La sphère publique en France connaît très peu de dissonance, tout est lisse, régi par la pensée unique érigée en dogme. Toute contestation est rapidement purgée dans des « débats contradictoires » où l’on s’acharne à quatre ou cinq contre l’opposant unique. La variante étant de mimer la différence sur des points mineurs en convergeant sur le principal. La conséquence directe de ce unanimisme médiatique est que notre sphère publique est aussi inspirée que l’URSS sous Brejnev. Cinéma, littérature, télévision, art, philosophie, politique, humour, tout apparaît mort, triste, vieillot.
Je pourrais vous dire que les artistes les plus diffusés en France ces 15 dernières années doivent être Claude François et Dalida. Je pourrais aussi vous dire que je me suis retrouvé à une fête d’anniversaire avec des vingtenaires participer à un karaoké improvisé sur les gloires des années 70 et 80. Et ils connaissaient les paroles les cons ! Si je vous disais qu’en 2012, en France, l’humoriste le plus mis en avant est Anne Roumanoff. Une bonne femme de 50 ans à la tête bizarre, qui s’habille en rouge, qui n’a jamais fait rire personne, et dont le regain de succès est dû à la réalisation d’un sketch poussif sur Sarkozy à la fin de son mandat.
Toute la production intellectuelle comme culturelle est touchée. L’humour comme les autres. Je ne me souviens plus quand est-ce qu’un humoriste mainstream m’a fait rire pour la dernière fois. Alors je m’amuse du système. Tout les matins je lis la presse, et je manque de m’étouffer de rire en buvant mon thé. Quand je veux voir un bon spectacle je regarde un JT. J’imagine que les Russes aussi riaient le matin en lisant la Pradva. Dans tous les régimes dictatoriaux et totalitaires c’est la première réaction d’autodéfense, se marrer des mensonges et des arguties du système. J’aime particulièrement les histoires de criminels condamnés pour la 37ème fois qu’on libère, et lire les raisonnements juridiques et journalistiques pour nous convaincre du bien fondé des décisions. J’aime aussi beaucoup les reportages prétendument impartiaux, qui adoptent un ton raisonnable et dépassionné, pour répandre innocemment des idées complètement folles.
Les faits divers sont souvent drôles ainsi qu’intéressants pour comprendre l’époque. Prenons l’histoire de Nono le cocu. Nono est en instance de séparation avec sa femme qui a eu des enfants d’un autre lit. Nono est convié à quitter la maison (sa maison ?), mais se décide tout de même à rentrer chez lui sur les coups de 5 heures du matin. Sa femme avait organisé le soir même une petite soirée avec ses «camarades de travail». Et « Sébastien », 17 condamnations sur son casier, était resté poursuivre la soirée – on imagine – en tout bien tout honneur. Le mari ivre à peine rentré se fait sévèrement rosser par le nouvel homme de la maison. On nous dit que « la victime présente des blessures au niveau du visage. Elle doit subir une opération chirurgicale de l’œil dans les prochaines semaines. » L’avocat de la défense retient avec humour la légitime défense et les coups involontaires. Il a simplement « défendu sa personne et celles de madame et des enfants. » Celui-ci sera condamné à « huit mois d’emprisonnement sans mandat de dépôt afin de préserver sa situation professionnelle ».
Pour résumer, la femme se tape chez lui un autre homme avec un casier long comme un jour sans pain. Celui-ci décide – soit de son propre chef soit avec le consentement appuyé de la femme – de tabasser le mari. Finalement l’homme en question ressort libre pour ne pas déranger son emploi du temps. C’est triste mais je trouve cela très drôle. Et instructif.
La justice telle que la conçoive les Occidentaux aujourd’hui est un non sens. Les Occidentaux voudraient que des étrangers à leur cause, des fonctionnaires revêtus de toute la sagesse de leur charge et d’un sens de la justice universel, se préoccupent de leurs problèmes et punissent leurs ennemis personnels. On leur répète depuis l’école primaire que l’Etat défend l’intérêt général et protège les faibles… et ils le croient généralement. Les Occidentaux imaginent des policiers et des juges bienveillants qui n’auraient de cesse de faire le bien par idéal. « M. le policier, le vilain m’a fait du mal, aller donc l’arrêtez. M. le juge, punissez ce vilain qui m’a fait souffrir. » C’est ce qui arrive quand on rentre dans le jeu de l’Etat et qu’on raisonne par fictions juridiques, on finit vraiment par croire que des inconnus nous veulent du bien et n’auraient de cesse de venger notre honneur bafoué et nos préjudices.
