Le gang des bateliers

En 1679, Papin fabrique, en Angleterre, un ustensile de cuisine muni d’une soupape de sûreté, le « digesteur », qui permet de cuire les aliments en un temps très court. Cette « marmite de Papin » est le lointain ancêtre des actuelles « cocottes-minute ».

En 1707, à Cassel, en Allemagne, il tente de mettre au point un bateau à vapeur avec lequel il espère aller à Londres. Il demande l’autorisation de gagner la mer du Nord. Cette autorisation tardant, Papin décide de passer outre et s’embarque avec sa famille. Mais à quelques kilomètres de Cassel, il est arrêté par les hommes de l’Association des Bateliers, qui ont le privilège de la navigation.

Furieux, Papin se plaint aux autorités. Les bateliers tirent alors le bateau sur le rivage et, dans la nuit du 26 au 27 juillet, le mettent en pièces. L’invention de Denis Papin, mort à Londres dans la pauvreté et l’indifférence générale, sera oubliée pendant près d’un siècle

On ne parle jamais du Gang des bateliers.

J’ai cherché, pas une seule Histoire du gang des bateliers du XVIème siècle à nos jours n’est disponible aux PUF, pas un historien ne s’est spécialisé dans l’histoire du Gang des Bateliers, tandis que la moindre dynastie  aperçue dans  l’histoire d’une contrée de l’Europe de l’Est a son spécialiste au CNRS.

Pourtant, à bien regarder, le Gang des bateliers détient des pans entiers du pouvoir politique  en Occident depuis la Renaissance et l’essor des sciences et des techniques… Aucun pouvoir politique n’a jamais empêché la marche du temps,  mais beaucoup ont marqué l’Histoire au fer rouge en essayant de l’enrayer, à l’instar d’un Pol Pot gangréné par ses envies de retour à la terre…  C’est peut-être la définition du pouvoir politique, ça, d’ailleurs: il ne fait jamais l’histoire, mais il peut la marquer au fer.

Le gang des bateliers n’a pas empêché le progrès technique, mais à son profit, il l’a freiné d’une façon spectaculaire, et ça continue…  Comme toutes les dynasties régnantes, celle-ci est assise sur des mythes fondateurs mensongers, et le gang des bateliers a fait entrer dans les têtes que tout va trop vite, que tout va toujours trop vite…. Il serait pourtant fructueux de faire de l’uchronie, d’évaluer le temps que les agresseurs de Denis Papin ont fait perdre à l’humanité, comment les sciences auraient évolué dans les trois siècles suivants, si ces gens-là n’avaient pas détenu le pouvoir politique, en leur temps…  On ne sait pas, peut-être trouverait-on des computeurs au XIXème siècle,  des autoroutes en 1900, et plus aucune tricoteuse dans les campagnes aperçue par les automobilistes qui les auraient parcourus en trombe.

La tragique histoire de Denis Papin agressé par des parasites, en pleine  mer, à coup de barres de fer,  elle  pose une question philosophique majeure: qu’est-ce que c’est qu’un parasite, comment s’y prennent les parasites pour parasiter, que veut le parasite?

Le parasite ne cherche jamais à en faire le moins possible, mais le plus possible…  Il veut qu’autour de lui le monde s’épuise dans  des tâches ingrates, ubuesques et inutiles afin qu’on le laisse, lui, s’épuiser dans des tâches ingrates, inutiles et ubuesques… Le parasite est comme l’interné d’un hôpital psychiatrique qui veut qu’on le laisse balayer les feuilles avant que le vent les éparpille à nouveau, pour qu’il puisse le lendemain balayer encore et que cette comédie justifie qu’on le nourrisse tous les jours…

Il balaye, me direz-vous, mais pendant qu’il balaye, il ne pense à rien, il est en vacances dans sa tête…  Après que les bateliers aient mis fin au scandale Denis Papin, celui-ci est sans doute allé crever dans un coin de Londres, nourri par un ordre religieux, et des nuisibles aux mains calleuses n’ont certainement pas manqué de le traiter de bouche inutile.

