De Khartoum à Mitrovica

Comme prévu le crime d’agression a été renvoyé aux calendes grecques -même après avoir été défini de manière à ce que les Etats-Unis n’adhèrent jamais à la CPI. Comme prévu toujours, le projet de loi visant à mettre en conformité le droit français avec le statut de Rome fondant la Cour Pénale Internationale (CPI) a été adopté tel quel.

Désormais l’actualité du droit international se porte de la CPI à la Cour Internationale de Justice (CIJ).

Il sera ici question de la légalité du mandat d’arrêt international déposé contre le président soudanais Omar Hassan al Bachir et de la décision de la CIJ sur le Kosovo dont les journaux ont déclaré unanimement qu’elle consacrait la « légalité » de son indépendance.

Vous apprendrez dans ce post que les Etats africains peuvent, contrairement à ce que l’on dit, accueillir tranquillement le président soudanais sans être hors-la-loi.

Vous apprendrez également que l’avis consultatif de la CIJ sur le Kosovo, malgré quelques omissions et mensonges, finit par reconnaitre implicitement le caractère illicite de la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo en 2008.

Tout le contraire de ce que vous avez pu lire ou entendre donc.

1/ Le cas Omar Hassan al Bachir

Tout d’abord il faut constater que, comme prévu, les Etats africains font de la  résistance à l’inculpation de l’un des leurs. Rien de franchement étonnant à cela. Tout comme la partie grecque de Chypre n’a pas reconnu l’indépendance du Kosovo, les chefs d’Etat africains préfèrent s’éviter un fâcheux précédent qui, sait-on jamais sur ce paisible continent, pourrait un jour les concerner. L’Union Africaine a donc demandé aux siens de ne pas coopérer avec la CPI.

La question étant de savoir s’ils sont, pour ceux qui ont ratifié le traité sur la CPI, tenus de le faire.

Cette interrogation est portée par deux avocats qui souhaitent la soumettre à la CIJ. Elle vise la légalité d’un tel mandat d’arrêt au regard du droit international.

Question pas si bête que cela puisque en apparence le traité de Rome sur la Cour Pénale Internationale dit tout et son contraire.

D’un côté l’article 27 qui définit le principe du défaut de pertinence de la qualité officielle. Autrement dit, chef d’Etat ou pas, pas de différence, la Cour peut exercer sa compétence. Auquel on ajoute l’article 86 qui établit une obligation générale de coopérer.

Et de l’autre l’article 98 qui explique là encore très clairement que,

la Cour ne peut poursuivre l’exécution d’une demande de remise ou d’assistance qui contraindrait l’État requis à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en droit international en matière d’immunité des États ou d’immunité diplomatique d’une personne ou de biens d’un État tiers, à moins d’obtenir au préalable la coopération de cet État tiers en vue de la levée de l’immunité.

Autrement dit cette qualité officielle est néanmoins suffisante pour qu’un Etat tiers, partie au traité, puisse s’abstenir de donner suite à une demande d’arrestation formulée par la CPI. Parce qu’elle entre en conflit avec une règle de base des rapports internationaux, règle reconnue aussi bien de manière coutumière que par le biais de traités, l’immunité des chefs d’Etat en exercice. Immunité consacrée par la Convention de Vienne et qui, au-delà, est une règle coutumière de droit international public.

Je vais donc, à la demande générale, répondre à nos amis avocats.

En avant-première.

Oui, le mandat d’arrêt contre le président soudanais est légal. Et, non, les Etats ne sont pas légalement tenus d’y répondre favorablement.

2/ La licéité de la déclaration d’indépendance du Kosovo

La question posée à la CIJ, pour un avis consultatif, était celle-ci,

La déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international ?

La CIJ, dans son avis consultatif, dit plusieurs choses.

