Fashion victim

François Molins est ancien directeur de cabinet du garde des Sceaux. Sous Michèle Alliot-Marie et Michel Mercier. Aujourd’hui il officie de nouveau comme procureur. Ce qui a fait grincer quelques dents parmi nos syndicats de magistrats préférés. Ce n’est pas tellement pour la confusion des genres en soi, vous vous en doutez, mais plutôt parce que celle-ci a eu lieu à droite.

Avait-il son portrait sur le mur des cons ?

Ce n’est pas impossible.

En tout cas, ce n’est pas une raison pour tenter de le mériter désormais.

Les « premières conclusions » de l’autopsie ont démontré, selon le procureur de la République, « qu’il y a eu une « multiplicité » de coups et que « le décès n’est pas dû à un hématome qui aurait été causé par la chute par terre mais aux traumatismes crânio-faciaux occasionnés par les coups de poing portés à la victime ».

« La force et la violence des coups de poing portés au visage de Clément Méric, c’est-à-dire sur une partie du corps particulièrement exposée, alors que la victime était physiquement beaucoup moins baraquée, les suspicions d’usage d’un poing américain et enfin la cause de la mort due à plusieurs coups portés et non pas à la chute consécutive » ont convaincu le parquet d’ouvrir une information pour « homicide volontaire », a dit le procureur. Ni l’enquête jusqu’ici, ni l’autopsie n’ont permis de confirmer l’utilisation d’un poing américain par Esteban, qui soutient « avoir frappé à mains nues » et donné « deux coups », a cependant précisé M. Molins. Toutefois, un témoin, ami de Clément Méric, assure qu’il en portait bien un, et deux poings américains ont été retrouvés chez lui lors de la perquisition à son domicile.

Là, c’est du grand numéro d’équilibriste.

Peut-être une procédure standard de réhabilitation au sein de la magistrature…

En tout cas c’est du très très haut niveau de cirque.

En résumé, Clément Méric est mort des coups de poing qu’on lui a donné. Ceux-ci n’étaient pas des baffes. Clément Méric était moins fort physiquement que les autres. Donc celui qui a porté les coups devait avoir pour intention de tuer.

Imparable.

D’autant plus imparable quand on sort tout cela du contexte.

C’est à dire du contexte d’une rixe.

Car, oui, il n’y avait pas le service d’ordre de la Manif pour Tous pour protéger Clément Méric cette fois-ci. Ni même l’enceinte de Sciences-Po pour se réfugier. Mais est-ce la faute de celui qui a porté les coups ?

Coups qui auraient été multiples.

Cela voudrait-il dire qu’il y a eu échange ?

Non parce que je veux bien que le visage soit une partie du corps particulièrement exposée mais dans le contexte d’une bagarre où on se prend selon l’autopsie plusieurs coups sur la gueule, il y a généralement des mains qui viennent rapidement se mettre en protection. Si elles n’y sont pas, c’est qu’elles doivent être ailleurs…

Et cela jusqu’au dernier coup qui éventuellement vous envoie valser sur un potelet métallique de mobilier urbain.

Mais personne ne prétend, par exemple, qu’il ait été frappé au sol ensuite. Et le potelet métallique, quant à lui, le nie farouchement.

Tout cela me fait penser, et pour information, que Jérémy Censier, n’avait pas seulement été poignardé devant tout le monde par un individu lors d’une rixe. Rixe à laquelle il n’avait pas participé et qu’il tentait, lui, d’arrêter. Non, il avait également été frappé au sol, de nombreuses fois, à coups de pieds et ce par plusieurs personnages.

La justice avait pourtant décidé de ne pas retenir l’intention de tuer à l’encontre de ces lyncheurs de Jérémy Censier.

Voilà.

Ça c’est du contextuel que n’aime pas trop entendre la justice française.

Si on en revient à Clément Méric, en dehors du contexte toujours, c’est aussi réfléchir à sa mort en dehors de cette situation d’une rencontre fortuite et, selon les premiers témoignages, du contexte de skinheads qui ne semblaient pas avoir l’envie d’en découdre. C’est à dire, a fortioti, de tuer. A moins qu’en redescendant, après leur petit shopping fashion, entre le deuxième étage et le premier, peut-être par le jeu de la mécanique des fluides, une brusque envie de meurtre leur soit subitement montée.

En dehors du contexte c’est aussi oublier que la violence ne se serait pas exercée de manière unilatérale.

En dehors du contexte c’est ne pas prendre en compte, précisément, encore une fois, la situation de bagarre qui ne pousse pas forcément à vous interroger si, sous le polo fashion du type qui vous fait face, il y a un petit mec qui sort d’une leucémie ou un petit sec qui s’adonne au karaté.

