On se promenait dans Paris, Restif et moi, nous avons croisé une jeune fille de cinquante ans, on a d’abord gardé le silence, on s’est regardé, il a pointé son doigt sur mon nez, puis il m’a dit nous vivons l’époque la plus spirituelle de tous les temps.
Les hommes rajeunissent, c’est à couper le souffle, et s’il y avait encore des théologiens dans ce bas monde, ils ne parleraient que de ça, entre eux… On évoque sans arrêt l’allongement de la durée de la vie, mais c’est pour se faire croire qu’il s’agit d’une banale affaire de médecine, pour ne pas voir que c’est de théologie, dont il est question.
Les vieillards de 70 ans ne veulent pas faire les jeunes, comme l’écrivent paresseusement les intellectuels qui s’abreuvent au concept de jeunisme, ils sont jeunes pour de vrai, ils se tiennent droit, ils ne sont pas très marqués au visage, ils draguent les petites et se relèvent du divan sans appui… C’est l’un des faits majeurs de l’histoire de l’humanité, l’affaire de ces vieux qui gardent le feu, tout à coup, qui brisent le portrait de Dorian Gray… Ca doit être comparable à l’invention de la roue, enfin quelque chose comme ça, un évènement de ce calibre.
Certes, on mange plus sainement, depuis que la soupe en sachet a remplacé la marmite dégueulasse qui trônait sur le poêle pour le régal des mouches, depuis la mort de la paysannerie, l’arrivée de l’industrie agro-alimentaire… on se détruit moins à la tâche, aussi, on ne meurt plus à la guerre, on bombarde, la médecine a fait des bonds, mais ça n’explique pas tout…
Les ronds-de cuir de Courteline étaient planqués à l’arrière, ils pouvaient traverser la vie sans leur médecin, et pourtant à quarante ans ça n’était plus jamais des garçons mais des pères, des ancêtres dépouillés depuis longtemps des dernières pièces de leurs jeunesses… On les vouvoyait dans la rue, tout le temps, quand on leur demandait du feu, jamais on ne les prenait pour leurs fils sur un malentendu… ça devait être bien triste et les rendre mélancoliques, si vous voulez mon avis.
Nous vivons sans doute l’époque la plus spirituelle de l’Histoire, car elle est forcément de ce tonneau-là, cette monstrueuse révolution anthropologique… Des D.J. de quarante ans ressemblent un peu aux enfants qu’ils font danser, des cinquantenaires font des icônes du sex drugs and rock and roll très crédibles, des vieilles retombent en adolescence et Mon Dieu, il faut n’avoir pas deux sous de spiritualité pour ne pas être fasciné, ému comme on doit l’être devant la chose nouvelle, la chose qui rend toute chose nouvelle…
Les nains qui gémissent sur la perte du Sacré, qui ne repèrent aucune trace de spiritualité dans nos temps, ils me font penser aux arabes décrits par Champollion, pendant l’expédition d’Egypte, eux qui ne levaient même pas la tête pour voir les premières montgolfières s’envoler dans le ciel… Ils gémissent, ils n’en finissent pas de ratiociner sur le désenchantement du monde, mais ils ont les yeux fixés sur le sol comme les égyptiens de l’anecdote, ils cherchent le sacré en regardant leurs pieds.
Ils n’ont pas des ballons au-dessus de la tête, mais autour d’eux, des gens quêtent la jeunesse éternelle et ne reviennent pas les mains vides, l’expédition spirituelle les transforme, comme on le dirait d’une convertie dont la rencontre avec le Très Haut se voit sur le visage… Comme s’il s’agissait d’une croisade du XIIème siècle, la quête a eu ses martyrs, des pionniers morts par overdose à 28 ans dans les chiottes d’une boîte de nuit, mais c’est un fait, cette Odyssée transforme les hommes de l’intérieur, quand ils reviennent.
Regardez bien Elvis Presley, ce personnage historique, le premier adolescent de l’histoire de l’humanité… A dix-neuf ans, quand il met en boîte That’s All Right Mama, il est comme Christophe Colomb, il ne sait pas où il va, il veut juste faire un disque pour emporter les filles et faire danser les copains, il ne cherche pas plus à faire civilisation que l’autre, quand il s’embarque, mais cette sortie en mer a pourtant fait civilisation, elle aussi, c’est rien de le dire.
