Il y a quelque chose d’assez comique à voir des gens qui peinent à réunir 70 personnes donner des leçons rageuses à ceux qui en réunissent 700 000.
Ces dernières semaines, on avait droit aux vociférations de Bernard Antony sur les homos : à l’entendre il aurait fallu défiler aux cris de « les pédés au feu, Hollande au milieu ». Notez que je résume, Bernard Antony bégaye plus compliqué : il expliquera longuement, entre une mise en garde idéologique (ça c’est pour l’extrême droite) et une demi-blague (ça c’est pour le côté méridional), qu’il a raison, qu’il a seul raison, et que si on suivait ses conseils, principes, méthodes, avis à lui qui réunit 70 personnes, on en ferait venir sept cent mille qui d’enthousiasme épouseraient les mêmes thèses qui habituellement les font fuir ou rencontrent leur ennui maussade. Et qui en tout cas ne les réunissent pas en nombre, sinon ça se saurait… car si c’était le cas, précisément, c’est Bernard Antony qui réunirait régulièrement des centaines de milliers de personnes.
On peut le résumer plus simplement encore : « Frigide, vous avez tort, confiez-moi vos troupes à moi qui pense mieux que vous. » L’ennui c’est que Bernard Antony n’a pas encore compris qu’ à l’instant où il haranguera la foule comme il sait le faire, elle tournera les talons et il se retrouvera soutenu par ses 70 péquins habituels. Ou s’il l’a compris, il ne peut l’admettre.
Cela ne vaudrait pas la peine qu’on l’explique s’il n’y avait eu récemment un nouveau progrès dans le bafouillis de l’Ayatollah Cassoulet : voilà des semaines qu’il nous dit que la Manif pour tous ne fait pas de politique. C’est son grand grief. Alors que lui, Bernard Antony, fait de la politique. Évidemment. Avec une persévérance qu’on aura remarquée. Sans compter ses succès réguliers et constants.
Il me semble au contraire que Frigide Barjot fait de la politique. Elle passe des compromis, elle abandonne les réquisitions idéologiques délirantes au profit d’un objectif, clair, défini, attingible : obtenir qu’une loi ne soit pas votée, ou si elle est votée qu’elle ne soit pas promulguée. Et si pour cela il faut passer des alliances improbables, de pure circonstance, voire dangereuses, alors il faut le faire. Aux purs les mains propres, parce qu’ils n’ont pas de mains ! Les efficaces, les politiques, ceux qui ont une chance de faire changer les choses ont eux assez fréquemment les mains sales. On rougit presque d’avoir à rappeler de telles évidences, mais il faut semble-t-il le faire devant la rageuse impuissance d’un Bernard Antony.
Celui des deux qui fait de la politique, c’est Frigide Barjot : s’allier à un ennemi pour en abattre un autre, c’est ça la politique. Pas rester à exiger des autres, dans son coin, des puretés qui ont mille fois fait la preuve de leur impuissance et de leur nocivité politique, comme le fait Bernard Antony.
La politique se fait sur des réalités. Le réel c’est que tant qu’il n’y aura pas, visibles dans les cortèges de la manif pour tous, des secteurs de l’électorat qui votent socialiste, le pouvoir ne reculera pas. Les cathos blancs à famille nombreuse, c’est très sympathique. C’est très utile. On peut même les apprécier plus que d’autres sections de l’électorat pour mille bonnes ou mauvaises raisons. Mais croire que les socialistes reculeront terrifiés à l’idée que ces gens là ne votent plus pour eux, c’est simplement idiot. Parce que de toute façon ces gens là ne votent pas socialiste. Donc, oui, il faut aller chercher les homos. Donc, oui, il faut aller cherche l’UOIF. Pourquoi pas ? S’il y avait un moyen d’embrigader dans les manifs des franc-maçons avec leur insignes et cordons il faudrait aller les chercher. Des adorateurs de l’oignon aussi. Peu importe qui.