  • Premièrement qu’il n’y a pas d’interdiction de portée générale des déclarations d’indépendance dans le droit international. Par conséquent celle-ci est de facto conforme au droit international général.
  • De même, ajoute-t-elle, la résolution 1244 n’exclut pas explicitement une telle déclaration d’indépendance. Elle reconnait que le Kosovo fait partie de la RFY, mais n’exclut nullement explicitement que le statut définitif puisse faire l’objet d’une déclaration d’indépendance unilatérale. La portée de la résolution 1244, pour la CIJ, est essentiellement d’organiser l’administration temporaire de la province.
  • Elle conclut en précisant que le « cadre constitutionnel » alors en vigueur (celui de la MINUK pour faire court) ne liaient pas les auteurs de cette indépendance. Autrement dit ils n’ont pas violé le cadre constitutionnel puisque ils n’en émanaient pas.

Je vais être très clair pour que même un journaliste égaré ici puisse comprendre.

La CIJ se moque du monde concernant l’ensemble de ces points.

A. Le droit international général

Du point de vue du droit international général un bon repère pour savoir si l’interprétation de la CIJ est valable est d’observer si des pays refusent de reconnaitre l’indépendance du Kosovo pour d’autres raisons qu’une amitié indéfectible pour la Serbie.

Or c’est le cas.

Précisons.

C’est le cas de tous les pays connaissant en leur sein des tentations sécessionnistes puissantes.

La CIJ s’en sort en expliquant que la déclaration d’indépendance unilatérale est conforme parce que rien ne l’interdit. Mais que cette appréciation de la CIJ ne présuppose pas qu’il existe un droit en la matière.

Les peuples sécessionnistes comme les journalistes ne rentreront certainement pas dans ces subtilités et arguties.

Ils constateront que, comme il se doit d’ailleurs, le droit international tend à reconnaitre les situations de fait et que seuls les rapports de force comptent.

C’est pourquoi l’avis de la CIJ en matière de droit international public général n’a guère de sens. Ses avis n’en ont  même quasiment jamais eu si on excepte les cas où les parties en conflit ont accepté préalablement de s’en tenir aux conclusions de la CIJ.

Qu’est-ce que cela signifie ici ?

Que la CIJ devait se borner à observer l’état du droit international, or le droit international émane des coutumes des États ou des traités qu’ils ont passé entre eux. Il n’y a pas ici de traités, bilatéraux ou multilatéraux, pertinents. Reste la coutume. Comme la déceler ? Dans la pratique des États concernant les problèmes internationaux semblables. Et pour cela, regardons particulièrement en Europe, puisque c’est en Europe que se situe le Kosovo.

La République moldave du Dniestr, ou Transnistrie, n’est pas reconnue. La Republika Srpska est interdite d’indépendance. Le parlement slovaque a déclaré son indépendance seul, mais a fait l’objet d’un accord entre slovaques et tchèques. La Voïvodine, l’autre province Serbe qui avait sous la Yougoslavie le même statut que le Kosovo, demeure serbe et personne ne songe à lui donner ou lui reconnaitre l’indépendance. Les albanais de Macédoine se sont vus fermement découragés à tenter l’aventure sécessionniste. Etc, etc.

Autrement dit, au regard des actions des États concernant la question indépendantiste en Europe, le droit international tend notablement à ne pas considérer comme légale les indépendances non négociées par les parties concernées.

B. La résolution 1244

Cette résolution, légalisant a posteriori l’intervention de l’OTAN et qui était destinée à devenir un précédent fort utile (voire la guerre en Irak), est, contrairement à ce que la CIJ assure, limpide. Elle réaffirme plusieurs fois l’attachement de tous les États Membres à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie. Et, surtout, instaure cet attachement en principe dans l’annexe 2 qui est, très clairement, une sorte de feuille de route pour le futur du Kosovo.

On ne saurait être plus clair.

Si la résolution ne consacre pas la souveraineté et l’intégrité territoriale de la Serbie pour des siècles et des siècles, elle pose comme principe que la situation du Kosovo après l’administration temporaire de la MINUK ne saurait être l’indépendance.

