Palpation d’une littérature pseudo scientifique sur le contrôle au faciès

Tout le monde aime la science. Pas seulement les abonnés à Science&Vie ou à Sciences et Avenir. Les ingénieurs aiment la science, ma boulangère aussi et je dois avouer être un de ses amoureux comme les autres.

Au-delà du fait qu’on aime la science, elle se révèle également bien pratique pour faire fermer la gueule d’un contradicteur.

Il s’agit trop souvent d’un amour intéressé.

Comme l’amour en général me répondrez-vous peut-être. Mais telle n’est pas la question aujourd’hui.

L’autre règle en matière de science, c’est que si on l’aime pour ses vertus définitives dans le débat, on aime beaucoup moins passer cinq heures à lire en détail les études scientifiques. Ah non. Mais comprenez qu’il ne s’agit souvent que d’obtenir un avantage décisif à la machine à café. Cela excuse largement cette petite paresse.

Toutefois, il arrive que l’enjeu ne se soit pas seulement une gloriole de bureau. Et que la science soit réellement instrumentalisée ou méprisée pour arriver à de bas objectifs politiques.

Ainsi la climatologie est-elle instrumentalisée par quasiment tout le monde, de certains libéraux cosmiques de Contrepoints aux écologistes en passant par la quasi-intégralité de notre personnel politique.

Quant à un rapport sur la récidive, l’Observatoire International des Prisons, le Syndicat de la Magistrature et jusqu’au cabinet du ministre de la justice actuel finissent par lui faire dire ce qu’il ne dit précisément pas.

Il ne s’agit plus seulement de paresse dans ces cas là.

Mais de bonne grosse manipulation.

Aujourd’hui j’ai envie de m’arrêter de nouveau un instant, parce que c’est dans l’actualité depuis quelques mois et que ça vient de rebondir, sur les contrôles au faciès. Et sur une étude, datée de 2009 et qui revient sans cesse dans le débat.

Police et minorités visibles : les contrôles d’identité à Paris

Pour laquelle l’Open Society Justice Initiative, fondation de George Soros, a embauché deux chercheurs français estampillés CNRS parmi d’autres consultants américains, pour traduire en français de précédents rapports américains sur la question. Les recommandations étaient déjà rédigées. La méthodologie importée directement des Etats-Unis. Ne restait plus qu’à peindre le tout en bleu, blanc et rouge.

J’espère que Fabien Jobard et René Lévy ont été bien payé pour leur travail.

Et n’oublions pas tous ceux qui y ont participé par leurs généreux conseils. La lecture de leur bibliographie ou biographie s’est révélée particulièrement éclairante. Entre ouvrages sur la discrimination positive, le surrégime policier, le déni des cultures et un de nos copains de l’INED, c’est la fine fleur de la recherche française qui s’est retrouvée à biberonner cette étude.

Je leur souhaite à tous d’avoir reçu une récompense à la hauteur de leur effort.

Effort dont je meurs d’envie de vous entretenir maintenant.

En examinant cinq sites parisiens (dans et autour de la Gare du Nord et de la station Châtelet-Les Halles), importants points de transit du centre de Paris où l’on observe une forte activité policière, l’étude a recueilli des données sur les contrôles de police, au premier rang desquelles des données sur l’apparence des personnes contrôlées (origine, âge, sexe, style vestimentaire, types de sacs portés). Cette étude, qui présente des données uniques sur plus de 500 contrôles de police, est la seule menée à ce jour, propre à détecter le contrôle à faciès en France.

C’est beau cette littérature.

On a même pas besoin de débusquer les biais de cette étude, ils se présentent à nous dès la synthèse de début de rapport. C’est vraiment sympa. Le problème, c’est qu’après une telle introduction, il faut avoir bien du courage pour aller plus loin.

C’est un peu comme si on vous expliquait que pour obtenir une température mondiale globale annuelle, on prenait systématiquement les mesures dans des serres exposées plein Sud et seulement durant l’été.

