« Le plus grand, le seul ennemi de l’émancipation de la femme est la femme. »
Otto Weininger.
Je ne sais pas s’il y a une manière féminine d’écrire. Mais il y a sans doute une manière d’écrire pour les femmes.
J’ai lu Cinquante nuances de Grey. Les scènes sexuelles sont loin d’Henry Miller ou du Jin Ping Mei, et même loin du scandale que veulent y voir assez poussivement quelques trop intransigeants policiers des braguettes. L’important n’est absolument pas exprimé par ces moralistes ridicules.
Passons sur la pauvreté du vocabulaire, l’usage fréquent de poncifs et d’expressions toutes faites, la linéarité désespérante de tout cela, les phrases calibrées pour que même une lectrice de Biba en suive le mouvement et n’en oublie pas le début quand elle sera arrivée à la fin, passons sur les « whaou » et autres interjections ridicules qui ponctuent le texte, et passons même sur l’abandon d’à peu près toute proposition relative. Ce n’est pas là l’important non plus, quoi qu’en disent Richard Millet ou Renaud Camus.
L’important, à mon sens, c’est que cela me rappelle furieusement la manière d’écrire d’une cousine, pour laquelle je relis quelquefois des textes qu’elle arrive même à faire éditer chez de petits mais vrais éditeurs. On repérerait sans doute la même chose chez un Musso, une Gavalda ou un Lévy, qui ont tous compris qu’il n’y avait plus guère que des lectrices, et qui se sont adaptés. Mais E. L. James a poussé le constat au bout de sa logique : c’est une femme, elle écrit pour des femmes, le sait, et que ce soit un art consommé ou une simple manière d’écrire ce qu’elle aimerait lire, c’est redoutable en son genre.
Trois procédés sont plus aisément repérables et omniprésents, que je retrouve, à la réflexion, chez (presque) toutes les femmes qui écrivent autour de moi, même si c’est souvent à des degrés moindres :
— D’abord une certaine attention aux petites choses. Mais nous ne sommes pas du tout dans le something out of nothing ou dans la trivialité d’un passage de Joyce avec son contrepoint lyrique. Bien au contraire, le détail quotidien a une valeur par lui-même, non par sa trivialité : dans cette littérature-là il est important de proposer à sa colocataire « un doliprane ou un advil », pour prendre mon exemple dans le premier chapitre. Cette vie quotidienne n’appelle jamais autre chose, elle n’est ni symbole, ni image, ni ne vaut en tant que telle dans un but esthétique ; le détail semble juste là pour ancrer l’écriture dans le réel, dans la vie quotidienne de la lectrice, pour démentir d’avance toute littérarité, sans doute jugée avec raison trop élitiste pour la mère de famille, — puisqu’on parle à propos de ce livre de mom porn. D’ailleurs les noms des deux médicaments sont traduits, ce qui n’avait rien d’évident, mais on comprend que Nyquil ou Tylenol n’auraient justement rien dit de son quotidien à la lectrice française en mal d’identification.
— Aidée par cette attention à des détails pratiques, à des situations banales, à des actions quotidiennes sans intérêt mais mentionnées expressis verbis, la narratrice entretient un constant dialogue intérieur, se regarde, se jauge et est volontiers sévère avec elle même. Les situations sont ainsi dans un état de tension perpétuelle entre l’image qu’elle donne d’elle-même, ou qu’elle suppose objectivement donnée par ses actes et lisible par les autres personnages, et ce qu’elle serait intérieurement, ce qu’elle ressent, ce qu’on appellerait une sorte de vérité du personnage si tout cela ne relevait pas plus de Psychologies magazine que de Thomas Bernhard. Comme certaines femmes que nous pouvons croiser, cette narratrice obsédée par le regard des autres se pense presque sans cesse pataude, lourde, « pas à sa place », mal coiffée ou mal habillée ; la surveillance est constante. Ainsi, toujours dans le premier chapitre, la narratrice prénommée Anastasia trébuche ridiculement en entrant dans le bureau de Grey qu’elle est venue interviewer, se voit tomber, se dit maladroite, s’en afflige, se demande ce qu’il peut en penser… Bien plus : cet incessant jeu où Anastasia se désole de l’inadéquation entre ce qu’elle ressent et ce qu’elle donne à voir par ses actes s’étend aussi aux paroles et aux dialogues. Toutes les cinq lignes, elle se demande pourquoi elle dit ceci ou cela, se trouve maladroite de poser cette question, trouve qu’elle n’aurait pas dû risquer telle expression… Le schéma est simpliste mais peut être décliné à l’infini, ne semble jamais lasser, et il répond sans doute à une insécurité importante, omniprésente sans doute, quant à l’image que les femmes donnent d’elles-même dans nos sociétés où le destin de Cinquante nuances de Grey est un succès surprenant pour un ouvrage si médiocre.
