Hereford, Newcastle, Croydon…

Jules Vallès, La rue à Londres (1883):

« Les femmes, ce parfum de la rue française, se divise crûment, là-bas, en deux espèces : celles en sucre et celles en corne ; celles qui ont des profils d’ange et celles qui ont des profils de bêtes; celles qui ont seize ans et celles qui en ont cent: des joujoux et des magots. (…)

Chose horrible! Ce sont les femmes surtout qui salissent le pavé de leurs vomissements et qui battent les murs avec leurs têtes ; non pas seulement celles en haillons, mais aussi celles en chapeau frais et en robe neuve; non pas seulement les vieilles, mais les jeunes. Celle qui vous a heurté tout à l’heure était la sœur d’un avocat ou la fille d’un révérend, elle sortait du temple ou elle y allait ; elle s’est arrêtée à un bar pour siffler du whisky ou du gin et elle festonne et elle chante! Les seuls éclats de voix humaine qui crèvent le brouillard de Londres sortent des poitrines brûlées par le poison des public-houses. Ce peuple ne parle fort dans les rues que quand il est saoul. (…)

Les hommes, de leur côté, débraillés et décoiffés se démènent, comme des fous, entre les bras des amis qui veulent les retenir, mais en vain, quoique les prenant aux cheveux et leur tordant un peu les membres. la force de résistance contre la douleur est une des vertus de l’Anglais. Il trouve même une joie sauvage aux mêlées aveugles, aux poussées terribles. Une caboche d’Englishman peut supporter des coups de poing, gonfler, saigner, et rester, malgré tout, menaçante, garder un branlement de défi. L’ivresse exagère encore cette vigueur et affole cette bizarre fierté. (…)

Si les policemen n’apparaissent pas dans le débat quand il n’y a que des trognes en danger, ils interviennent, en revanche, avec une énergie terrible, quand ils y sont contraints par l’appel d’un faible ou le remous de la foule. si c’est contre eux que l’ivrognerie moutonne, ils attaquent le flot, tête basse, comme on tirerait un coup de canon contre une vague ; ils font une besogne de bélier, sans merci, sans pitié! Gare à l’innocent ou au curieux! Malheur aux faibles! En ces heures de saoulerie féroce, l’Anglais brutal ne se fâche pas de la brutalité ; on lui laisse la liberté de ses vices, il comprend que la loi ait droit de défense et ne regarde pas si la pesée est fausse même si les poids écrasent un homme quand la police remue la balance. (…)

L’Angleterre est toute entière dans l’ironie ou la force. Elle est ironique à la façon des dédaigneux, et elle adore la force, parce que c’est le succès. Les Anglais rient quand ils voient un homme volé parce qu’il est niais et rossé parce qu’il est lâche. Ce n’est pas amour de l’indélicatesse, éloge du filou, excuse du vol : c’est mépris de la sottise et de la faiblesse. (…)

C’eût été l’instant de filer, fausser compagnie… plus une petite seconde à perdre… rompre le charme néfaste brutalement! Delphine elle c’était un petit gnome qui y avait sauté sur le rabe du haut du Tunnel… nous c’était là notre sinistre, notre arsouille d’odeurs qui s’en payait de nous ébaubir… il me sortait plus ses bouts de boyaux, on allait trop vite. Standwell Road à une rude allure… on trottait trop pour des éclopes! Puis Briars… puis Clapenham… Je reconnaissais les coins de rue… mais à partir d’Acton Vale la bouteille à l’encre! plus que des lacis des détours, il nous perdait qu’on aurait dit… des impasses du labyrinthe… Il nous payait une belle promenade… C’était noir, de plus en plus noir… je quittais pas là-haut le ciel des yeux, les petites cheminées qui se découpent… c’était gris là-haut… la lune… les nuages rabattent de loin, du fleuve… d’où il vient le vent? d’où il vient?… J’ai mal à la jambe… Je rattrape Virginie, je lui serre la main… « Virginie! Virginie! » Je l’appelle, elle me répond pas… elle va elle va et c’est tout…

Louis-Ferdinand Céline, Guignol’s band (1944)

 

5 réflexions sur « Hereford, Newcastle, Croydon… »

  1. daredevil

    This is England !
    Des filles mignonnes qui pourraient être jolies si elles n’étaient pas attifées comme des pouffes. Quant à la dernière no comment …. ai vu la même chose en Pologne, des jupes ras la confiance comme dit une amie.

    Sinon je reconnais des photos que vous avez déjà utilisé pour un autre texte sur la nuit en Angleterre, celle de la bagarre si je ne m’abuse.

  2. w

    je crois qu’on avait déjà vu la plupart de ces photos mais c’est toujours un plaisir de les revoir.

    J’espère que vous republierez un jours vos premiers textes, ceux qui ont du être noircis… Ce séjour à Las vegas, ce boulot de commercial atroce, ces collègues arabes dans les réunions près d’Opéra… j’ai lu ça il y a des années mais c’est toujours aussi vivants.

  3. FantomedesArchives

    « L’Angleterre est toute entière dans l’ironie ou la force. Elle est ironique à la façon des dédaigneux, et elle adore la force, parce que c’est le succès. Les Anglais rient quand ils voient un homme volé parce qu’il est niais et rossé parce qu’il est lâche. Ce n’est pas amour de l’indélicatesse, éloge du filou, excuse du vol : c’est mépris de la sottise et de la faiblesse. (…) »

    Quelle clairvoyance dingue. C’est exactement ce qu’on retrouve chez l’immense William Blake, dans son poème The Book of Thel: il se moque du malheur d’une jeune vierge du paradis, qui descend dans le monde terrestre par curiosité, et qui en repart dégoûtée à jamais à cause de sa faiblesse de caractère.

    Bon et puis, on les aura un jour ces archives de l’ancien site ??

  4. Rosco

    C’est quand même beau un pays dans lequel les filles peuvent sortir en minijupes sans se faire harceler par la racailles toute les 30 secondes, où les mecs savent encore que mettre des tartes est une option raisonnable.

    Grâce à des gens comme Jules Vallès, qui en plus d’être un mauvais écrivain est aussi une sale petite ordure rouge, les jeunes Français n’ont rien à voir avec les Anglais : ils s’écrasent devant la racaille et les filles ont la trouille dans le métro. C’est beau la République. C’est toujours le même syndrôme moutonnier : les autres sont méchants parce qu’ils ne se laissent pas faire.

    1. kobus van cleef

      Mais je suis méchant, moive
      Rigolo que L’Afrance aie choisi pour président un homme décrit par la plupart des commentateurs pipolitiques comme »gentil »( voir »la force du gentil » opuscule ruisselant de considération béate et de cyprine par une pipolitologuesse introduite dans les sphères gouvernementales….)

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