Donc, pour mesurer qui est touché par les contrôles de police, on a jugé bon de considérer les habituels points d’entrée et de sortie des bandes issues de la banlieue et venant s’encanailler ou squatter certains lieux à Paris -plus la sortie du Thalys. Bandes de banlieue pour lesquelles, cela n’est d’ailleurs nié par personne, il existe une surreprésentation de jeunes issus des minorités visibles.

Un lieu choisi ? Par exemple, la fontaine des Innocents. Notamment le soir. Et jusqu’à 23h00 le samedi soir.

Véridique.

Ceux qui connaissent le quartier sauront d’emblée quoi penser de cette méthodologie.

Pourquoi ces lieux là ? Parce que il fallait avoir une activité policière minimale. Merveilleuse justification « scientifique » des auteurs de l’étude. Et point. Ils n’iront pas plus loin. Les auteurs n’en tireront pas le moindre raisonnement supplémentaire.

Qu’est-ce qu’on peut dire encore après une telle explication benoîte ?

Mais continuons quand même. Je dois être masochiste, mais je commence à y trouver un certain plaisir.

L’étude a confirmé que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence : non pas sur ce que les gens font, mais sur ce qu’ils sont, ou paraissent être. Les résultats montrent que les personnes perçues comme « Noires » (d’origine subsaharienne ou antillaise) et les personnes perçues comme « Arabes » (originaires du Maghreb ou du Machrek) ont été contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme « Blanches ». Selon les sites d’observation, les Noirs couraient entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés au regard de la part de ces deux groupes dans la population disponible à être contrôlée par la police (ou la douane). Les Arabes ont été généralement plus de sept fois plus susceptibles que les Blancs d’être contrôlés ; globalement, ils couraient quant à eux entre 1,8 et 14,8 fois plus de risques que les Blancs d’être contrôlés par la police (ou la douane) sur les sites retenus, également au regard de la composition de la population disponible. Les entretiens de suivi réalisés avec les personnes qui venaient d’être contrôlées donnent à penser que les Noirs comme les Arabes subissent d’ordinaire davantage de contrôles de police que les Blancs.

Tiens, tiens. Sur l’apparence seulement ? Laquelle ? Et seulement sur l’apparence ? En est-on vraiment sûr ?

Comme j’ai hâte de voir ces assertions développées et de pouvoir fouiller dans les données…

Ah non.

On en restera là pour le développement. Quant aux données, nous le verrons, elles ne sont tout bonnement pas publiées.

Un autre facteur déterminant a été le style de vêtements portés par les personnes contrôlées. Bien que les personnes portant des vêtements aujourd’hui associés à différentes « cultures jeunes » françaises (« hip-hop, » « tecktonic, » « punk » ou « gothique », etc.) ne forment que 10% de la population disponible, elles constituent jusque 47% de ceux qui ont été effectivement contrôlés. Il ressort de notre étude que l’apparence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale. L’étude montre une forte relation entre le fait d’être contrôlé par la police, l’origine apparente de la personne contrôlée et le style de vêtements portés : deux tiers des individus habillés « jeunes » relèvent de minorités visibles. Aussi, il est probable que les policiers considèrent le fait d’appartenir à une minorité visible et de porter des vêtements typiquement jeunes comme étroitement liés à une propension à commettre des infractions ou des crimes, appelant ainsi un contrôle d’identité.

Donc, fait tout bonnement hallucinant, les styles vestimentaires indiquant une certaine rébellion contre la société sont plus contrôlés que ceux, comme les costards-cravates, qui indiquent au contraire une relative acceptation, adéquation et insertion dans cette même société. Fichtre. A ce rythme presque fasciste, ceux qui porteront un tee-shirt avec une feuille de cannabis dessus seront bientôt plus contrôlés que ceux en costume trois-pièces. Sans parler du style gangsta-rappeur qui démontre peut-être, je ne voudrais pas m’avancer, un style de vie où le risque de croiser un policier pour autre chose qu’un contrôle d’identité est plus fort que pour d’autres styles -comme celui à base de chemises de bûcherons canadiens par exemple.

Mais, est-ce que Kevin et ses dreadlocks dégueulasses est moins contrôlé que Mohammed et sa chemise repassée ?