Maintenant est-ce que Clément Méric s’est comporté comme sur la vidéo de la Manif pour tous ? C’est possible. La violence, un peu comme la réflexion quand on est à Sciences-Po, ça n’a pas trop l’air d’être son truc. Alors est-ce que le skinhead en a profité pour lui filer une raclée ? Pourquoi pas. On pourrait l’imaginer à défaut de pouvoir l’établir. Mais de là à vouloir tuer ?

Car en dehors du contexte c’est aussi rappeler que juste après, c’est à dire après que Clément Méric soit tombé au sol, tout le monde file à grandes enjambées. L’idée n’est donc pas de le terminer. Sans quoi les skins auraient essayé de finir le job au sol par exemple. Les bouts de pompe coqués, ça sert aussi à ça. Mais non. L’idée dominante semblant manifestement de s’en sortir sans trop de bobos ou d’ennuis.

L’honneur est sauf. La dentition aussi. Filons sans demander notre reste.

Bref.

Tout le monde sait qu’on a ici, à cet instant, affaire à une qualification de violence volontaire ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner. Parce que vous imaginez bien que sinon le procureur n’aurait pas manqué de donner un peu de consistance à son homicide volontaire.

Ce qu’il a oublié de faire le gros ballot.

Et on n’évitera donc que difficilement une requalification des faits lors de la procédure, sauf si on peut prouver qu’il y a eu usage d’un poing américain et que les coups multiples sont le fait du seul Esteban, démontrant un acharnement particulier. Et par multiples je veux dire plus de deux hein…

Autant d’éléments qui ne sont, pour le moment, pas prouvés.

La présence de poings américains au domicile d’un skinhead n’étant pas une surprise absolue.

D’ici-là, l’heure étant pour le moment médiatique, on donne aux médias ce qu’ils veulent entendre. Et ce qu’ils veulent entendre, ça tombe bien, c’est aussi ce qu’a annoncé le ministre de l’intérieur et bon nombre de personnalités de gauche -qui n’auraient sans doute pas souffert qu’on les détrompe alors qu’ils sont enfin au pouvoir.

Tandis que la réalité, elle, se dévoile, sordide.

Des fashion victims encore à moitié dans l’adolescence voulaient acheter des éléments manquant à leur panoplie ou à leur collec’. Ils se sont embrouillés parce que c’est ce que les grands font entre eux. Enfin. Faisaient. A l’époque. Mais en tout cas fallait assumer comme ils disent. Porter ses couilles. T’as le costume des antifas ? Tu dois chasser les fafs. T’as l’uniforme faf, tu ne dois pas te déballonner devant les antifas. C’est la règle du jeu.

La règle de vie.

Sauf que dans le lot il y en a un qui était plus faible physiquement que les autres.

Chaque jour qui passe sur cette terre il y a un adolescent qui veut prouver quelque chose à ses copains ou à lui-même et qui voit trop grand, trop dur. Qui veut accomplir un truc qui n’est pas pour lui mais qui va avec les habits qu’il a acheté.

Et parfois il en meurt.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

29 réflexions sur « Fashion victim »

      1. Vittorio

        Je ne comprends pas comment ce Molins a pu ainsi qualifier les faits, c’est plus que grotesque, d’autant que la procédure allait évidemment être accélérée et foutre en l’air son petit réquisitoire médiatique en plein vol. Les collabos de ce calibre sont sensés y réfléchir à deux fois avant de jouer au con. Ils ont vraiment pété les plombs avec cette affaire ridicule, ça va leur revenir dans les dents au fur et à mesure du procès.

        Bon, si les médias continuent à en parler. On peut en douter, mais comme ces derniers tiennent le manche ils vont vite jouer aux innocents.

        1. Blueberry Auteur de l’article

          Et je ne comprends pas comment ils ont pu ne pas se coordonner un minimum.

          A mon avis, il y en a qui ont conservé une dent contre François Molins pour lui faire un coup pareil qui le fait quand même passer pour une guignol aux ordres ou sous influence médiatique.

          A moins, c’est une autre hypothèse, que l’essentiel est d’avoir faire dire et écrire dans la journée, pour quelques heures, les mots « homicide volontaire » un peu partout.

        1. Blueberry Auteur de l’article

          «La situation est ici a priori un peu compliquée par la séquence “coup porté suivi d’une chute avec impact crânien”, observe le Pr Mangin. Mais il n’y aura guère de difficultés pour établir les causes de la mort. L’examen détaillé des lésions cutanées puis osseuses permettra de faire la part entre ce qui est du ressort d’un coup porté et d’un choc subi en tombant. L’usage d’un “poing américain” laisse notamment des empreintes très caractéristiques. Les investigations seront complétées par d’indispensables examens anatomopathologiques du tissu cérébral en regard des lésions externes.»