Pendant ce temps Bernard Antony, tout seul dans son coin, maugrée et exige qu’on épure les troupes jusqu’à ce que leur orthodoxie idéologique n’ait d’égal que leur faible nombre suite aux décimations successives. Il est sûr d’avoir raison. Peut-être même a-t-il raison d’ailleurs. Mais la politique ne consiste pas à avoir raison, et avoir raison n’y a pas de vertu efficace particulière. Il y avait des gens qui avaient raison en 1791, il y avait des gens qui avaient raison en 1917. Cela ne leur a pas été d’un grand secours. Avoir raison est une belle chose, mais il ne faut pas mélanger les ordres : à supposer même que Bernard Antony ait raison, qu’il soit le plus intelligent, le plus pieux, le meilleur dans tous les domaines qu’on voudra, il ne réunit que 70 personnes. Or le seul péché en politique, c’est d’échouer.
Alors de Bernard Antony et de Frigide Barjot, c’est Frigide Barjot la politique des deux. Et cela seul suffit à ce qu’on la soutienne, parce que cela manquait justement cruellement à droite jusqu’ici.
Mais, dira-t-on, Frigide Barjot a-t-elle les capacités politiques pour discuter avec l’UOIF ? ne sera-t-elle pas imprudente ? a-t-elle même ce qu’il faut de lucidité pour comprendre que ce qu’elle fait là est par essence politique ? A-t-elle lu Sun Tzu ? Je n’en sais rien, je ne la connais pas, ni ceux qui l’entourent. Mais ils sont les seuls à faire quelque chose de politique sur ce sujet, pour obtenir un résultat clair, pratique, déterminé, au lieu de pérorer et de faire paraître des communiqués grandiloquents que personne ne lit et dont on ne sache pas qu’ils aient jamais eu la moindre vertu pratique en plusieurs décennies de vie politique pour Bernard Antony. Il y a donc peu le choix. Et en plus, ça a l’air de ne pas mal fonctionner jusqu’à présent.
Alors par pitié Bernard Antony, même en n’imaginant pas que soit premier chez vous le simple dépit d’une mouche du coche aigrie qui voit la voiture avancer en dépit de vos mises en garde et objurgations, par pitié, même si vous avez raison — peut-être surtout si vous avez raison —, par pitié Bernard Antony, taisez-vous, sinon pour soutenir ces manifestations.
Mais c’est très juste tout ça! Le seul souci est qu’en face, chez nos gouvernants (de droite ou de gauche) il ne me semble pas qu’ils fassent réellement de la politique (alliances, débats, compromissions) mais qu’ils pratiquent plus un totalitarisme décomplexé puisque ce terme est à la mode. Rien à cirer des manif à 2 millions, rien à cirer des pétitions au CESE etc… Une démocratie complètement dépassée et ceci est parfaitement assumé.
Sinon, heu, c’est qui Bernard Antony??
« Sinon, heu, c’est qui Bernard Antony?? »
Hu hu hu!!!
Elle connait même pas l’Ayatollah Cassoulet!
La honte: on voit bien qu’elle n’a pas milité au FN et à l’AF dans sa jeunesse!
Bon, celui-là il est tellement atteint, comme CAB, que Jean-Marie a finit par le foutre à la porte^^
Je n’ai pas parlé de démocratie, j’ai parlé de politique. Ne mélangeons pas tout, pour ne pas faire comme Bernard Antony. Le but est-il d’obtenir que cette loi n’aboutisse pas ? si oui il y a des moyens, il faut les employer. Si on se met à passer au niveau des critiques générales sur la démocratie et patin et couffin (critiques peut être fondées) on perd nécessairement de vue les moyens de cet objectif. Le but de la manif pour tous n’est pas de régler son compte à l’oligarchie française. C’est d’essayer d’obtenir un résultat qui concourra peut-être à ce but plus général, en faisant reculer une réforme de société socialiste, et du même coup en en dissuadant durablement l’UMP et peut-être en faisant peur au PS qui hésitera à se reprendre la même chose dans la gueule sur le droit de vote aux étrangers par exemple.
(Au milieu de toutes les stupidités des communicants de l’Elysée c’est celle là la pire : avoir fait passer le mariage avant le droit de vote aux étrangers. Dans l’autre sens, c’était dur, mais ça passait sans doute, le premier débat diabolisant les opposants aux 2. Dans le sens mariage d’abord, droit de vote ensuite, c’était infiniment plus compliqué. Sérillon est un mauvais, ce n’est pas un scoop.)
Le caractère oligarchique du régime français est évident. Il n’est pas nouveau, qu’on se souvienne de l’omniprésence des radicaux dans leurs différents avatars sous la 3e république. Il provient du caractère bourgeois de 89. Mais l’attaquer en tant que tel ne sert pas à grand chose puisque les moyens pratiques manquent de le faire : encore une fois avoir raison, être moral ou sincère n’est pas une action politique.