Elvis, c’est le premier homme d’une époque sans repères, il est parti frapper sans savoir qu’on ouvrira, il a cherché sans penser qu’il trouverait, il a fait ça pour rigoler, et pourtant cette affaire a roulé, grâce à Dieu… Le premier homme sans repères s’est instinctivement mis en chasse de la jeunesse éternelle, et s’il n’avait pas un peu trouvé ou pour le moins fourni des pistes, je ne serais pas en train de parler de lui…
Qu’est-ce que c’est au juste que cette Odyssée, cette quête de la jeunesse éternelle? Il s’agit de ne pas oublier son enfance, de s’en rappeler si fort que le souvenir reste gravé sur votre visage, qu’elle marque vos gestes et qu’elle vous façonne jusqu’à la fin…. Elle est infernale, cette Odyssée, Elvis est mort à 42 ans en lâchant un pet sur ses chiottes, échoué en mer, d’une certaine façon…
Pourtant, voyez-vous, ceux qui étaient dans la barque, ceux de sa génération ou celle d’après, ils font tous dix ans de moins que leurs pères sans que la pharmacologie n’y soit pour quelque chose….
Notre époque est tordue, elle donne souvent l’envie de se pendre, mais je ne laisserais personne dire qu’elle est vide de sens… Il faut dire merci d’être tombé dans ces moments-là, je vous jure que c’est vrai.
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http://www.youtube.com/watch?v=qUE4oDunYkc
Mouais… On prend le contre pied d’un pilier reac (le « jeunisme » ?), et on explique que c’est quelque chose que les reacs n’ont pas compris. Mais bien sûr ! cette époque est « sacrée », une vraie révolution… « la roue »……..spirituelle… Epoque métaphysique pendant qu’on y est. Les vieux cons de reacs n’ont rien pigé… Piètre sens de la spiritualité. Autant l’approche du matérialisme de Vae Victis était brillante (contre pied même modèle, mais du fond), autant votre exposé est mauvais. On dirait un étudiant moyen (Terminale S 1ere année de philo) qui cherche son « antithèse » foireuse. Vous êtes capable de beaucoup mieux. Me souviens d’une phrase de vous, fulgurante : « On est de l’époque de ses 20 ans », ça c’était du XP. Je ne perds pas espoir de vous voir revenir. Prenez le temps. Vous avez du génie, ne vous forcez pas au talent…..
Vous êtes au courant qu’XP est trop vivant pour que vos tentatives de le tuer réussissent ?
Mieux : « un étudiant qui cherche », vous ne pouviez pas lui faire meilleur compliment, j’en suis sûr.
Oui, sur ILYS ça cherche. Si vous voulez des gens qui trouvent à coup sûr, ça foisonne sur d’autres sites. Ici on ose chercher parce qu’on sait que normalement on est pas dérangé par des commentaires aussi foireux, tel un hélico qui arriverait sur un site de paléontologue dans le désert qui commençaient à sortir des os de dinosaures inconnus, en recouvrant tout leur boulot de 6 mois de sable à cause du souffle de l’hélico et qui dirait « Alors les mecs vous avez rien trouvé ? Allez vous pouvez faire mieux, à la prochaine ! » avant de repartir.
Vous allez chercher loin pour défendre le monde moderne, là, tout de même… 🙂
Oui, bon, c’est une image^^
d’autant que la « marmite dégueulasse qui trônait sur le poêle pour le régal des mouches » c’est quand même super drôle.
Ah mais je ne suis pas d’accord! Il suffit d’aller dans n’importe quelle ferme du Sud-Ouest où il reste une vieille fermière qui vit dans sa cuisine pour remarquer effectivement un truc douteux qui bout dans une casserole qui n’a jamais été lavée entre deux soupes, les ongles noirs de la dame et sa peau non pas tannée par le grand air mais recuite de crasse. Charmante mais voilà. Et bien sûr la guirlande à mouches au dessus de la table et parfois -même souvent- les mouches se détachent direct dans l’assiette.
C’est du vécu pour ma part.
J’oubliais aussi la toile cirée toujours gluante et dans les tons beiges sur la table ainsi que dans les placards de cuisine.
Sinon, je l’aime beaucoup ce texte, cette Odyssée humaine « à l’envers » (ou bien: d’où l’on peut revenir); personnellement -je ne parle que pour moi- j’étais très « vieille » d’esprit à 20 ans et je me sens plus jeune -d’esprit*- aujourd’hui, sans doute aucun.Je pourrais dire que j’ai pris une barque à 20 ans, sans trop de repères, et que je n’en suis toujours pas revenue d’être montée dedans! c’était pas gagné cette histoire, vu justement ma vieillesse d’esprit à l’époque…
*le physique je serai plus nuancée entre les hommes et les femmes qui, elles, vieillissent physiquement à mon sens de façon plus visible.
« J’oubliais aussi la toile cirée toujours gluante et dans les tons beiges sur la table ainsi que dans les placards de cuisine »
C’est ça, quand voit le canapé couleur de gnou himalayen et plus râpé qu’un chat vingtenaire qui trône dans votre salon, on aurait tendance à vous demander de pas trop la ramener, hein. Non mais sans blague. Franchement. De qui se moque-t-on, là. Ho. Pas taper.