— Conséquence de cette insécurité, manière d’essayer de la corriger, le troisième point que même le lecteur le moins attentif ne peut que noter, c’est une sorte de volontarisme mis en scène de manière souvent agaçante : l’héroïne s’encourage, littéralement, s’enjoint à elle-même continuellement de se secouer, de se prendre en main, de se reprendre quand elle faiblit, cela de toutes sortes de manières. Anastasia Steele ne voit-elle pas surtout, toujours dans le premier chapitre pour y limiter mes exemples, ces qualités prédominantes chez sa colocataire : tenace, insistante, habile, sachant s’y prendre ? Bien entendu cette manière de s’encourager n’a de sens que si l’on est faible, qu’on retombe dans cette faiblesse, et l’on comprend bien que l’un des dispositifs les plus puissants dans ce livre va être la manière dont l’héroïne est poussée à se révéler, en dépit de son incapacité à répondre aux encouragements quelle se prodigue et à donner l’image vraie d’elle-même que masqueraient sa maladresse, la pauvreté de sa garde-robe ou ses cheveux rebelles.
Tout est alors en place pour une romance où la godiche maladroite et peu sûre d’elle va finir par se révéler dans l’épreuve que lui impose un amour impossible mais qui n’en grandit pas moins inéluctablement en elle ; ce processus transforme à son tour l’insensible Grey et ces deux rédemptions symétriques et réciproques sont le vrai sujet du livre, notablement facilitées par l’argent du milliardaire, deus ex machina moderne, discret et distribué tout au long d’une progression qui serait moins facile mais ferait aussi moins rêver sans lui.
Le tout en trois volumes, c’est dire si la lectrice peut passer par des frissons de fausse désillusion et des suspenses intenables jusqu’au final triomphe de l’eau de rose, agrémentée cette fois des menottes rembourrées en fausse fourrure de félin et de quelques coups de martinet.
On ne dira pas que l’éditeur a manqué un bon sous-titre en ne retenant pas Les Jeux de la marchandise et du narcissisme. C’eût été, malgré sa facilité, une référence trop inaccessible et trop compliquée pour le nombreux public visé, fait de connes mal baisées dans l’attente d’un bellâtre charmant et riche qu’elles attendront longtemps avant que la vieillesse ne devienne leur enfer mérité.
ce qui est hallucinant dans cette chick-lit c’est le peu d’intelligence que les auteurs accordent aux lectrices. Il faut que tout soit explicitement énoncé, dans ces bouquins-là, il n’y a aucune ellipse, aucun pari sur l’intelligence de la lectrice. Tout est exprimé, donné, lire un bouquin de ce genre pour une nana, c’est comme regarder la télé, aucune réflexion n’est demandée, mais la donzelle qui lit cela se donne bonne conscience….
Voilà le secret du succès littéraire, un livre à la con écrit par des connes pour des connes et qui traite essentiellement des aventures du con.
Finalement c’est bien que l’analphabétisme progresse.
Excellente analyse.Quand les femmes envahissent un secteur de la littérature , les hommes le fuient.On le voit avec le rayon fantastique/horreur envahi par de mauvais bouquins de vampires où le style
n’est même pas fonctionnel mais inexistant.Il vaut mieux ne pas lire
ou plutôt lire les notices techniques de son matériel de bricolage.
Vos propos machistes me ramenent à une expérience récente :
J’ai interrogé plusieurs de mes relations féminines -toutes préparatoires en pharmacie- sur le sujet « que pensez-vous du mariage pour tous? »
La réponse invariablement fut « s’ils s’aiment ? »;
ce qui me mit en fureur : »qu’est-ce pour vous le mariage ? ».
Bref mon but n’est pas de relancer ce sujet …
mais d’observer que la diffusion permanente des thèmes de l’idéologie dominante suffit à convaincre nos compagnes. Je comprends pourquoi les référenda sont inutiles, puisque après un « lavage de cerveau », un sondage suffit.
Alors la littérature ….