Voir tout, supporter beaucoup, corriger une chose à la fois, comme disait saint Bernard (pas Antony). Il serait dommage que retomber dans le blabla pseudo-politique généraliste sans effet ni horizon divise. C’est la première fois depuis 1984 qu’il y a la possibilité d’un effort pratique, qui aurait un effet réel. C’est assez rare pour qu’on ne gâche pas cette chance au profit des éternels grands discours sans but autre que de contester vaguement et dans le vide ou assurer une orthodoxie idéologique qui finit par être si pesante qu’elle a fait, au mieux, en comptant un fort vote de contestation, 18% dans les urnes. Et qui y fait régulièrement moins de 5% sur les seules réquisitions de l’Ayatollah Cassoulet.
(Et voilà ! encore une qui ne lit pas les communiqués rageurs et grandiloquents de Bernard Antony, qui ne sait même pas qui c’est… le monde est injuste.)
» Le but de la manif pour tous n’est pas de régler son compte à l’oligarchie française. C’est d’essayer d’obtenir un résultat qui concourra peut-être à ce but plus général, »
Oui d’accord là c’est très clair et très juste.
A propos des communiqués rageurs dont j’ignore tout c’est parce que je supporte déjà ceux de toute une smala familiale et si je devais en plus m’en coltiner d’autres je crois bien que je n’y survivrais pas^^
Bravo Nicolas ! Vraiment. J’aurais aimé avoir les capacités et la disponibilité pour écrire un tel article.
Permettez moi toutefois d’émettre deux légères critiques :
1. Ce que vous qualifiez de « politique », je le qualifierais de « technique » ou de « tactique », et, à plus grande échelle, de « stratégique » (combinaison de tactiques). Bernard Antony et ses con-disciples ne sont pas nuls en politique, ils sont nuls en tactique et en technique ; ils ne savent pas communiquer, ils ne savent pas mobiliser ; ils ne savent pas combiner, ils ne savent utiliser. Vous mêmes dans votre commentaire de 11h49, qui précise votre pensée originale, vous employez des termes plus techniques : « il y a des moyens, il faut les employer », « essayer d’obtenir un résultat », « un effet réel », « une action politique », « moyens pratiques », écrivez-vous.
2. Concernant Sun Tzu, j’ai toujours été instinctivement très réticent à son égard. Il n’y a pas besoin d’être chinois ou de lire un chinois pour être un intelligent gaulois greco-romano-christianisé. L’histoire de l’Eglise catholique autant que celle de la France apportent des exemples innombrables de ruses, de tactiques et de stratégies élaborées. Mais il se trouve que, par ailleurs, les plus récentes études consacrées à Sun Tzu font apparaitre ses écrits comme une sorte de second journal d’Anne Frank : un truc bidonné. Je vous invite à lire ce billet : http://lavoiedelepee.blogspot.fr/2013/03/sun-tzu-en-france-de-yann-couderc.html. Il y est notamment écrit que « L’étude montre bien que le lecteur français se trouve aujourd’hui devant une palette de textes dont les différences sont par endroits réellement fondamentales ». Il convient donc d’être, même avec ce chinois, très prudent, et tant qu’à faire, mieux vaut s’inspirer d’exemples, si nombreux, et réels, de notre histoire européenne et française.
Bien à vous, et, j’ose le dire sans exagération, Nicolas, vous honorez Ilys !
Mac Guffin
Sun Tzu, ou quelque soit le nom qu’on donne à l’auteur (auteurs ?) de ces textes, n’a pas rédigé un livres des ruses ou des stratagèmes. C’est-à-dire un catalogue d’anecdotes plus ou moins historiques sur la manière de tromper l’ennemi. Il a été le premier à conceptualiser une vision stratégique. Une vision stratégique qui n’est pas délimitée par les affaires militaires stricto-sensu, mais qui fond tous les aspects du gouvernement d’un Etat dans la chose militaire. Chez Sun Tzu l’armée n’est qu’un élément parmi d’autre qui apporte la victoire.
Mon cher Vae victis, Sun tzu n’était qu’un arboriculteur facétieux : http://suntzufrance.fr/sun-tzu-et-la-culture-des-bonsai.