Les 10 pires 31 décembre de ma vie

Parce que le réveillon de la saint Sylvestre est immanquablement le pire moment attendu de l’année, juste après le pot de noël de l’entreprise, sans alcool, ou votre anniversaire si vous avez plus de 30 ans et que vous êtes un homme, 22 pour une femme, en trouver dix lamentables n’est pas si compliqué. Non, ce qui l’est, c’est d’une part de s’en rappeler avec précision au travers les brumes  de spiritueux et les méandres du refoulement honteux, ensuite et surtout de hiérarchiser le pire. En saisir véritablement les nuances, ce qui ne va pas forcément de soi. Ne pas se laisser envahir par ce sombre sentiment de répétition n’est d’ailleurs possible qu’en augmentant à chaque coup la dose de pathétique. C’est un exercice d’esthète.

Le monde est finalement bien fait.

31 décembre de l’an 1997.
Un ami me convainc de monter à Paris, pour voir ce qu’est un 31 à Paris in the streets. Pour un jeune plouc de province, le plan semble aussi foireux qu’obligatoire. Les restos sont bondés, chers et mauvais. Les rues impraticables pleines de racailles et demi-putes avinées. Les douze coups sonnent alors que nous sommes près des Champs-Elysées. Devant moi une jolie blonde vomit et derrière un type ivre se fait bolosser. J’ai froid. Je suis fatigué. Il n’y a plus de taxis. Le métro est plein à craquer avec les odeurs correspondantes. Les trains aussi le lendemain matin. Je dors assis par terre près des toilettes dans le Paris-Nevers.

An 1983. Mon premier 31. J’ai quatre ans. A 23h36 je descends dans le salon, avec mon doudou, parce que je ne dors pas à cause de la musique. Ce sont mes parents qui font une soirée à la maison. Ils sont trop saouls pour s’apercevoir ou s’émouvoir du fait que je sois levé à heure pareille. Eux et leurs amis gesticulent dans tous les sens, parlent et rient fort, sont rouges et luisants.  Je découvre ce qu’est le monde adulte lorsque les enfants sont totalement oubliés. C’est effrayant. Je fais la connaissance de ce sentiment d’abjection que provoque la claire vision de l’inéluctable déclin de l’âge, une espèce de weltanschauung précoce. Impuissant à changer le monde, j’entame une légère régression en suçant mon pouce, puis remonte me coucher et relis d’un œil moins critique mon album d’images concernant l’amitié entre un ourson et une abeille .

An 2001. Après un court passage chez mémé, je redescends dans cette charmante ville de province dans laquelle je fais mes études. Réveillon dans le milieu étudiant, donc. Il y a des filles, l’alcool coule à flot, l’appartement-une colocation où je n’habite pas et dont je n’ai pas à me soucier de la propreté- est grand, chaleureux et confortable. Même la musique est bonne. Des joints tournent. J’abuse de tout et, vers 2h 33, juste avant que je ne m’ apprête à proposer de raccompagner la fille qui m’a roulé un patin 15 minutes plus tôt, je fais un tour aux toilettes. J’ai ensuite ce qu’on appelle un trou noir. Je me réveillerai dans la baignoire de mes hôtes festifs le lendemain matin, avec une légère angoisse et des effluves diverses émanant de mes propres vêtements.

An 2002. Je suis grand. Je suis clean. J’ai une copine, A, depuis plus de quatre mois. Une copine présentable. Le 31 on ne se retourne plus la tête. On fait du ski la journée, on rentre tôt et on prépare un vrai dîner pour une douzaine de personnes matures et habillées pour l’occasion. Ensuite on fait une after chez des amis dans la même situation. Vers deux heures du mat, au sommet de cette lucidité alcoolique et euphorique lorsque tout va au mieux, alors que je tiens mon amie dans mes bras et que Sunday Bloody Sunday passe à fond dans la chaine, B, une jolie brune, me fait de l’œil. Je constate que je suis trop jeune pour mourir et décide de larguer A. Ce que je fis la nuit même. Le lendemain, j’étais seul, avec tout de même une gueule de bois. Un état qui ne m’a quasiment pas quitté de l’année entamée.