Historiquement la justice publique a vu le jour pour pacifier les rapports entre clans, familles, et groupes d’individus constitués. Dans des cultures qui promouvaient la vengeance et la vendetta, des jugements se voulant impartiaux et donc justes, permettaient la recherche d’un accommodement raisonnable entre les parties. Au lieu de se venger sur la famille d’un voleur jusqu’à la 17ème génération, et réciproquement, on a considéré que punir le voleur et faire accepter le jugement à tout à chacun était moins destructeur socialement. Ce processus de reconnaissance a été long, il est quasi achevé dans certaines parties du monde, et n’est que débuté dans d’autres.
Sauf qu’en reconnaissant totalement la justice comme institution, on annule par là-même les rapports de force qui l’ont justifié. Dans une culture où la vengeance est quasi inconnue, la raison première à l’existence de la justice disparait. Elle n’a plus besoin de pacifier les rapports entre clans et familles, puisque les gens ne se vengent plus. Aujourd’hui on sait qu’à 99,9% les Occidentaux ne vengeront pas leur maison cambriolée, leur frère assassiné ou leur fille violée. Les gens pleurnichent, comptent sur leurs assurances, lâchent des ballons blancs, répètent plus « jamais ça », cherchent à comprendre, sont choqués que l’accusé n’expliquent pas assez ses motivations, « font leur deuil », mais ils ne se vengent pas.
Si vous enlevez la vengeance la justice n’a plus à pacifier la société. Elle peut donc aussi bien entériner l’état de fait. C’est ce que fait ici la justice. Les hommes de l’Etat, comme de bons maîtres, visent le trouble public minimum. Vu que le cocu ne veut pas se venger, la justice juge qu’il n’a pas lieu de lui donner gain de cause, et qu’il constituerait même un trouble public supérieur de priver son agresseur de son travail et de sa liberté. Elle donne donc au cocu un jugement qui reconnaît sa victimité, attribue une peine symbolique à l’agresseur, et le laisse sortir libre du tribunal pour qu’il continue de payer ses impôts.
Pour les mêmes raisons la justice est clémente envers certains groupes qui agissent par l’émeute dès qu’ils ont une bisbille, tandis que leurs opposants ne font que chouiner.
C’est une réaction logique que j’ai moi-même expérimenté. Une fois je me suis retrouvé coincé derrière une voiture, sur une voie assez large pour laisser passer un véhicule. En face d’elle une autre voiture. Au bout de quelques instants, je sors m’enquérir du problème. Une femme visiblement excédée voulait sortir, une racaille voulait entrer, aucun des deux ne voulaient bouger d’un pouce. Je discute avec la femme. Je discute avec la racaille, je joue l’empathie, il roule gentiment des mécaniques. Je m’imagine déjà le massacrer, mais la raison prédomine et je choisis la facilité. Je fais donc aimablement pression sur la femme, sur sa logique, son « intelligence », son envie de partir, pour qu’elle se range. Tout se règle gentiment en cinq minutes.
La justice et l’Etat agit de la même façon. La raison du plus fort est toujours la meilleure.
Et comment expliqué que la France ne cesse de se diriger vers plus de laxisme pendant que nombre d’états américains ne cessent d’avoir une justice de plus en plus sévère?
La réponse est dans votre texte, les français en sont arrivés à tout attendre de l’état, et subissent donc les conséquences que cela entraine, égoïsme forcené, perte total de tout sens ethnique, et comme souligné, la perte de l’envie de se venger…la mort totale quoi, le nihilisme à l’état pur.
Quand on y pense, les fafs qui pensent que tous les malheurs de la France et de l’Europe ont pour origine la domination américaine sont vraiment très cons.
La situation seraient tellement pire avec des auteurs de tournante qui finiraient leurs vies en prison, avec des dizaines d’arabes qui iraient griller sur la chaise tous les ans, avec des fds armés, solidaires et conscients racialement…
Analyse vraiment excellente mais ça manque un peu de conclusion : il faudrait en revenir au passé où c’était une justice individuelle qui prévalait?? Revenir au passé ne marche jamais, il faudrait alors « dégraisser » le mammouth justice? Comment?
Il n’y a rien à dégraisser. Si deux fois plus de flics sont embauchés, il y aura juste deux fois et demi plus de contrôles routiers. Si deux fois plus de juges sont engagés, il y aura deux fois et demi plus de plaintes de la Hadopi et du MRAP qui seront traitées.
Les boloss ne comptent pas et ne compteront jamais. La politique n’est jamais qu’une grande cour de recréation, les politiciens sont des petits durs qui rackettent les faibles, tandis qu’ils laissent plus ou moins tranquilles ceux qui se font respecter. C’est ainsi, et je ne vois pas de solution collective.
La raison de tout ça se trouve également dans l’idéologie profondément rousseauiste qui gangrène le personnel de justice.
On se souvient que pour Rousseau, c’est la société qui rend mauvais l’individu lambda, lequel naît bon par nature. Le voleur et l’assassin ne sont donc que des victimes de la société.
En gros, l’affaire est jugé comme un différend commercial. Et si celui qui se défend est celui qui fait le plus mal, c’est lui qui écope le plus;