Plus que tout la résolution 1244 précise aussi que la solution qui sera trouvée doit faire l’objet d’un règlement politique.

Pour encore mieux saisir à quel point la CIJ se fout de notre gueule, regardons par exemple le texte de la CIJ concernant ce point précis du règlement politique,

L’expression «règlement politique», qui a souvent été reprise dans la présente procédure, ne change rien à cette conclusion. Premièrement, cette référence s’inscrit dans le cadre d’une énumération des responsabilités incombant à la présence civile internationale, à savoir le représentant spécial du Secrétaire général pour le Kosovo et la MINUK, et à personne d’autre. Deuxièmement, comme en témoignent les vues divergentes qui ont été exposées devant la Cour sur ce point, l’expression «règlement politique» peut s’interpréter de diverses manières.

Premièrement, remarquons le mensonge éhonté de la CIJ.

Cette référence s’inscrit certes dans le cadre d’une énumération des responsabilités incombant à la présence civile internationale mais elle ne s’inscrit pas une seconde dans le cadre de ces responsabilités là !

Autrement dit n’est pas de la responsabilité de la MINUK ou au représentant spécial du Secrétaire général pour le Kosovo de s’occuper du règlement politique. Au contraire, les responsabilités qu’ils ont se limitent à gérer la transition vers ce qui aura fait l’objet, indépendamment d’eux, d’un règlement politique.

La nuance est donc de taille.

Il s’agit en réalité d’une référence directe, claire, au futur du Kosovo. La responsabilité qui est donnée au représentant spécial de l’ONU et à la MINUK c’est de « superviser le transfert des pouvoirs des institutions provisoires du Kosovo ». Transfert vers quoi ? Vers ce qui aura été décidé « dans le cadre d’un règlement politique », ce qui n’a donc, encore une fois, rien à voir avec la MINUK ou le représentant spécial de l’ONU…

Que cette référence se trouve dans le cadre d’une énumération des compétences de la MINUK ne limite nullement sa portée.

Deuxièmement, il est complètement absurde d’évoquer l’idée que ce règlement puisse être une déclaration unilatérale. Pourquoi ? Parce que dans l’annexe 2 traitant du Kosovo après l’administration temporaire de la MINUK (c’est à dire dans un autre endroit de la résolution que celle de l’énumération des compétences de la MINUK), le terme de règlement revient. Et il revient avec les mots entre les parties.

Autrement dit, un règlement négocié.

Pas une déclaration unilatérale.

Enfin, on peut reprendre les principales déclarations faites à l’époque par les autorités politique des membres du conseil de sécurité. Nous avons toute la littérature diplomatique de l’époque. Tous ne disent qu’une chose et une seule.

Pas d’indépendance.

La résolution 1244 elle-même parle de Rambouillet, où il avait été question d’une « autonomie substantielle » mais rien de plus.

Je dis tout cela même si, évidemment, dans les faits, la résolution 1244, sans le dire, préparait très exactement l’indépendance du Kosovo.

Mais ce qu’on demandait justement à la CIJ, c’est de dire le droit…

C. Le cadre constitutionnel

Ici le problème est simple et déborde de ce simple cadre. En effet, en s’intéressant au cadre constitutionnel la CIJ en profite pour finalement répondre à une question qu’on ne lui a pas posé.

Cela ne peut signifier qu’une chose. Qu’à la question posée par l’Assemblée Générale,

La déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est-elle conforme au droit international ?

La CIJ répond non de manière implicite.

Il lui serait d’ailleurs difficile de faire autrement. La MINUK et le représentant spécial de l’ONU avaient été investi par le conseil de sécurité de l’ONU. Aucune résolution postérieure à la 12444 n’est venue relever leur mission. Elle continue donc. La déclaration d’indépendance de la part des institutions provisoires tenues par les albanais du Kosovo sont donc, par là, illégales.

Point.