An 1995. J’ai 16 ans. Soirée dans une salle municipale louée par deux filles qui fêtent leur anniversaire en même temps que la nouvelle année. Je suis très amoureux de l’une d’elle : S. S a mis une robe et s’est maquillée et est sublime. Je bois trop pour la première fois de ma vie. Je me sens mal et m’assieds sur une de ces chaises alignées le long du mur. S vient me voir, s’accroupit devant moi et me demande si je vais bien en posant sa main sur la mienne. Il fait sombre mais ses longs cheveux châtains reflètent les spots rouges et bleus, alors qu’elle me répète sa question pour couvrir  Time of my life – dansé à cette époque comme un slow-je suis hypnotisé par ses lèvres. Je réponds oui et souris bêtement. Un garçon plus âgé arrive et lui propose de danser. Elle accepte. Je n’arrive pas à les quitter des yeux et la chanson semble être aussi interminable que leur baiser.

An 2003. Boutchiboutchiboutchi-bibibibi-boutchiboutchiboutchibou… Il est minuit vingt-cinq. Je suis célibataire. Dans une boite. Je veux pécho. Je bois. Je pécho. Je roule des pelles. Je suis vénère. Je branche toutes les filles. Un type n’apprécie pas. Je finis explosé dans la rue par les videurs racistes qui manifestement ne comprennent ni le deuxième ni le premier degré.

En fait, pas si mal. Je devrais le retirer de la liste.

An 2000. Avec trois amis mâles dont certains sont en couple, nous décidons de faire une soirée orgiaque entre couilles. Ce qui signifie très vulgairement : alcool, herbe de qualité, ligne de coke, boite branchée parisienne. Tout est parfait. Même, à l’aller, cet ami qui ressort de la rame de métro à l’arrêt, du début de la ligne, bondée, pour aller vomir sur le quai sous les cris de deux cents touristes italiens hilares et chauffés à blanc. La boite est idéale. Un mélange de vulgaire et de branchouille de l’époque Pigalle-90’s. On a une table. A cette époque, on peut fumer. Les filles sont superbes. La musique idéalement merdique. Je baigne dans le beat comme un connard. Le succès est au rendez-vous. Je galoche une superbe brésilienne en robe très très courte qui accompagne des types louches qui parlent russe, sans avoir échangé un mot avec elle. Elle joue avec ça et semble provoquer son ami mafieux dont je me demande s’il a une arme sur lui, qui la cherche des yeux, affalé derrière sa table pleine de bouteilles de Roederer à moitié vides et de restes de coke prise devant tout le monde dans l’indifférence générale. Le lendemain, un ami m’assurera que la fille était un travelo et son mec un mac.

An 2004. Maison de campagne, un manoir pour être exact, en Normandie. A part moi, tout le monde est venu en couple. Certains avec enfants. On passe la première partie de la soirée à me plaindre à demi-mot puis la seconde à se plaindre de la charge que constitue le fait d’avoir des enfants, avec moult détails, comme le problème des places en crèche, que l’absorption d’alcool ne semble nullement relativiser. Mais je parviens à sombrer dans une agréable torpeur, au moins on ne parle pas de politique. Certaines personnes ont été croisées les années précédentes, c’est dingue comme elles ont vieilli. J’ai mal pour elles. Une mère, de deux enfants de trois hommes différents, si j’ai bien compris, éclate en sanglots lorsque je lui demande si elle est heureuse, sans arrière-pensées. Son dernier compagnon en date me fusille des yeux tout en la réconfortant.  A minuit j’ai envie de dormir. A une heure, je suis couché et un type ronfle très fort dans la pièce d’à côté. Je me dis qu’il faut que je change quelque chose dans ma vie. Au petit matin, lorsque les ronflements cessent, je n’ai toujours pas trouvé quoi.

