Nous étions six

Comme quelques-uns, je suis heureux de la défaite du Ghana lors du quart de finale de la coupe du monde 2010. Non que l’espoir douché de tout un continent dessine un léger sourire sur mon visage. Non que le scénario dramatique ajoute encore à la légende du sport… non que le sacrifice de Suarez touche au poétique lorsque la Panenka de Abreu atteint un sommet de folie. Dans un très beau papier de l’Équipe, le journaliste nous expliquait qu’Abreu après avoir marqué le but qui a qualifié son pays pour cette coupe du monde, et bien Abreu il a été passé la nuit dans le stade Centenario, l’enceinte mythique de Montevideo, où joue Peñarol. (Pour information le lieu où s’étale la ville de Montevideo aurait pour étymologie MONTE VI De Este a Oeste, le sixième mont d’Est en Ouest)

Certains commentateurs sont revenus sur le fait du match… la main de  Suarez, « une tricherie qui avait volé le rêve de tout un continent, il devrait avoir honte Suarez d’avoir fait cette main » (on laissait entendre qu’il n’aurait pas dû défendre les couleurs son pays) disait en substance Francesca Antoniotti et appelait même à changer les règles du jeu, en disant que le but aurait dû être accordé…en gros qu’il fallait changer les règles pour permettre à un pays africain de gagner cette coupe du monde…je propose qu’on l’offre directement…

Donc, nous ne parlons jamais de l’Uruguay dans l’actualité, à quelques exceptions près…Le football, Punta del Este, lieu de résidence des bannis tels que Jacques Médecin…, l’Uruguay c’est un pays pas mal pour y mettre ton pognon, il a été classé sur une liste noire des paradis fiscaux…mais surtout l’Uruguay c’est une sacrée littérature pour un si petit pays…et des grands écrivains français y sont nés: Isidore Ducasse, Jules Supervielle…plus tragique c’est aussi le pays d’origine de la mère de Francis Lalanne…

J’y suis entré, dans la littérature uruguayenne, par l’intermédiaire d’un cours, facultatif d’Espagnol (Castillan serait plus juste) qui avait pour intitulé Littérature Sud-Américaine…c’était un petit morceau de sacrée bonne femme, le professeur, une petite colombienne…nous étions six à nous être inscrits à ce cours, il faut dire qu’il avait lieu le mercredi matin à 8h30 alors que le mardi soir était consacré à des beuveries sans nom, le tout encadré par le BDE….alors non, il ne fallait pas espérer rencontrer des types populaires ou des jolies filles dans ce cours…je me trouvais ainsi avec cinq autres garçons et filles…aucun ne manqua jamais un cours, nous présentions à chaque séance un auteur, les discussions étaient enflammées…certains soutenaient que Borgès s’était mal comporté, je rétorquais que Gabi, avec toute son admiration pour le barbu n´était pas un type qui devait donner des leçons…rapidement un clivage relativement classique droite-gauche s’établit. Nous (en fait moi et un malheureux pékin)  racontions, devant les yeux ébahis du professeur, que Neruda n’avait pour lui que son engagement et le film avec Noiret, car pour pondre ses Odes élémentaires, il fallait bien être un sacré connard surtout pour recevoir le Prix Staline pour la paix…sur quoi mon collègue poussait encore, racontant que Pinochet, ça avait fait du bien au pays et que si les Chiliens avaient laissé Allende et bien le pays ne serait sûrement pas le plus riche de la région, thanks Chicago Boys et alors on continuait sur Fridemann, Milton et conseillions pour réflexion l’ouvrage de David Friedmann  Vers une société sans État? Le professeur, assez horrifié de nos propos, arriva la semaine suivante avec un mail que lui avait écrit une de ses amis uruguayenne qui avait vécu la dictature, bref encore un courrier plein de poncifs à la con…le chemin de la liberté, des lendemains qui chantent, le socialisme… Ainsi le professeur, pour nous faire prendre conscience, nous demanda de préparer quelque chose sur Mario Benedetti, et je me surpris à lire avec plaisir la trêve…et l’autre avait dû préparer une présentation sur Onetti…c’est vraiment grâce à ce cours que j’ai vraiment découvert tout un pan de la littérature que je ne connaissais qu’en surface…cela étant d’autant plus…plaisant que lors des autres cours, suivis sans passion aucune, un connard te racontait comment faire « 15% de rentabilité économique, de toute façon, c’est ce qu’on vous demandera quand vous serez directeur d’une business Unit… ».

Donc, nous étions six, nous avons participé à ses cours, étudié, devancé la charge de travail demandé, après tout ce n’était qu’un petit cours de merde de langue. Nous avons évalué le professeur, nous l’avons littéralement couvert de louanges et conseillions ce cours à de nombreux élèves…le trimestre suivant le cours était annulé pour manque de participants et le professeur retourna à d’autres occupations sous d’autres cieux. Pour finir, j’avais choisi de lui rendre un papier facultatif sur Borgès, papier assez nul dans le fond, où j’imagine n’avoir dit que des platitudes dans un Castillan hésitant et pourtant elle m’avait félicité pour la conclusion que j’avais donnée qui était « L’oeuvre de Borgès offre au lecteur un nouveau monde, un paradigme, un au-delà difficilement explicable ou palpable. J’utiliserai la comparaison suivante pour illustrer mon propos, imaginez Galilée qui explique à d’autres que la Terre est ronde alors qu’ils la croient plate…et bien Borgès m’explique quelque chose du genre, mais moi je sais que la Terre est ronde… »

Ici, une entrevue en Castillan de Onetti, pas besoin de comprendre grand chose, juste voir les images d’un écrivain à la fin de sa vie…assez fascinant.

8 réflexions sur « Nous étions six »

  1. XP

    « J’utiliserai la comparaison suivante pour illustrer mon propos, imaginez Galilée qui explique à d’autres que la Terre est ronde alors qu’ils la croient plate…et bien Borgès m’explique quelque chose du genre, mais moi je sais que la Terre est ronde…  »

    Et bien moi, vois-tu, j’aurais fais mieux que la dame, je t’aurais mis vingt sur vingt. Et encore, en notant vache. Parce que c’est exactement ça.

    Selon moi, Borgès est l’un des trois, quatre écrivains du 20ème siècle.

  2. Cherea Auteur de l’article

    XP: je pense comme toi sur Borgès, vraiment un écrivain d’une importance dont on n’a pas assez idée en France, largement desservi par sa réputation…proche du pouvoir, en fait c’était un écrivain dégagé comme Desproges se considérait artiste dégagé. Merci pour la note, même si c’était le dernier de mes soucis en fait, un des rares cours intéressants lors de mes études supérieures…

    Didier Goux: la vie brève traîne dans ma bibliothèque depuis un moment, je pense le lire pendant les vacances…D’ailleurs ce roman est peu connu mais a eu une grande résonance pour les écrivains Sud-américains et est considéré comme un des premiers romans modernes du continent…j’espère vous donner mes impressions à la rentrée.

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