Pour moi c’est Bruno et pas Marine.
Je m’empresse de dire que c’est une affirmation purement gratuite : je n’ai jamais été membre du FN, n’ai pas l’intention de le devenir, je ne voterai donc ni pour l’un ni pour l’autre dans cet affrontement pour le contrôle de l’appareil du parti.
Un détour : les deux maladies
Qu’on me permette un premier détour dans ce billet. J’écris bien : affrontement pour le contrôle de l’appareil du parti, avec une sorte de délectation. Car la première leçon de ce scrutin c’est qu’enfin le FN devient un parti politique, non plus un machin folklorique rempli d’une abominable quincaille de vagues idées patriotiques ou dévotes. Anecdote : lors de la scission FN-MNR, il y eut une réunion déterminante où les mégrétistes allaient l’emporter. Il fallait gagner du temps, celui de convaincre quelques caciques et autres personnages de retourner au bercail lepéniste avec leurs troupes. C’est Roger Holeindre qui a eu l’idée géniale qui sauva Jean-Marie Le Pen : il s’est levé et a commencé à entonner La Marseillaise. Par le premier couplet. Jusqu’au dernier. Il doit être l’un des derniers Français à savoir tous les couplets, hors peut-être les chorales militaires. Pendant ce temps, en coulisse, on mit à profit ces longues minutes pour promettre aux uns, conseiller amicalement les autres, flatter les derniers. Les mégrétistes avaient perdu. À quoi cela tient-il, hein ? Cette fois le trait était un peu gros, mais ce genre d’affligeante manipulation fondée sur le folklore tricolore a eu ses grandes heures, dans tous les domaines, au FN. À bien des égards elle a servi de cohésion artificielle, de pauvre ersatz aux idées manquantes et, finalement, de méthode de gouvernement du Front. Mais on peut espérer que l’institutionnalisation de la compétition pour la tête du parti va permettre d’en finir avec ce genre de grotesques manipulations pour comices nationalistes.
Un parti donc avec des courants, des gens qui s’affrontent, des visions différentes de l’avenir. On semble bien par le fait même en avoir fini avec cette calamité qui était la couche la plus profonde et la condition des phénomènes que je viens d’évoquer : l’idée grotesque qu’il suffit de tous s’unir pour gagner, cette désespérante ritournelle de l’union, cet avatar handicapant du mythe de la volonté unanime que nous ressortent encore quelques militants, pour déplorer que tout le monde ne s’embrasse pas dans les plis du drapeau, Bruno président et Marine candidate ou l’inverse. L’effacement de Jean-Marie Le Pen – dont on ne dira jamais assez combien il fut un personnage déterminant en agrégeant autour de lui des tendances disparates à un moment où l’extrême droite française était devenue quasi-inexistante à force de divisions et de faiblesse — cet effacement aura eu le mérite de porter des coups aux deux pires bêtises qui ont empoisonné la droite dite nationale : le mythe de l’union et celui de l’homme providentiel. Fin du détour
Deux visions
Deux visions s’affrontent donc dans ce scrutin et c’est en soi une bonne chose. Quelles sont-elles ? Ouvrons les gazettes : d’un côté Marine, qui voudrait dépoussiérer le Front, en faire « une machine de conquête du pouvoir », qui semble aussi avoir une ligne plus sociale. Bref une sorte de jeunesse, de changement, yes she can et tout ça. On a bien compris que cela séduisait, de Libération jusqu’à l’hebdomadaire people gaulliste Paris-Match. Certains précisent qu’elle serait favorable au sionisme ou hostile à l’abrogation de la loi Veil. De l’autre côté Bruno, censé représenter la vieille garde, sorte de réunion à mi-chemin entre un congrès d’anciens combattants et des gardiens du temple en procession, un peu grognons, un peu réacs. Bruno qui séduit moins la presse, qu’on pense plus vieille France : catho, royco, poussière des siècles. Moisi diraient certains.
Bien plus : les soutiens des uns et des autres à l’intérieur de la famille nationale semblent ouvertement accréditer ces idées toutes faites forgées par une presse dont on a toutes les raisons de se méfier quand on veut bien se souvenir du traitement infligé par elle dans le passé au Front national. Par exemple, Nation Presse Info soutient Marine en expliquant à quel point ce sera chouette de faire du FN une machine à gagner. Ainsi Jérome Bourbon, du fond de son sectarisme borné, explique non sans humour que Bruno est le seul digne de confiance si on ne veut pas voir un char du FN à la Gay Pride.