En 2012, les bateliers rôdent encore dans tous les coins,  ils ont toujours des barres de fer et le pouvoir politique…  nous sommes déjà plusieurs décennies après l’invention du correcteur d’orthographe, et des instituteurs par milliers balayent  les feuilles mortes en engloutissant des milliards, pour que les enfants souffrent et retiennent des règles farfelues, qu’ils ont en mémoire dans leurs ordinateurs.

Il se rend toujours utile, le parasite, il s’agite et n’oublie jamais de gronder le contemplatif, ne vous y trompez pas.

13 réflexions sur « Le gang des bateliers »

  1. Paul Hodell-Hallite

    En revanche , les historiens/idéologues spécialisés dans l’histoire du Luddisme ne manquent pas … Mais pas un seul n’a cherché à le condamner .

    A 7 mn 47 :

     » http://www.youtube.com/watch?v=pQDVLu4KrrY&feature=player_embedded  »

    Tout y est . Ces gens n’ont jamais recherché l’efficacité . Le mépris du luxe , de la consommation de masse , de l’inutile mène toujours au culte de l’essentiel , de l’habitude . La Chine était bien plus avancée que l’Europe il y a déjà quelques millénaires , elle a toujours recherchée l’équilibre , la stabilité , et n’a donc presque plus bougée seule , le progrès étant source de désordre . Les Amishs n’ont jamais acceptés des techniques de rotations des sols (bio et sans machines) leurs permettant de produire plus en moins de temps , les fermiers constatant unanimement qu’ils avaient trop de temps libre .
    Tout homme qui dégage du superflu , du bénéfice , fera bouger ses clôtures et celles de ses voisins . Celui qui ne produit que pour manger et se vêtir vivra comme ses ancêtres , ses enfants vivront comme lui . Quand le progrès permet même à l’homme commun de s’enrichir et de bouger , il doivent l’annuler . Quand deux hommes font le travail de trois auparavant , l’homme disponible pourra faire autre chose . C’est par la spécialisation que se sont bâties les premières sociétés , quand des hommes n’ont plus eu besoin de cultiver les champs . Toute l’histoire de la civilisation peut se résumer en une fuite progressive du labourage et du pâturage . Quel pourcentage de la population produit de la nourriture ? Quel pourcentage produit des biens réellement vitaux ? 5 % ? 10 % ? 15 % ? L’ambition des décroissants est de ramener cette proportion à 99 % .

  2. vlad tepes

    Donc en résumé: « Les hommes préfèrent vouloir le rien plutôt que de ne rien vouloir »…bon, faut que je m’arrête moi^^

    Cela dit vraiment excellent votre écrit, il donne une belle claque à pleins de lieux communs, particulièrement sur cette idéalisation de l’homme-manuel très moderne, et sur l’idée qu’un parasite est quelqu’un qui ne travaille pas.
    Or un parasite, ce n’est pas seulement quelqu’un qui vit sur le dos des autres mais aussi quelqu’un qui les rongent petit à petit.
    Un allocataire du chômage ou du RSA qui ne veut pas travailler est un profiteur, un instituteur syndicaliste travailleur est un parasite.

  3. kobus van cleef

    j’ai cru lire, au lieu de « gang des batelliers » , « le gang des bacheliers »

    les ceusses qui ont eu le bac

    le bac moderne , celui que doivent obtenir 100% des gamins….

    muray et laccan en auraient fait un jeu de mots , bien plus porteur de vérité…au moins de vérité mnémotechnique…

    sinon, c’est la révolution vronzaise et la loi le chapellier , qui en interdisant les corporations, a tenté de remédier à cette emprise du conservatisme sur la vie économique et sociale de l’ancien régime

    ça a pas duré longtemps, comme on l’a vu ensuite….

    1. XP Auteur de l’article

      Ah oui, tiens, je n’avais pas vu ça comme ça. Vieux réflexe d’ancien jeune militant Royco, comme ça j’aurais dit que la loi Le Chapelier était une saloperie… C’est leur argument massue, ça, aux royco…. Révolution=loi Le Chapelier=suppression des syndicats, répression et misère ouvrière, toussa…

      On m’aurait menti?

