème dit de la compétence universelle. Vous savez, celle qui pourrait vous permettre aux tribunaux d’un pays d’inculper un homme qui n’est pas un de ses ressortissants pour des crimes graves (crime de guerre, etc.) qu’il aurait pu commettre dans un pays tiers.
On en a beaucoup parlé en Belgique il y a quelques années.
Avec Pinochet aussi.
Le projet de loi français tient à instaurer quelques solides restrictions à l’exercice de cette compétence universelle dans notre système juridique. Premièrement le justiciable doit « résider habituellement » en France. Les poursuites doivent exclusivement être initiées par le parquet. L’incrimination retenue doit également faire partie de l’arsenal juridique du pays où les faits ont été commis. Enfin, la CPI doit décliner sa compétence dans l’affaire pour que la justice française puisse s’en saisir.
Autrement dit, on met à la poubelle le principe de compétence universelle.
Et les amis de la CPI, ainsi que tout le cortège des belles âmes et des journalistes citoyens et concernés, s’émeuvent.
Et si ils s’émeuvent, c’est au nom du principe de subsidiarité. Qui veut que ce soit aux juridictions des pays membres de la CPI de juger les grands criminels. La CPI, elle, ne s’en chargeant qu’en cas de défaillance. Par ailleurs, disent nos amis de la CPI, le statut de Rome dans son préambule qu’il « est du devoir de chaque Etat de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ». Même si, juste après, il est souligné fort à propos que rien « dans le présent Statut ne peut être interprété comme autorisant un État Partie à intervenir dans un conflit armé ou dans les affaires intérieures d’un autre État ».
Quoiqu’il en soit le raisonnement semble imparable.
Il est pourtant faux.
Le principe de subsidiarité (ou de complémentarité comme on dit maintenant) n’avait nullement pour objectif de consacrer cet autre principe qu’est la compétence universelle. Tranchant avec le TPIY, il avait pour objectif de responsabiliser les Etats. Plutôt que d’aller chercher dans un avion de l’OTAN les criminels de guerre d’un pays pour les amener aux Pays-Bas afin de les juger au nom de l’humanité, la CPI reconnaissait aux Etats le devoir et l’utilité de juger leurs propres criminels. Que ce soit le pays dont le criminel était originaire, ou qu’il s’agisse du pays dans lequel il a sévi. La CPI n’intervenant a priori qu’en cas de défaillance de l’État.
L’idée n’était donc pas de faire juger un rwandais en France ou un serbe en Papouasie.
C’est un éminent problème de légitimité et d’utilité qui se poserait sinon. Problème auquel le TPIY se confronte d’ailleurs depuis plus de dix ans.
Et sans succès.
Je vais être très clair.
Le principe de subsidiarité et le principe de compétence universelle s’opposent de manière frontale.
La justice internationale tend naturellement, dans ses modèles type TPIY ou de compétence universelle, à déposséder les peuples de l’exercice des droits dits de l’homme. Karadzic n’est pas jugé en Bosnie avec un tribunal populaire. Non. On fait bien comprendre aux peuples que puisque ces crimes là sont infiniment graves et qu’ils frappent ainsi l’humanité entière, ils sont en quelque sorte incompétents.
Tout cela entraine l’idée que ces fameux droits de l’homme sont extérieurs à eux. Ces hommes aptes, eux, à juger, ce sont justement ceux qui ne proviennent pas de leur pays. Et des occidentaux pour l’immense majorité. Ce qui fait dire à beaucoup qu’il s’agit en vérité d’une énième ruse de l’occident pour intervenir dans leurs affaires.
Bref, les droits de l’homme, cela ne les concerne pas. C’est un truc d’occidentaux. Qui ont trouvé un nouveau nom pour s’ingérer dans les affaires des autres non seulement pour leur bien, mais cette fois pour le bien de tous.
Le principe de la compétence universelle traduit cette idée sans même la précaution d’une instance « internationale » comme l’est la CPI.
N’allez cependant pas croire que le principe de subsidiarité, s’il s’oppose au principe de la compétence universelle, se montre plus soucieux de la liberté des peuples.
En effet, ce dernier vise à permettre aux peuples du Sud de juger leurs supposés criminels selon les règles du statut de Rome -sans quoi l’Occident pourrait sévir. En clair, on demande aux pays du Sud de respecter des valeurs occidentales érigées comme des valeurs pour tout homme où qu’il soit sur la planète, faute de quoi les ressortissants de ce pays risquent le bâton occidental.
C’est un principe bien plus retors.
Ainsi, en tant que farouche opposant, depuis le commencement, à la CPI, j’espère ardemment que les belles âmes gagneront leur combat et que le principe de la compétence universelle sera adopté sans réserve par le parlement français.