Propos machistes ? Absolument pas. Nous sommes d’authentiques féministes, les seuls vrais féministes. D’ailleurs toute lectrice qui croupit dans une certaine misère sexuelle et qui ne trouve pas son compte à la lecture des 50 nuances de Grey peut s’adresser à nous sur la boîte mail d’Ilys en joignant quelques photos, on ne le rappellera jamais assez.
Aujourd’hui, les vrais machos sont ceux qui laissent parler leurs femmes ou lire ce genre de merde avec un sourire condescendant. Un véritable féministe est celui qui éduque sa femme.
Sinon, les 3 points évoqués dans l’article se retrouvent absolument partout dans les « produits culturels pour femmes » : films, séries, blogs…La profonde insécurité de la femme moderne, son image floue d’elle-même, ses insupportables contradictions projetées, sont lisibles partout.
Le problème des hommes aujourd’hui c’est qu’ils sont féministes. Et quand enfin ces hommes se rendent compte que les femmes, leurs femmes, n’agissent pas et ne pensent pas comme on n’a cessé de le leur répéter, ils sont souvent anéantis. Beaucoup de problèmes de couple vient du fait que le garçon voit souvent sa femme à travers un filtre idéologique.
Il ne faut ni rêver, ni « éduquer » les femmes (la femme nouvelle n’a plus plus de chance d’éclore que l’homme nouveau), il faut les accepter comme elles sont réellement et s’en arranger. Ne pas être déçus c’est commencer par accepter la réalité.
Quelques (beaucoup?) femmes sont en demande d’éducation, même si ce mot n’éclot probablement pas dans leur tête. Ne pas sous-estimer la torture permanente que représente pour elles les dictats contradictoires de la société concernant la femme libre et moderne (pardon pour ce vocabulaire galvaudé). Elles sont terriblement sérieuses. Elles n’ont jamais été aussi peu légères, libres et épanouies, elles croient l’être ou se forcent à l’être sur des sujets mineurs. Il s’agit en fait d’un travail de déséducation ou de libération, véritable, dans ce sens bien compris. Et c’est win-win. Et c’est amusant. Il faut être maso pour s’en priver.
Il y a un principe de realite que je vais enoncer crument et vous m’excuserez: la seule chose qui soit raisonnable au sens de la Raison chez une femme c’est l’homme! Une fois que ces deux termes sont correctement poses tout devient plus facile pour l’un comme pour l’autrE.
A propos d’education feminine jamais on en a autant manque. Une femme ideologisee ca n’est pas tres grave si elle parfaitement eduquee.c’est ce qui manque le plus aujourd’hui.
C’est assez amusant a
Oui je voulais montrer tout l’interet d’une education feminine aboutie chez certaines heroines de Jane Austen malgre un manque de vertu ou d’intelligence chez ces memes personnages mais avec ce minuscule clavier je n’arrive a rien.
« Un véritable féministe est celui qui éduque sa femme. »
C’est encore leur faire trop honneur que de les penser capable de toute élévation intellectuelle, ces bougresses, ces infâmes, ces trompeuses, ces séductrices, par qui le mal advient, incapables de penser, incapables d’œuvre créatrice (lu ici et là, pas vous, pardon, mais pourquoi ne pas généraliser après tout? Vous le faites si bien, et oui, monsieur, vous m’inspirez.)sans le secours de l’homme, ce pédagogue inespéré, salvateur, omniscient; sans lui, la femme resterait ce petit animal plaintif et gémissant, émotionnel forcément, pathétique toujours, opposé jusque la fin des temps à l’homme fort et rationnel, le bâtisseur. Alors, oui, au nom de toutes les buses qui me servent de consœurs (et dieu sait qu’elles sont nombreuses, et qu’elles sont connes), je vous remercie de me le rappeler et je vous remercie de m’apporter autant.
Merci pour nous, merci pour elles.
Si vous n’aimez pas être dominée intellectuellement, pas de panique, il reste le bondage ou le nyotaimori.
Déjà mon plan de carrière. Vous, fin psychologue.
Littérature, cinéma, arts plastiques, architecture… plus les femmes s’en mêlent, plus le niveau baisse. Qu’on me cite une seule oeuvre géniale produite par une femme. Une seule. Et je ne parle même pas de tout ce qui concerne la réflexion intellectuelle. Là aussi, c’est le néant.
Le seul domaine créatif dans lequel elles excellent, c’est quand elles sont actrices : le mensonge leur est naturel, comme chacun sait.