J’avoue être, dans un premier temps, assez peu attentif à leurs arguments : d’une part ils recoupent trop pour être honnêtes les visions sommaires et niaises de la presse française pour laquelle nous n’avons ici qu’un compact mépris, d’autre part ces déclarations idéologiques m’intéressent peu. Comme les labels des poulets fermiers, elles sont là pour attirer le chaland et provoquer une fausse impression qui recouvrira la compulsion d’achat, il faut regarder ce qu’elles masquent comme pratiques. Et à défaut de pratique du pouvoir dans les cas qui nous occupent, il faut faire le tri dans les déclarations politiques précises des deux candidats.
Pour y voir clair, parlons politique, pas convictions affichées ou prêtées.
Nouveau détour : la troisième maladie
Car, qu’on me permette ici un nouveau détour, s’il est une troisième maladie de la droite dite nationale, après l’homme providentiel et l’union, c’est celle d’une certaine vertu de la sincérité et de la volonté. Ceux qui se souviennent de Barthes… oui j’entends pouffer les réacs professionnels qui font conviction de ne lire que Bloy et Bernanos ; laissons les pouffer, ils sont si verbeux qu’ils nous retarderaient trop — ceux qui se souviennent de Barthes donc, évoqueront ici la mythologie sur Poujade et l’équivalence ; appelons donc ça la maladie de l’équivalence. Dans le monde simple de la droite nationale, les éléments politiques et moraux se correspondent symétriquement, et sont donc susceptibles de compensation symétrique à fin d’annulation pour retrouver un ordre dit normal ou naturel, y compris ordre des choses politiques. À la volonté mauvaise des comploteurs juifs ou franc-maçons, il faudrait opposer une volonté droite. À la dissimulation qu’on prête à l’ennemi, il faudrait opposer une claire sincérité. Ils sont pourris ? alors tête haute mains propres. Ils ont pour arme la combine électorale et la tractation politique ? alors il faut refuser tout compromis et l’appeler compromission. Le père de tout cela c’est un peu Maistre, qui n’a pas compris que, si : il faut de toute évidence une révolution en sens inverse, et pas l’inverse d’une révolution, impasse éthérée où depuis si longtemps se complaisent des gens qui passent leur temps à faire remarquer combien ils ont les mains propres alors qu’ils n’ont simplement pas de mains (ironie supplémentaire, la formule fut inventée pour parler des kantiens qu’ils haïssent tant…)
La conséquence de ce déplorable état des mentalités à droite est évident : chaque fois qu’il y a quelque chose d’essentiellement politique à faire, chaque fois que c’est précisément la transaction et la négociation qui sont en jeu, ils trouvent un truc pur et candide pour se draper dedans et ne rien faire. Les autres, « le système » réussirait par un mal qu’il faut annuler ainsi, par une duplicité qu’il faut combattre en claquant son étendard au vent, par de mauvaises intentions dissimulées qui doivent inciter à en avoir de bonnes hautement proclamées, même au prix de toute efficacité prévisible.
Évidemment, ça foire depuis vilaine lurette et cela se résume surtout à une manière de n’arriver à rien de politique puisqu’on ne fait rien de politique, ayant récusé les conditions mêmes de l’action politique au profit d’une supériorité morale — qui peut-être réelle d’ailleurs — mais qui ne conduit qu’à sa propre célébration, qui plus est chantée entre soi.
Qu’on me permette un court détour dans le détour : de là vient aussi l’invraisemblable haine envers Nicolas Sarkozy que l’on constate de plus en plus parmi les idéologues du Front National, haine absurde qui les ferait bien un jour voter Aubry, haine fondée sur l’idée que Nicolas Sarkozy aurait « volé » des voix (comprenez qu’il a su en faire une majorité, lui, qu’il a su être politique, précisément).
La question importante
Les deux premières maladies de la droite dite nationale, l’homme providentiel et le mythe incantatoire de l’union, on l’a vu, sont à peu près éliminées du fait de l’effacement de Jean-Marie Le Pen et du fait même d’un processus de désignation de son successeur où deux candidats s’affrontent. L’un de ces deux candidats est-il à même de faire tant soit peu reculer cette troisième grande maladie de la droite nationale, la maladie de l’équivalence, que je viens d’évoquer ?
C’est à mon sens la seule question importante de cette élection.
Donc, en la traduisant de manière politique, de manière politicienne, quelles sont les stratégies possibles ? Et l’une d’entre elle nous ferait-elle avancer dans cette voie ?