      1. kobus van cleef

        ben oui, on vous a menti…

        l’histoire, l’enseignement de l’histoire, c’est l’art de mentir…

        la religion, c’est l’art de mentir à la puissance mille , contre toutes les évidences ( la résurrection ! cette vaste blague ….bref , pardonnez moi ce moment d’hilarité )

        la politique , c’est l’art de manipuler , donc de mentir , mais , nuance, pour le bien des autres , pour l’amour de l’humanité ( traduction pour son bien propre , pour l’amour de soi , et rien d’autre) , pour de bonnes raisons en somme , des raisons dont on se sait gré avec extrémement de bienveillance , des raisons dont on se dit qu’elles valent tout les sacrifices , car elles peuvent « nous mettre en danger » ( et quel danger ducon ? celui de pas être réélu ? ha oui , celui de pas être réélu , d’accord ), des raisons qui sont un devoir sacré….

      2. kobus van cleef

        par royco, vous entendez royaliste?
        étrange…
        ou pas , d’ailleurs….
        moive qui ne croie en rien, et surtout pas dans la religion des drouadlomm’ ni dans celle des culs terreux du désert ( parmi lesquels j’inclue les chouifs, les chrétiens et les misilmons) ni dans la main invisible du marché ni dans tout ce qui fait que la vie en société cesse d’être une agression permanente pour devenir un concert d’aquiescements, un concours de répons comme à la messe ,ou à la mosquée , ça me fait tout drôle de rencontrer des gens qui croivent à des trucs…
        à moins qu’il ne s’agisse que d’une réaction contre un républicanisme exacerbé infligé par un proche…ou un lointain….

  4. vlad tepes

    L’honnête homme ne reprochera pas aux salariés de se syndiquer et aux corporations de se faire, mais simplement de tout faire pour que le rapport de force inverse qui justifie ces créations ne soit plus.

    Sinon, bien évidemment qu’il y avait du bon dans la Révolution. Comme beaucoup de chose, elle avait juste plusieurs visages. Un « bon » visage, celui d’une nouvelle classe créatrice qui voulait de façon toute légitime changer un peu les règles de la hiérarchie et se débarasser un peu du carcan écclesiastique, et un « mauvais » visage, qui n’était qu’un visage laïc de ce que l’église n’avait pas pu faire, à savoir mettre à bas toute hiérarchie.
    C’est le second visage qui a finit par s’imposer en France bon gré mal gré, mais c’est à peu près le phénomène inverse qui se produit aux USA.

  5. Tournevis

    XP, vous avez été le meilleur, et maintenant (beaucoup derrière moi le pense mais ne prenne pas la peine l’écrire, j’ai fait un profil pour ça, c’est de la peine!) vous êtes décevant. Vous êtes amoureux ?? Mais quoi, traversez !

  6. XP Auteur de l’article

    La frousse bleue du gang des instituteurs devant internet illustrée par les délires d’un certain Alain Bentolila
    http://www.franceculture.fr/emission-du-grain-a-moudre-d-ete-l-ecole-doit-elle-etre-de-son-temps-2013-08-28

    Avec un aveu hallucinant vers 33’00; « l’enseignement restera Magistral, les enseignants ne sont pas près à lacher, les Maitres resteront les Maitres »

    Très jouissif à la toute fin, quand le Monsieur perd ses nerfs parce qu’un collégien a dit à son prof « t’es qui, toi, pour me donner un cours? »

    1. kobus van cleef

      Vronze cul et »les pieds sur terre » ,c’est quand même l’archétype du débat d’idées déjà plié
      Le non débat, en somme
      Un genre d’émission »à la gloire de…. »,ou bien, »le procès de…. »
      Lorsque j’habitais loin du centre et que je ne retournais bosser que vers 13h45 ,je pouvais en attraper quelques bribes à la radio, en bagnole
      Je me repassais ça sur internet le soir…
      Double peine….
      Ça fait vilaine lurette que j’ai cessé de m’infliger ces gredins de façon systématique…

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