Et encore vous n’avez pas vu la cuisine « d’époque » chez nous!^^ J’aimerais repeindre un peu mes placards maronasses mais je crois qu’avec la voiture qui lâche ça va faire une facture de trop…
Et le carrelage… Soupir.
Mais bon chez moi c’est pas gluant.
Non mais je ne porte pas de jugement moral contre votre canapé, hein. mais je crois quand même qu’on est à la limite du péché contre l’Esprit, avec ce canapé.
Oui mais je m’en fous, Gabrielle peut faire ses renvois dessus, ça se nettoie très bien le gnou importé d’Ikéa.
… et donc de garder une sérénité tout spirituelle.
Arrêtez de me déranger, je suis en train de marquer 16 paires de chaussettes pour la classe de mer de mes jumeaux.
Oui, eh bien, dites-vous que si vous aviez eu des triplés (pourquoi ne dit-on pas des tripleaux ? on ne dit pas des jumelés !), vous auriez 24 paires et donc 48 chaussettes à marquer (sans parler des miennes que vous devez repriser, je vous le rappelle), et si vous aviez eu des quadruplés, ou quadrupleaux, je n’arrive plus à compter tellement ça fait de chaussettes. Alors ne vous plaignez pas trop. De toute façon je n’ai jamais vu personne se baigner avec des chaussettes.
Entendons-nous bien. Je ne porte pas un jugement moral, je concevrais tout à fait qu’on disE « avant, on mangeait moins bien, on risquait des intoxications alimentaires, on n’avait pas d’argent, pas de loisirs, on buvait du vin dégueulasse, mais à tout prendre, pour d’autres raisons, c’était mieux quand même ».
Je trouverais même cette position intéressante, intellectuellement stimulante… Seulement, on ne dit pas ça, on ment, on invente un passé totalement mythique.
Pour le dire plus clairement, on commet un péché contre l’Esprit, et c’est ça qui me fait réagir.
D’autant plus que la rengaine est beaucoup fredonnée chez les catholiques.
Mauvaise habitude, je ne vérifie pas beaucoup les données scientifiques optimistes rapportées dans les livres américains de fitness ou de santé, mais il faut bien admettre que beaucoup de gens sont très paresseux ou ignorants. Ou se laissent avoir par un certain discours sur la performance et l’impossibilité d’entreprendre certaines choses passé l’âge de 8 ans, par des gens déraisonnables qui ont en tête le champion sportif ou le concertiste qui se produit sur six continents. Le corps n’a pas de raison de dépérir et peut apprendre sans cesse si on le stimule comme il faut. Noureev a dansé jusqu’à 70 ans, et la danse classique, c’est ce qu’il y a de plus difficile. Quant au cerveau il ne vieillit pas, sauf si on ne veut pas s’en servir. Les gens qui se plaignent d’être vieux à 50 sont souvent ceux qui se plaignaient déjà à 25.
Je me demandais pourquoi ces temps ci je me sentais écouenné du squelette et tout anorexique du neurone. Mais je comprends zen lisant zici : XP m’a malaxé vaudou, totemisé personnage, golemisé ilysien . Ce garçon a le clavier vampire, il vous saigne de votre pauvre semblance d’être (rançon du vrai talent, c’est le scribe incarnationiste). C’est également une jolie façon de clignoter de la mémoire à mon égard, tout en onde discrètes, comme XP quoi. Merci l’artiste .
J’aurai pu ajouter à notre passionnante conversation de ce jour là que ce monde n’avait jamais été aussi spirituel…et MATÉRIEL. Il est les deux. Et c’est bien pourquoi les logiciels profilés clichés, ersatz de pensées, ne peuvent plus marcher. Quoi de plus matériel que l’ordi et le smartphone? Quo de plus spirituel qu’une idée qui traverse la planète en une demie seconde? En vérité, l’époque échappe aux grands codes- barres du concept, se défile hors des mots qui voudraient taxidermiser l’existence. D’où un flottement dans le sens constitutif de notre verbe et du temps qu’il produit (depuis la Genèse c’est le Verbe qui créé le réel, on le sait bien. Mais que se passe-t-il quand le Verbe se met à onduler du masque, à être protéiforme de la définition selon que c’est Dugenoux ou Dumollet qui l’emploi dans telle ou telle situation?) L’époque n’a pas fini de se définir que certains voudraient déjà la redéfinir. Bon, sinon, c’est vrai que l’apparence –donc l’âge mentalement ressent, créé par le regard des autres- est bouleversée. Des quadras se font appeler « jeunes hommes » (sans ironie) par leur marchands de journaux. On se réinvente un âge. On devient alchimiste de soi-même. Le risque? Le ridicule. Et on sait que ça fait longtemps qu’il ne tue plus. En bonus -une liberté de se charcuter le reflet qui peut virer effrénée. L’identité risque de devenir aussi flottante que le sens des mots…
A vous relire et récrire.