Étrangement, je trouve ma propre question foutrement intéressante.

Dommage que l’étude d’y réponde pas.

Et je voudrais donc immédiatement en arriver à ses quelques gros problèmes méthodologiques.

C’est une bonne chose de calculer le nombre de « blancs » et de « noirs » contrôlés. Mais une donnée intéressante aurait été de pondérer ces résultats selon la taille du groupe contrôlé. Quel pourcentage de chance d’être contrôlé si on est seul ou en groupe ? Et une certaine surreprésentation des jeunes noirs, par exemple, ne pourrait-elle pas s’expliquer en partie par le fait qu’ils se retrouvent souvent en groupe ? Que les groupes sont généralement plus contrôlés que les personnes seules ? Et que certains policiers expérimentés aient constaté que cela signifiait peut-être qu’ils se trouvent alors en présence d’une bande de banlieue ? Ces jeunes qui, faut-il le rappeler, explosent tous les scores en matière de délinquance ?

Autre petit problème, l’apparence vestimentaire, qui donne de meilleurs résultats que le profil racial pour expliquer les contrôles de police selon les auteurs eux-même, est un sujet évacué par un raisonnement tout à fait remarquable,

En d’autres termes, on peut dire de la variable « tenue jeune » qu’elle est une variable racialisée

En clair, un bas de survêtement Adidas rentré dans une chaussette blanche est une déclinaison de la couleur de peau. Et ce puisqu’il y a quasi adéquation entre ce style vestimentaire est le fait que son porteur soit issu d’une minorité visible. Quasi adéquation hein. Mais quand on est chercheur payé par les américains, on ne va pas s’arrêter à de menus détails (il aurait été ainsi intéressant de savoir si les blancs avec des sweet à capuches sont eux aussi surreprésenté dans les contrôles…). Et on pourra ainsi affirmer que le style vestimentaire et la race, c’est la même chose et donc le contrôle au faciès et non, finalement, à l’accoutrement, revient en force.

Mais cette étude a un problème encore plus gros.

Nous n’avons pas accès aux datas.

Rien.

Que dalle.

On ne peut rien vérifier.

On ne peut pas vérifier si un homme âgé habillé de manière décontracté et de couleur noire est plus contrôlé à la Fontaine des Innocents qu’une jeune blanc à capuche. On ne peut rien vérifier donc. On ne peut pas non plus croiser les données d’une autre manière que celle décidée par les auteurs de cette étude. Et dieu sait qu’il existe des croisements qui ne sont même pas évoqués dans le rapport d’étude et qui, en l’état, sont ainsi soigneusement passés sous silence.

En résumé, on prend les hauts lieux de passages de bandes issues de la banlieue et, à partir de là, on en déduit par de curieux raisonnements qu’un profilage ethnique, pour ne pas raciste, est effectué par la police.

Or, disons-le clairement, cette étude ne le démontre scientifiquement tout simplement pas.

La seule chose qu’elle démontre, c’est que les jeunes de banlieues ont plus de chance d’être contrôlé que votre mamie. Etant donné toutefois que les mamies commettent notoirement moins de délits ou de crimes que les jeunes de banlieue, la seule chose dont on peut accuser les policiers, c’est de faire leur travail correctement. Rien ne disant par ailleurs que le jeune blanc avec un tee-shirt à la gloire du cannabis sera moins contrôlé que le jeune noir habillé de façon « décontractée ».

Elle dit aussi que les jeunes sont plus contrôlés que les plus vieux. Elle dit que les hommes sont plus contrôlés que les femmes. Elle dit, au final, que les populations les plus susceptibles de commettre des délits sont plus contrôlés que ceux l’étant moins. Elle dit, encore une fois, que les policiers font leur travail. Sans qu’on ne puisse leur reprocher quoique ce soit. Et certainement pas un profilage ethnique.

L’étude parle de noirs, d’arabes et de blancs sans être capable le moindre instant d’apporter la démonstration que le critère ethnique est déterminant et le facteur explicatif. Et pourtant titre sur des contrôles au faciès, c’est à dire suivant un profilage ethnique.

