Aznavour

Encore un texte superbe de Kitschophobe. Ca devient une habitude.

 

Dédé et moi on est pas sans le sou…Lorsqu’un type nous jette un regard qui sue la peine on le raccompagne par derrière, puis on le dépouille, violent, sur le seuil de sa porte…A l’ancienne. 

J’ai envie de parler des yeux de Dédé et de la classe comment il sait tout, sérieux, y’a aucun type qui le fait bafouiller et si on tombe sur un faux malin, il sort un mot compliqué et teigneux et le type il s’effondre et lance : on peut pas discuter avec vous. Le meilleur Dédé. Un astre. 

Il aime pas Aznavour, Dédé, il le traite de juif qui ressemble à rien et qui force sa voix, et à bien y regarder, Aznavour ressemble à un juif sans contour qui force sur sa voix, et ça, je peux pas l’expliquer, mais ça me réchauffe de l’intérieur, ça me console et me fait voir des richesses galopant derrière des visages hideux et gâtés, pour pas faire lyrique….Montmartre ne ressemble plus à grand chose et Dédé fait de grands gestes en écoutant la chanson de Charles et s’énerve tout seul: je le détrompe, Montmartre n’a jamais été pouilleux ni charmant, on y croisait que des crevards, des faux peintres demi crève la faim qui singeaient Chagall et je vois pas pourquoi ça mériterait une chanson, un repère à merdes pareil devenu fort logiquement un tas de boutiques qu’on sait même pas ce qu’elles vendent tellement c’est cher et vide…

Comment Dédé pourrait il le savoir ? Il doit avoir, 5 ou grand max 10 ans de plus que moi, et il nous est pas permis de savoir quoique ce soit d’un temps proche mais achevé. On a bien essayé de faire parler des vieux, pour savoir…Ils disent que des conneries. Des anecdotes, des histoires de filles et de politique, des rues où tous se seraient enfuis, des ambiances pas croyables, des cafés et des boulots disparus, ils prennent tout ça et chient un étron qu’ils appellent mon époque. C’est trop facile. 

Moi, les années 90 j’y suis, à l’aise, sans le savoir, et je ne peux rien en dire. Il en restera quedalle à part dans ma tête et dans celle de Dédé, si bien qu’on ira tancer de plus jeunes couillons qui ne les ont pas connues avec des arguments massues, des souvenirs remodelés par des décennies de fatigue et le jeune, il saura pas, il va gober, fébrile. Et ça j’ai pas envie. Je veux pas finir comme les vieux délirants qui produisent un mensonge que tous cautionnent, par flemme, par envie, en se laissant aller à croire qu’ils ne sont pas fait pour leur époque. Suprême consolation des branleurs et des ratés, des précieux… Soit-disant qu’ils méritent mieux, et lointain, et grandeurs passées ! Turlututu un tel se voit monarque, royal, descendant, un autre ferrailleur peinard et un autre encore résistant, écumeur des mers, exilé au Far West, bronzant route national 7… Je connais la chanson. 

– Le monde est lourd, et crevant, la vie est délicieuse, pleine à jouïr de secrets qu’on s’invente…même qu’ils nous caressent avant le sommeil, rebondissent au matin…ils nous poursuivent gentiment et se coagulent à nos yeux…je vais en chialer…sérieux Dédé, sérieux, c’est la vérité… promets-moi, promets-moi Dédé qu’on laissera jamais une décennie nous enlever le sel de la vie ?

– Qu’est ce que tu racontes ? T’as bu ? t’as fumé ? 

– Promets-moi ! J’ai trouvé le secret du temps, je crois…Sisi c’est sûr, faut pas vieillir. C’est simple. Faut lever le menton devant chaque année qui s’échappe. Tout est une question de maintien ! Faut tenir Dédé, ne pas se laisser aller…se maintenir ! promets-moi qu’on se laissera jamais aller ?

– Vas-y ça marche…On va faire comme ça. Mais tu fais chier à demander des trucs chelous. Et arrête de m’appeler Dédé. T’as vu ça où ? Dans un film où les images sont longues ?  Je préfère encore Momo…Et tu ferais mieux de penser concret, je t’ai déjà dit…le réel, la vie concrète. On dort où ce soir ?

3 réflexions sur « Aznavour »

  1. XP Auteur de l’article

    Pour les lecteurs gloutons qui lisent trop, et trop vite, qui avalent leurs lectures cul-sec, quelques citations du texte:

    Mais tu fais chier à demander des trucs chelous. Et arrête de m’appeler Dédé. T’as vu ça où ? Dans un film où les images sont longues ?

    Promets-moi ! J’ai trouvé le secret du temps, je crois…Sisi c’est sûr, faut pas vieillir. C’est simple. Faut lever le menton devant chaque année qui s’échappe. Tout est une question de maintien ! Faut tenir Dédé, ne pas se laisser aller

    Le monde est lourd, et crevant, la vie est délicieuse, pleine à jouïr de secrets qu’on s’invente…même qu’ils nous caressent avant le sommeil, rebondissent au matin…sérieux Dédé, sérieux, c’est la vérité… promets-moi, promets-moi Dédé qu’on laissera jamais une décennie nous enlever le sel de la vie ?

    Soit-disant qu’ils méritent mieux, et lointain, et grandeurs passées ! Turlututu un tel se voit monarque, royal, descendant, un autre ferrailleur peinard et un autre encore résistant, écumeur des mers, exilé au Far West, bronzant route national 7… Je connais la chanson.

    Je veux pas finir comme les vieux délirants qui produisent un mensonge que tous cautionnent, par flemme, par envie, en se laissant aller à croire qu’ils ne sont pas fait pour leur époque.

    On a bien essayé de faire parler des vieux, pour savoir…Ils disent que des conneries. Des anecdotes, des histoires de filles et de politique, des rues où tous se seraient enfuis, des ambiances pas croyables, des cafés et des boulots disparus

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