À Marine Le Pen, on prête généralement dans la presse l’intention de s’allier avec l’UMP. Fort bien. Mais cette intention est-elle vraisemblable et l’a-t-elle elle-même proclamée ? Un premier indice est qu’elle se présente comme l’héritière de son père. Ce point pourrait être débattu si Jean-Marie Le Pen avait tenu une sourcilleuse neutralité entre les deux candidats. Son parti pris pour Marine, assez transparent, ne laisse place à aucune ambiguité, même s’il est bien évident que Bruno Gollnisch doit lui aussi de quelque manière, aussi bien tactiquement que par conviction, s’en dire héritier. Or quelle a été la stratégie constante de Jean-Marie Le Pen ? celle de « l’assèchement du marigot », du refus constant de toute alliance, ou du moins de la solliciter clairement et régulièrement faute, il est vrai, qu’elle lui ait été proposée… avec le succès que l’on sait : 20% en 2002, score inespéré réalisé au pire du discrédit de Jacques Chirac. Score insuffisant. De plus, Marine a récemment répondu sans nuance à la proposition, sans doute intéressée, mais c’est la loi du genre, du député UMP Vanneste : « pas d’alliance » a-t-elle redit de manière qui plus est assez désagréable pour ledit député, qui n’est pourtant pas le pire de la bande.
Inversement, on prête à Bruno Gollnisch une raideur toute catonienne, on prophétise qu’avec lui toute alliance sera impossible. Je ne sais pas si cette raideur est dans son caractère. C’est un homme qui paraît urbain et usé aux jeux d’assemblée du Parlement européen. Surtout, il a récemment répété à plusieurs reprises qu’il pourrait tout à fait envisager une alliance avec l’UMP sur la base négociée de la réalisation d’une partie du programme de Front. Pour du changement en voilà. Et pas du côté où les gazettes nous le promettaient.
La rupture avec notre troisième maladie de la droite nationale, ce mélange d’arrogance morale qui croit suffire à tout et d’intransigeance impolitique, elle semble bien être du côté où la presse ennemie qui prend parti pour Marine se garde bien de la souligner.
Il ne suffit pas de dire qu’on veut faire du Front une machine à gagner les élections. Il faut encore dire comment. Avec des alliances négociées pour transcrire dans les textes et les pratiques une partie du programme du FN, dit Gollnisch. On peut en discuter, on peut apporter des réserves, peut-être. Reste qu’il y a là une stratégie cohérente, vraisemblable et qui a le mérite de rompre dans une certaine mesure avec ce qui a constamment failli depuis trente ans.
Je ne vois rien d’aussi cohérent, d’aussi vraisemblable, d’aussi précis chez Marine, dont la volonté de rupture avec ce qui a failli paraît moins nette, malgré quelques formules vagues ou toutes teintées d’un volontarisme d’autant plus suspect qu’il participe à notre maladie de l’équivalence et l’entretient dans l’esprit des militants (en face ils seraient pourris et ne diraient pas ce qu’ils veulent faire, il suffirait d’être honnête et de déclarer volontairement ses intentions en face d’eux pour gagner naturellement).
Les questions secondaires
Et cette question centrale, telle qu’elle est et telle qu’on nous la présente au rebours de ce qui est, me semble aussi commander aux questions secondaires, celles que l’on agite constamment.
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L’avortement et la loi Veil. D’abord je ne suis pas sûr que le sujet intéresse tant de monde que cela dans la population générale (et je m’empresse de dire que personnellement il m’est indifférent tant qu’on ne pose pas la question de quelles populations sont avortées ou non — c’est un débat qui déborde ce billet). Mais c’est l’un de ces sujets pièges que l’on agite facilement dans une élection interne. Il est bien évident que personne ne peut parvenir au pouvoir en proposant d’interdire l’avortement, quoi que prétendent quelques maniaques qui ne mesurent pas à quel point cette exigence est devenue un repoussoir absolu pour la plus grande partie de l’électorat. En revanche, dans un cadre politique de participation au pouvoir, il serait possible de poser des jalons qui, dans l’avenir, permettraient sans doute que la question puisse redevenir simplement audible et débattue. C’est donc plutôt la candidature Gollnisch qui me semble susceptible de faire progresser ce point, car sans pied dans la porte des institutions, comment poser ces jalons ? Et sans poser ces jalons comment poser la question sans être ipso facto disqualifié pour prétendre la résoudre un jour ? À moins que le ciel ne s’entr’ouvre je ne vois pas…