Cherchez l’erreur.

Elle cherche à pondérer les races dans le panel, c’est à dire à prendre en compte la répartition raciale sur place aux moments des contrôles, sans se poser la question de ce qu’une forte concentration de jeunes noirs ou arabes dit d’un endroit. Et sans pondérer aucunement le ratio entre jeunes et vieux par exemple, ou entre hommes et femmes. Autrement dit, une forte surreprésentation de jeunes mâles à la fontaine des Innocents à 22h00 le samedi soir est-il sans incidence sur la question dont on traite ? Franchement ?

Je pourrais continuer pendant des heures.

En résumé, ma propre synthèse à moi, est que cette étude souffre de tellement de biais, de considérations non démontrées et de raisonnements abscons qu’elle devrait être envoyée directement à la poubelle. Elle est impubliable en l’état ailleurs que de manière libre sur internet.

L’idée ayant présidé à cette étude étant toutefois plus faire coller des idées préconçues à la réalité que de tirer part de ce qui a été observé pour en déduire quoique ce soit, l’objectif a toutefois été atteint.

Bravo à eux. Aux Inrocks, à 20Minutes et ailleurs, ce galimatias innommable devrait passer sans problème.

Mais il s’agit d’un travail militant ne valant rien scientifiquement. Et quand je rien, je suis encore un peu trop gentil. Et que le CNRS ne réagisse pas de voir son nom accolé à une telle bouse en dit long sur certains pans de cette institution.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

6 réflexions sur « Palpation d’une littérature pseudo scientifique sur le contrôle au faciès »

  1. NOURATIN

    Dans un pays totalitaire comme la France, il n’est pas surprenant de voir la recherche scientifique d’état associée à des opération de propagande visant à diffuser l’idéologie officielle sous couvert d’un vernis pseudo-scientifique.
    Les « chercheurs » vivent aux mêmes au crochet du système fasciste de gauche ainsi conforté et ont donc tout intérêt à tout mettre en oeuvre pour qu’il perdure.
    Vive la République, vive la France!

  2. sopotec

    Au début, j’ai lu votre texte en diagonale. Mon regard a accroché le bout de phrase suivant : »les Noirs couraient » et mon esprit s’est emballé en pensant à tous ces policiers qui faisaient courir des noirs. Voire qui les jetaient à la Seine, pourquoi pas ? Et à tous ces chercheurs qui étaient heureusement la pour dévoiler ce drame affreux.

    Et puis en relisant, j’ai vu qu’ils ne couraient qu’un risque statistique. Déprimant d’ennui.
    Même pour tout l’or de Georges Soros, je ne voudrais être chargé de triturer la bête comptabilité des contrôles policiers.

  3. Blueberry Auteur de l’article

    NOURATIN > Ce qui est formidable en France, c’est qu’un travail de recherche aussi merdique peut être validé par des chercheurs estampillés CNRS sans que cela leur cause le moindre problème au sein de l’institution.

    Après, c’est essentiellement valable pour quelques sciences humaines. Un mathématicien français qui prendrait des sous d’une milliardaire pour raconter absolument n’importe quoi serait grillé à vie pour la moindre institution respectable en France et, encore plus, à l’étranger.

    Mais en France, dans le domaine de la sociologie et autres sciences connexes, il est tout à fait accepté de faire n’importe quoi et l’institution qui vous abrite accepte également volontiers de passer pour un nid de coucous aux yeux d’une bonne partie du reste du monde.

    sopotec > Pour tout l’or de George Soros je veux bien vous pondre chaque semaine des rapports doté de la même densité scientifique par ligne. Premièrement parce que de l’argent facilement gagné c’est bien. Deuxièmement parce qu’on est proche d’une oeuvre trollesque au final.

    1. kobus van cleef

      Courir le long des berges de la Seine, c’est bon pour la santé
      Avec des flics au cul, c’est bon pour les deux parties, les flics et les noirs…
      Courir un risque statistique, ma foi, il est pas prouvé que ce soit bon pour le coeur ou le système locomoteur
      Mais c’est bon pour les finances des zosiologues…..

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