J’irais vers la lumière

Vous savez ce que c’est, l’hypnose?

J’ai cinq ans, nous sommes le 29 mars 19//, le vent balaye… Dans la cour il y a un arbre, on dirait un lance-pierre, on peut s’asseoir sur le tronc, poser ses bras sur les deux grosses branches pour être aussi grand que la Maîtresse, Mademoiselle Franck.

Elle, je la hais de tout mon cœur…  Figurez-vous qu’hier, j’ai voulu montrer à Joris que derrière le mur en pierres, il y a la 2CV toute  blanche de Mademoiselle Franck, garée dans la rue, je trouvais ça magique…  je voulais lui prouver qu’on voit comme si on  était dehors, en se mettant sur la pointe des pieds, mais  on a piétiné les fleurs, alors elle a giflé… Elle est arrivée par derrière, avant de  gifler, pour être exact… Joris non, mais moi j’ai saigné du nez, elle était emmerdée, je  sentais bien, alors elle m’a lavé la figure puis elle m’a parlé avec délicatesse pendant trois heures… La garce.

L’hypnose, vous savez, ça n’est pas  les souvenirs, et d’ailleurs ça n’existe pas vraiment, les souvenirs… Vous croyez que le passé vous revient, que vous l’avez appelé, mais c’est une reconstitution, un film historique que vous avez monté à partir d’informations que vous avez gardées, comme si vous regardiez les aventures de Jeanne d’Arc et qu’on les avait tournées à Hollywood… C’est pour ça que d’anciens petits enfants violés  jadis par un gros monsieur dégueulasse peuvent soutenir mordicus que leur enfance fût heureuse et qu’ils iront témoigner à la barre, en faveur du papounet.

Assise sur l’arbre, maintenant, il y a ma cousine Béatrice. Je me souviens bien d’elle, elle est morte trois ans plus tard, brûlée sous une toile de tente…. A l’enterrement, j’y étais, j’ai compris qu’il fallait être triste, mais en fait je n’ai pas compris que c’était elle, je m’en souvenais d’ailleurs assez vaguement, je croyais pour tout vous dire que c’était une très lointaine cousine connue de tout le monde sauf de moi, ou bien la petite qui jouait à la télévision, dans un feuilleton que nous regardions le soir…

Tout à coup Béatrice me regarde de manière étrange, ses yeux sont noirs, j’ai peur, elle est maintenant à califourchon, elle a un bâton dans les mains, elle le pointe vers moi, et Mademoiselle Franck vient lui dire d’arrêter ça… Elle se calme, elle fait semblant de regarder ses ongles de petite fille, puis elle  recommence et cette fois, elle me frappe, avec le bâton… Elle me parle, mais je ne comprends rien, elle me dit qu’elle va prendre les allumettes dans le tiroir et que tout va s’en aller, qu’il ne restera rien d’elle, rien de moi, rien de la cour, de l’arbre et rien de la maîtresse, Mademoiselle Franck, mais que  je ne dois rien dire à personne.

C’est cher une séance d’hypnose, vous savez.,,  C’est mon fils qui paye, moi je peux pas, je sors de quatorze ans de vadrouille, de foyers d’accueil en maisons de santé, de Cannes à Paris, de Paris à Londres et de Londres à Castellane, le village où je me suis posé sur la fin pour tenter de me refaire, en travaillant la pierre… C’est là qu’on m’a trouvé terrassé, le mois dernier.

Je veux qu’on arrête tout ça, je ne peux plus voir cette gamine en peinture, je demande à revenir, et je me retrouve quelques instants dans la chambre de l’hôpital, en compagnie de mon petit Pierre et de sa femme,  Arlette… C’est rare, pour les gens de cette génération, de s’appeler comme ça, je comprends pas bien la raison.

Mais je repars, aussitôt, je vois des nuages, je n’ai jamais eu de père, de mère et de sœurs, même pas des amis… Je marche, je parcours l’allée d’une petite maison, nous sommes sur la montagne, il fait nuit… Derrière moi la vallée flambe, c’est joli, j’entre le cœur tranquille chez moi, puis je referme la porte.

1 réflexion sur « J’irais vers la lumière »

  1. kobus van cleef

    castellane….
    castellane dans les basses alpes?
    sur le verdon?

    je connais bien , pensez !

    toutes mes vacances de gamin puis de jeune adolescent ( on disait pas encore « jeune » , tout court à l’époque )…..

    et pas loin de là , une espèce de mandarom à la mord moi le zob, un turc que les administrés du coin ont voulu détruire lorsque le gourou est mort , puis après non , en fin de compte, ça faisait moche dans le paysage mais ça amenait des touristes….

    tout en haut, au flanc de la montagne, il y avait une étoile , suspendue à des chaînes ( comme à buda, voyez…), ça brillait la nuit ( conjonction de la fée électricité et du denier du culte , probablement….) …

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