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L’antisémitisme. Marine serait sioniste, ouverte aux juifs, trop disent certains. Bruno serait le contraire. Il est vrai que là plus qu’ailleurs certains soutiens de l’une et de l’autre illustrent caricaturalement ce que l’on dit dans la presse, laquelle n’est jamais désintéressée. Car il faudrait nuancer : ainsi met-on peu en avant le soutien apporté à Marine Le Pen par de furieux antisémites comme Bouchet, ou le soutien apporté à Bruno Gollnisch par des élus pondérés qu’on serait bien en peine de taxer d’antisémitisme. Au total, nos amis juifs (et ce n’est pas une formule, nous le reproche-t-on assez régulièrement !), puisqu’ils sont les premiers concernés, devraient se demander lequel des deux devra donner des gages à qui ? et de quelle nature seront ces gages ? Marine Le Pen devra, après une campagne où elle aura paru « philosémite » de l’avis unanime, donner quelques gages à l’aile la plus droitière où l’antisémitisme de droite, ce bon vieil antisémitisme à la con, a encore quelques partisans — bien plus clairsemés et inoffensifs dans les faits que ne sont les partisans du nouvel antisémitisme de gauche et pro-palestinien, remarquons-le en passant. Elle le fera avec la même facilité à promettre, à frapper des formules ou à rester dans le vague qu’elle met aujourd’hui à promettre le contraire, à frapper ses formules dans l’autre sens, avec le même vague. Si son but n’est pas de faire alliance, mais de perpétuer le FN « à papa » tout cela n’aura d’autre importance qu’interne et tout s’équivaudra. Gollnisch devra, lui, se dédouaner de certaines positions de ses partisans les plus encombrants. Ne le fera-t-il pas d’autant plus substantiellement qu’il voudra laisser la porte ouverte à une véritable alliance de gouvernement qui permettrait de réaliser une partie du programme du Front ? Cantonner ce vieil antisémitisme de droite dans son rôle de folklore auquel une minorité est névrotiquement attachée en lui concédant le moins de place possible ne sera-t-il pas une condition même de sa stratégie qui n’exclura plus a priori une alliance sur des objectifs politiques précis ?
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Troisième thème agité ces temps-ci : la réintégration des exclus. Si la qualité de certains est évidente, la perspective de me voir asséner les bredouillis confus et répétitifs de l’Ayatollah Cassoulet par exemple ne m’enchante guère. Pas plus que les leçons de morale de sa Jeanneton qui ne trouve rien de mieux à dire que régulièrement confier en transe à un public dont une partie notable est issu de familles recomposées que ça fait de manière immanquable des délinquants drogués et vicieux… Mais ceux-mêmes dont l’étroitesse d’esprit est affligeante ne seront pas de trop pour faire nombre. On comprend mal comment Marine prétend à la fois rejeter toute idée d’alliance et refuser le retour de troupes indispensables. À moins qu’elle ne pense prendre un virage tel qu’elle disputera leurs électeurs à Besancenot et Mélenchon ? La nécessité une fois reconnue de les réintégrer, et donc de faire de quelque manière droit dans le programme à leurs idées pénibles et farfelues, le mieux ne sera-t-il pas d’utiliser ce lest idéologique pour en faire ce qu’on fait de tout lest le moment venu : le jeter par dessus bord, en paraissant le sacrifier, pour faire aboutir dans une négociation des points programmatiques plus sérieux ?
Ainsi quand l’on considère ces questions secondaires si violemment agitées, le choix apparaît aussi clair que lorsqu’on s’attache à la question principale.
Conclusion un brin sentencieuse
Marine Le Pen ce serait, sous des dehors de modernisation volontairement mis en avant par la presse ennemie pour peser sur ce vote, la continuation dans la même ornière : un Front National isolé, une droite qui restera absurdement coupée en deux et où aucun des points programmatiques du Front ne verra les conditions où il serait réalisable ; bref : la suite récidivée de ce que certains appellent irrévérencieusement la boutique familiale.
Bruno Gollnisch, sous des dehors de rigidité idéologique tout aussi volontairement entretenus par la presse ennemie pour peser sur le vote, ce serait au contraire la réalisation d’une condition nécessaire pour sortir de cette ornière : faire tomber le tabou que constitue au FN la possibilité d’une alliance avec la droite parlementaire sur des points précis issus du programme du Front afin de les réaliser, donnant-donnant, en sortant de l’absurde alternative entre le tout-tout-de-suite et le rien, alternative qui, à chaque élection, débouche sur le rien.
Condition nécessaire, pas suffisante, c’est entendu. Mais si l’on veut atteindre au suffisant, il faut en passer par le nécessaire : Gollnisch président.
P.S. : il est bien évident que tout commentaire qui au lieu de parler de la succession viendrait me casser les… pieds, disons, avec des bêtises déjà cent fois réfutées sur l’avortement ou l’antisémitisme sera impitoyablement éradiqué.
P.P.S. Merci à M. pour la photo de Marine.