          «Il faudra également tenir compte de l’existence, évoquée par plusieurs médias, d’une forme de leucémie dont le jeune homme aurait souffert, ajoute le Pr Mangin. S’il était guéri et s’il ne souffrait d’aucun trouble de la coagulation sanguine, cet élément ne sera pas pris en compte. En définitive, au-delà des examens visuels et des résultats biologiques, ce sont surtout les images (en trois dimensions et différents plans) obtenues grâce au CT Scan qui nous permettent aujourd’hui dans ce type de situation de faire une lecture fine et détaillées des lésions –et de fournir à la justice des éléments précis quant aux causes exactes de la mort.»

          Je crois que cela répond, a priori, si ce Pr Mangin a raison, à la question du poing américain… Et s’il a raison toujours, cela signifie que le procureur aurait retenu volontairement cette information en ne souhaitant pas se prononcer sur cet aspect lors de la conférence de presse afin de mieux laisser le doute et renforcer son homicide volontaire.

          1. Paul Hodell-Hallite

            N’importe quel médecin habitué à voir ce genre de blessure peut affirmer avec exactitude si elle a été causée ou non par un poing américain. N’importe quelle personne normale aussi, d’ailleurs.
            Cette affaire monopolisera l’attention pendant encore plusieurs jours.
            Faire traîner les analyses, laisser le doute planer permet de gagner un jour ou deux pendant lequels une des parties gagne des points.
            Quand la vraie version, tut ce qu’il y a de plus officielle, arrivera plus tard dans les grands médias, l’attention sera retombée. Ce qu’il restera, ce sont les mots « poing américain », « agression », « meurtre », etc…
            Et puis, les skins ne sont peut-être pas les types les plus fins du monde, mais au point de laisser l’arme du crime éventuel chez eux?
            Ce qui importe, c’est l’utilisation du mot « poing américain ». Qu’il soit précédé de « pas de » n’a pas d’importance, on laisse planer le doute le plus longtemps possible, là où la police règle la question en une demi-heure si nécessaire, et les journalistes la demi-heure suivante.

            1. Baraglioul

              Si tel est leur raisonnement, il est extrêmement dangereux. Ces gens-là se croient encore à l’époque de Carpentras. Ils pensent qu’ils peuvent clore une affaire en demandant aux journalistes de ne plus en parler. Ils n’ont toujours pas intégré l’existence d’internet.

            2. Paul Hodell-Hallite

              Pas sût qu’il y ai beson de la moindre directive, les journalistes connaissent leur rôle.
              Quand la vraie version arrivera plus tard dans les grands médias, monsieur-tout-le-monde aura juste retenu qu’un jeune de gauche a été assassinné par des skinheads au poings américain.

            3. XP

              « monsieur-tout-le-monde aura juste retenu qu’un jeune de gauche a été assassinné par des skinheads »

              Et il sera tout à fait impossible d’expliquer à Monsieur tout le monde qu’il se trompe (même s’il n’est pas de gauche), ii se mettra sans doute en colère et refusera de continuer à vous écouter.

              Pourquoi, parce qu’il est moins con qu’on le croit, Monsieur tout le monde. Il veut être détenteur d’une information facile à comprendre, et les grands médias sont là pour lui fournir sa came.

              C’est Monsieur tout le monde, le vrai salopard de l’histoire.

      1. Francophobe

        Comme le Esteban est né étranger (Espagne) et que la victime est blanche, mouloud peut pas la ramener avec son argumentation habituelle qui se limite à dénoncer ici la xénophobie, et là le racisme. Donc mouloud a plus rien à dire et il la ferme.

  1. NOURATIN

    Ce n’est pas plus mal comme ça, allez. Avec une qualification de meurtre, il passait aux assises, le skin, devant un jury populaire, ils étaient encore foutus de l’acquitter ces cons-là.
    Alors qu’en correctionnelle, devant trois juges du SM, on est tranquilles, il va morfler le gros paquet, Estéban!

    1. Baraglioul

      Il est possible que ce soit encore pire que ça. En effet, d’après un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 16 février 1967, « la légitime défense est inconciliable avec le caractère involontaire de l’infraction poursuivie« . Cela dit, je ne sais pas si le caractère « volontaire » doit concerner le geste (« violences volontaires ») ou ses conséquences (« sans intention de donner la mort »).

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