Le procès Papon avait été filmé. Il aurait du être largement diffusé depuis longtemps -comme la loi le prévoit dans le cas des procès pour crimes contre l’humanité. Il ne l’a été que confidentiellement. Peut-être que cette frilosité tient au fait que le procès a été un fiasco complet et une plaisanterie jusqu’à son verdict. Peut-être faudra-t-il attendre 2048. Le procès Papon s’est tenu plus de cinquante après les faits, la diffusion libre du procès Papon aura sans doute lieu cinquante ans après que le procès ait été tenu.
J’espère qu’on me laissera le regarder à l’hospice.
Je dis tout cela parce qu’un nouvel exercice passionnant de justice et de mémoire (certains disent d’histoire) va bientôt se dérouler à Paris.
Le procès des années Pinochet.
Sans Pinochet.
Sans les principaux accusés.
Et en fait sans aucun accusé du tout.
C’est ce qu’on appelle un procès par contumace. Ou, autrement dit, un procès pour rire. Ou, autrement dit encore, un procès pour les victimes et l’histoire. Les victimes de l’histoire. Cette dernière n’a cependant rien demandé à la justice et la jugera peut-être sévèrement ensuite. Folle hubris que de vouloir dire l’histoire dans les prétoires… Mais que voulez-vous ? On sent chez certains professionnels du droit un dépit terrible. D’où cette atroce manie de déclarer comme historiques les procès avant même qu’ils ne soient tenus. Et de se faire ses petites archives télévisuelles.
Les journalistes sportifs font exactement la même chose avec des sujets moins sérieux et des statistiques. Puis, à la moindre nouveauté ou anomalie dans ces dernières, ils décrètent des évènements historiques. Le PSG a gagné trois matchs de suite. Cela n’était pas arrivé depuis 1986. C’est historique.
Les accusés chiliens et autres qui ne se retrouveront pas à Paris pour leur procès ne seront pas jugés -en leur absence- selon le principe de compétence universelle. Principe qui veut qu’on puisse juger partout dans le monde les auteurs des crimes les plus graves, quelques soient la nationalité des auteurs ou des victimes ou encore du lieu où a eu lieu le crime. C’était en application de ce principe là que le juge espagnol Baltasar Garzón avait rallongé le voyage de Pinochet à Londres en 1998. Mais pas de compétence universelle cette fois.
Autant dire qu’il va être rapidement assez compliqué de trouver quoique ce soit d’historique à ce procès.
Qui se concentre donc sur les victimes françaises sous Pinochet. Parmi lesquelles on trouve un conseiller de Salvador Allende et un ancien prêtre « reconverti dans la réforme agraire ». Et deux membres du Mouvement de la gauche révolutionnaire (MIR), qui était un mouvement de lutte armée rêvant d’une société sans classe après une transition de dictature du prolétariat. Les deux premiers ont disparu dans l’effervescence du coup d’État. Les deux autres ont disparu bien après. L’un en juillet 1974 au Chili. L’autre en novembre 1975 en Argentine, après avoir été arrêté au Chili en octobre 1973, détenu un an puis expulsé en France.
Disons les choses clairement. Les deux premiers sont -avant tout- des dommages collatéraux. Victimes de la situation avant de l’être des hommes. Tandis que les deux seconds sont des mercenaires tombés au front. Et depuis quand les mercenaires sont-ils des victimes ?
On fait donc un procès par contumace avec rien du tout.
Ni accusés. Ni victimes. Juste des avocats, des magistrats, des « grands témoins » (traduisez des témoins qui n’ont rien vu) et des familles de disparus.
Je ne veux pas avoir l’air de donner des conseils à ces familles des disparus, mais un colloque aurait été très bien aussi. Alors, oui, je sais que que rien ne vaut la solennité d’une cour d’assise, même sans jury populaire. Mais peut-être était-il possible de louer la salle ? Et pour la mise en scène, je suis sûr que Robert Hossein, qui acquittait Seznec au théâtre il y a peu, s’en serait très bien chargé. Avec la juste la dose d’émotion qu’il faut. On aurait même pu ressusciter Pinochet pour l’occasion. Avec peut-être Michael Lonsdale dans le rôle ? Ou Kad Merad ?
Tout ceci est tout à fait normal, qu dis-je, « citoyen » !
Il est impératif de sacrifier au « devoir de mémoire » et, par la même occasion, d’entretenir la flamme de l’antifââchisme qui risque de s’étioler sous la double pression du risque de « réveil nauséabond de la conscience identitaire souchienne » d’une part et des soucis liés au crédit pour l’écran plat et au prix de la semaine chez FRAM d’autre part…
Et puis, c’est nécessaire pour justifier les « évènements publics en marge du procès » comme les fins de mois des permanents de la Ligue des Droits de l’Homme et autres officines subventionnées.
Louer la salle ? Avec metteur en scène et régisseur au tarif horaire de Robert Hossein ? Vous n’y pensez-pas ! Pas d’indemnisation à attendre des accusés donc pas de recettes. Le budget de la justice est là pour pourvoir à tout. Et puis ça contribue à la valorisation du métier pour la magistrature : c’est plus reposant et gratifiant d’écouter les péroraisons de Me Katz et de prononcer un verdict virtuel contre une dictature que de se farcir à la chaîne des dealers, des violeurs et des braqueurs… qui peuvent attendre.
Bref, tout baigne.
Si tant qu’à faire on pouvait en profiter pour faire le procès d’Allende…
C’est fascinant combien la gauche a réussi et continue à réussir à utiliser cette période de l’histoire du Chili à son avantage, comme presque seule arme de défense à l’échec du communisme et à ses millions de morts.
La reconstruction historique, la diabolisation de Pinochet, la glorification d’Allende ne servent qu’à cela.