An 2009. Chez moi avec des amis. Je suis avec M, une fille jolie, enjouée, docile. En un mot : parfaite. Je gagne bien ma vie sans être dégouté du travail. C’est simple, mon quotidien ressemble à une publicité, une publicité pour des assurances. C’est à ça que je pense. Je pourrai tout perdre. Je n’ai aucune garantie. Je commence à être odieux : j’humilie ma compagne, je dis à mes amis ce que je pense d’eux. Je tente l’expérience. Je teste leurs limites. Qui étaient bien minces. J’en étais  sûr.

An 2010. Parce que ce qui n’a pas encore eu lieu me stresse déjà. Cette liste, loin de me confirmer que je ne risque plus rien, me prouve bien au contraire que je suis un petit joueur pataugeant dans des marécages de banalité. Pour remédier enfin à cette pénible fatalité du 31, je décide cette fois de tout faire foirer de manière minutieusement préméditée. J’envisage déjà de me déguiser en clown et lis les modes de fabrication de bombes artisanales sur le net.

A moins que.

A moins que je n’opte pour la méthode dure, l’ultima ratio : être heureux. Et le faire savoir. Bruyamment. Ostensiblement. Preuves à l’appui. Oui je sais, c’est dégueulasse, je vais peut-être un peu loin, je ne devrais pas écrire ça sur le net, des personnes fragiles et influençables nous lisent, bla, bla, bla… Mais on n’a pas trouvé mieux pour foutre définitivement en l’air le 31 des autres. Même les plus optimisto-festifs. Alors, la masse, vous pensez. Ouaip. Moi je vous le dis : je vais en pousser plus d’un au vodka-valium. Ça va être un carnage. J’espère pour vous qu’on ne va pas se croiser.

8 réflexions sur « Les 10 pires 31 décembre de ma vie »

  1. la crevette

    « être heureux. Et le faire savoir. Bruyamment. Ostensiblement. Preuves à l’appui… Ça va être un carnage. »

    Ah Sorpasso, quelle délicieuse décision enfin! Mais je crois votre conclusion de carnage erronée. La vision d’un homme authentiquement heureux possède des vertus curatives insoupçonnées sur les êtres fragiles et influençables. Vous allez requinquer plutôt que détruire ceux et ceusses qui vous entoureront!
    Le spectacle d’un vrai bonheur (souvent silencieux d’ailleurs, discret, mais qui retentit cependant, vous avez raison, comme le tonnerre)est quelque chose de rare et de précieux. Les gens apprécient toujours, c’est un luxe inouï, que l’on a envie d’imiter ou de posséder.Alors, n’hésitez plus, soyez heureux et faites d’un 31 nécessairement raté quelque chose comme « la possibilité d’une île » pour les autres.

  2. Restif

    J’aime beaucoup 83 et 95 (non que je prise peu les autres, mais déjà l’adulte mature est là,ce personnage obligatoire,nécessaire, mais que je connais peut-être un peu trop bien…)Et puis, ces 83 95, il ont un parfum d’innocence et de douceur qui a le charme de ces sourires de grands timides intelligents quand ils s’ouvrent d’un coup à la chaleur d’une conversation.
    Je trouve que vous n’avez pas, somme toute, tant à vous plaindre de ces 31. Au moins ce sont des souvenirs, ils ne sont pas passés comme autant de rêves fugaces, une vague présence sur un chaise à un repas de famille…

    Poussez , poussez au valium vodka .Ceux qui en useront seront également heureux (jusqu’au lendemain), c’est leur entourage qui va savourer VRAIMENT le mélange! On vous bénira dans les chaumières…

  3. Lödni

    @ Sorpasso : « Je me réveillerai dans la baignoire de mes hôtes festifs le lendemain matin, avec une légère angoisse et des effluves diverses émanant de mes propres vêtements. »…

    … « des effluves diverses »… Si l’on comprend bien, vous assimilez « diversité » à vomissure et/ou compissage et/ou autres joyeusetés post-ivrognesques. Je vous prédis que vous serez un des premiers en camp de redressement antiraciste. Notez que cela peut présenter quelques avantages, comme les premiers détenus allemands de Dachau l’ont réalisé au fil des années.

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