Le seul endroit ou je croupis est en Bretagne mais je voulais simplement intervenir pour souligner que je ne voyais aucun propos outre ou machiste dans l’analyse de Nicolas. Je dirai plus tard pouquoi.avec ce clavier de tel port.je suis mal a l’aise.je n’arrive pas a mettre les accents.
Sinon en matiere de litterature feminine (ecrite par une femme et peut etre pour les femmes mais pas seulement) reussie vousavez Jane Austen. Jeme regale avec Mansfield Park.
D’abord, on ne croupit jamais en Bretagne. Éventuellement, on y, euh… médite humidement.
Secundord, si les romans de Jane Austen ont bien été écrits par une femme, qui d’ailleurs s’appelait Jane Austen, par une étrange coïncidence (et bien que certains critiques en plein délire ont affirmé qu’ils avaient été écrits par un certain Marcel Duchemin, polygraphe français en activité au Creusot au début du XIXème), je n’aurais pas dit qu’ils ont été écrits pour les femmes.
Pourquoi ? Parce que j’adore Marcel Duch… pardon, jane Austen, et que je suis un homme (enfin, je crois, j’ai des doutes, là, subitement). En fait j’aime surtout les premières moitiés des romans de J.Austen. Ce qui ne veut pas dire que je n’aime qu’à demi Austen, parce que ces premières parties, je les aime à fond.
De fait, Mansfield Park est génial, la 1ère moitié surtout, toutes les scènes du montage de la pièce de théâtre qui n’aura pas lieu.
En fait, j’ai trouvé la solution, qui me rassure car elle démontre que je suis bel et bien un homme : les 1ères moitiés des romans d’Austen, piquantes, satiriques voire méchantes, sont pour les hommes, les 2èmes moitiés, romantico-sentimentales avec résolution par mariage et retrait dans un presbytère moisi du fond du machinshire sont pour les femmes. Hop !
Oui les resolutions toujours heureuses chez Austen plaisent certainement aux femmes. En tout cas je les apprecie beaucoup. Oh cette piece de theatre qui met en ebullition toute la famille! C’est trop drole!
Oui j’avais precise (avec difficulte) qu’Austen n’ecrivait pas que pour les femmes ce et la portee univrselle de ses romans est un gage de bonne litterature. Mais il me semble neamoins que ses ouvrages sont peit etre davantage lus par des femmes?
Non, mais ne cherchez pas à répondre maintenant, on ne comprend rien à ce que vous dites avec votre clavier tout pourri 😀
J’enrage!
Ah là, j’ai tout compris 🙂
Non, mais je vous ai compris, et il est sûr qu’à l’époque, ses romans devaient d’abord être considérés comme de la littérature pour femmes. Bien qu’on puisse penser qu’une fois que JA ait pris conscience de son talent, elle n’ait pas cherché à s’adresser à qui que ce soit en particulier.
Et oui, ses romans sont très lus par les Anglaises, en tout cas. Reste à savoir si les Anglaises sont vraiment des femmes.
Je prends la défense des femmes : en matière de chansons, je n’écoute quasiment plus que des gonzesses auteurs-compositeurs-interprètes : Kate Bush, Tori Amos, Alela Diane, Anais, Carmen Maria Vega, Lisa Gerrard…
Voilà un domaine ou les femmes sont très créatives, voire innovantes.
Nicolas, c’est marrant, je ne me retrouve absolument pas dans votre texte…
Ca m’intéresserait d’avoir votre avis sur l’une ou l’autre de mes petites nouvelles, à l’occasion.
http://deboutdanslesfleurs.blogspot.fr/p/mes-nouvelles.html
Un joli poeme (masculin), mais qui convient à la photo de l’article:
L’Idole
Obscur et froncé comme un œillet violet
Il respire, humblement tapi parmi la mousse
Humide encor d’amour qui suit la fuite douce
Des Fesses blanches jusqu’au cœur de son ourlet.
Des filaments pareils à des larmes de lait
Ont pleuré, sous le vent cruel qui les repousse,
À travers de petits caillots de marne rousse
Pour s’aller perdre où la pente les appelait.
Mon Rêve s’aboucha souvent à sa ventouse ;
Mon âme, du coït matériel jalouse,
En fit son larmier fauve et son nid de sanglots.
C’est l’olive pâmée, et la flûte câline ;
C’est le tube où descend la céleste praline :
Chanaan féminin dans les moiteurs enclos !
Albert Mérat
P.V – A.R.