Consciente de cette petite difficulté, la CIJ passe un temps considérable à expliquer que les auteurs de cette déclaration unilatérale d’indépendance ne s’inscrivent pas dans les institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo. Qu’ils n’ont pas agi dans ce cadre là, mais dans un cadre plus vaste. Allant jusqu’à expliquer que cette décision d’indépendance n’était

pas destinée, dans l’esprit de ceux qui l’ont adoptée, à prendre effet au sein de l’ordre juridique instauré aux fins de la phase intérimaire – chose qui, d’ailleurs, aurait été impossible.

Merveilleux.

La réalité, elle, est bien plus simple. Ce sont les institutions provisoires d’administration autonome de la province du Kosovo qui ont décidé de déclarer l’indépendance.

Ces institutions n’en avaient pas le pouvoir.

On me rétorquera, avec la CIJ, que les auteurs de cette indépendance, en la proclamant, dépassaient largement le cadre de ces étroites institutions. Qu’ils étaient l’émanation du peuple.

Peut-être.

Mais peut-être pas.

Ce n’est pas à la CIJ de l’évaluer au pifomètre et, quoiqu’il en soit, ce n’est pas la question posée.

La question n’étant pas de savoir si la déclaration d’indépendance du Kosovo est conforme au droit international, mais si déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo est conforme au droit international.

A cette question à laquelle la CIJ n’a pas voulu répondre, tout en fournissant quand même une réponse à une question qui ne lui était pas posée (voir la conclusion générale de son avis consultatif qui ne reprend pas, sciemment, l’intitulé exact de la question qu’on lui a posé), la réponse est non.

Non, la déclaration unilatérale d’indépendance des institutions provisoires d’administration autonome du Kosovo n’est pas conforme au droit international.

Mise A Jour :

J’apprends aujourd’hui que Pristina a demandé à ce que la résolution 1244 soit remplacée par une autre… Pristina chercher à pousser son avantage bien sûr et vise à une reconnaissance plus large. Mais pas seulement. Il s’agit également d’une reconnaissance implicite, là encore, que c’est bien cette résolution 1244 du conseil de sécurité qui définit encore aujourd’hui juridiquement le statut de la province.

A cette demande de Pristina je peux répondre dès aujourd’hui.

Ce sera non.

Les raisons sont multiples. Il serait compliqué pour le conseil de sécurité de passer après un avis consultatif de la CIJ ayant statué après une demande de l’Assemblée Générale des Nations-Unies. Refus de la Russie. Refus de nombreux pays non membres du conseil de sécurité. Menace de déstabilisation de ces pays si une telle résolution actant l’indépendance du Kosovo était prise. Etc.

Je signale enfin à la Fondation Robert Schuman que je me tiens à remplacer, immédiatement s’il le faut, leur président. Son dernier éditorial ayant sans aucun doute été écrit en pleine rupture d’anévrisme.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

3 réflexions sur « De Khartoum à Mitrovica »

  1. j.ax

    Passionnant de vous suivre et j’admire la façon dont vous vous appropriez les sujets. C’est très difficile, c’est la seule manière qui vaille à mon sens. Moi je n’y suis jamais parvenu ce qui m’a conduit à suspendre mon master’s de RI… à quoi bon si c’était pour ne pas quitter le plancher des vaches scolaire ; /

  2. Blueberry Auteur de l’article

    Je note quand même l’extraordinaire hypocrisie des Etats-Unis, qui ont déploré le manque de coopération du Kenya, alors même que cette non-coopération est fondée sur l’article 98 (du traité sur la CPI) dont les Etats-Unis sont, si ce n’est les seuls instigateurs, les premiers supporteurs.

    Je le note non pour le déplorer, mais parce que pas un seul journaliste ne s’est imaginé le faire.

    D’ailleurs, en vérité, les européens, qui ont geint à travers la chef de la diplomatie inexistante de l’Union européenne, Catherine Ashton, ou du président de la fantomatique « assemblée des Etats reconnaissant la CPI », Christian Wenaweser, très puissant diplomate du Liechtenstein en poste à l’ONU, les européens donc, me semblent encore plus hypocrites.

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