Ce ne sera pas le cas.
2/ Le crime d’agression
Le deuxième sujet porte sur la définition du crime d’agression. En 1998, lors des discussions sur le statut de la CPI à Rome, les Etats-Unis et d’autres Etats n’ayant pas ratifié jusqu’à aujourd’hui ce statut (les Etats-Unis et les Etats qui ont encore l’ambition d’agir dans le monde) étaient présents. Si la définition du crime de guerre, du crime contre l’humanité ou du crime de génocide n’a posé aucun problème, celle du crime d’agression s’est vue reportée.
Cela devrait encore être le cas si les participants à cette conférence ont encore quelque espoir que les Etats-Unis, la Russie et autres pays rejoignent un jour la CPI.
D’autant que définir aujourd’hui un crime d’agression n’aurait aucun impact si les pays en capacité d’en faire ne sont pas parties au traité. Les Etats-Unis, la Russie ou la Chine sont membres du conseil de sécurité mais ils n’ont pas ratifié le statut de Rome.
Disons le franchement, le crime d’agression n’est qu’une vaste blague à destination des pays n’ayant pas les capacités d’agresser quiconque et qui peuvent donc y souscrire sans réserve. Ou alors en capacité d’agresser leur voisin à la limite. Ce crime concernera donc des pays comme l’Éthiopie et l’Érythrée, mais aucunement les Etats-Unis et l’Afghanistan ou l’Irak.
L’Afrique risque d’avoir le monopole des poursuites de la CPI pour encore longtemps.
La France et le Royaume-Uni, qui sont en capacité non de porter la guerre seuls mais de participer avec -ou sans- l’OTAN à de potentiels crimes d’agression sont quelque peu réticents. Cela se comprend.
Pour se les concilier il serait prévu que la CPI ne pourrait poursuivre le crime d’agression que si le conseil de sécurité a préalablement constaté qu’il y avait une agression. Au titre du fameux chapitre VII de la chartre des Nations-Unies sans doute. Cependant, au sein des belles âmes, un consensus se ferait sur l’idée qu’imposer un tel filtre (une résolution du conseil de sécurité) à la saisine de la Cour entamerait son image d’indépendance et d’impartialité…
On pourrait objecter que cette indépendance est déjà statutairement toute relative puisque la prééminence du conseil de sécurité sur la CPI se trouve inscrite noir sur blanc dans le statut de Rome. On pourrait rétorquer qu’enquêter sur un crime d’agression si le conseil de sécurité ne reconnait rien de tel dans une résolution prise au titre du chapitre VII sera rapidement intenable pour l’une ou l’autre des institutions. On pourrait ajouter que la définition du crime d’agression ne saurait être juridique mais forcément politique.
On pourrait observer un millier de choses qui devraient, dans un monde normal, renvoyer les partisans de la définition du crime d’agression dans les cordes.
Ou sur la lune.
Mais, encore une fois, je ne suis pas partisan de la CPI.
Je suis donc tout à fait favorable à la définition d’un crime d’agression.
Tant que le statut de la CPI ne sera pas signé par tous les Etats, tant que ce statut fixera des règles intenables pour les pays qui veulent et peuvent défendre leurs intérêts dans le monde, tant que les membres d’ONG rêveront le monde plutôt que de prendre acte de celui qui existe, tant que la CPI paraitra inefficace et gadget du fait de son maximalisme, tant que la CPI s’occupera de l’Afrique sans inquiéter la moindre puissance d’importance, alors la CPI s’enfoncera peu à peu dans l’oubli et le mépris.
Et cette vilaine et dangereuse habitude de juger le vaincu par le vainqueur sera abandonnée.
La guerre juste doit être celle qu’on mène non pour le droit, la justice, un dieu ou des dieux, ou je-ne-sais-quoi-encore, mais pour ses intérêts et sa puissance.
Aucune autre justification ne devrait jamais être apportée.
Je ne suis pas un fanatique de la transparence. Je suis juste pour que les grands de ce monde fassent ce qu’on attend d’eux. Qu’ils aient non seulement les avantages de l’exercice du pouvoir, mais aussi ses inconvénients.
Qu’ils se salissent les mains sans ambages pour que nous, nous puissions garder nos consciences propres.
Toutefois je sais que la démocratie tend à salir les mains des peuples entiers. Qu’elle accorde à ses élites la possibilité de vivre facilement avec les fastes d’antan mais sans les responsabilités qui vont avec. Je sais que parce que les peuples se trouvent en partie responsables des actions de leurs dirigeants, ils encouragent par exemple le discours de Villepin à l’ONU lors de la guerre en Irak. Ils encouragent l’inaction. Ils encouragent la molesse et la faiblesse.
Ne serait-il pas temps de changer de régime ?