Plan Cul Régulier

J’ai revu Ginette.

On avait des trucs à se rendre.

Moi des sous-vêtements à elle. Mais j’ai quand même conservé une de ses petites culottes en coton, type « petit bateau ». Ma préférée. J’ai prétendu ne pas l’avoir retrouvée. C’est que je l’utilise fréquemment depuis notre rupture et ça se voit.

Elle, elle avait récupéré une collection de gel intime et divers accessoires érotiques que j’avais entreposé dans son appartement dans l’espoir que ça lui donne des idées.

J’ai remarqué qu’elle ne m’a pas rendu un certain objet translucide bleu en forme de dauphin…

Élégamment, je n’a rien dit à ce sujet et me suis contenté d’un clin d’oeil complice.

Après tout, c’était un cadeau.

On s’est posé sur une terrasse pour échanger. Oh, on aurait pu faire ça en passant, dans un couloir de métro, en deux secondes c’était fait. Mais non. Me demandez pas pourquoi. Il y a un truc qui nous a poussé à prendre un peu de temps pour ça. Je crois que j’ai voulu mettre du sens. Ginette, c’est ma seule histoire, alors, au final, ça me semble normal d’investir de l’affect là-dedans et même si je ne ressens fondamentalement rien pour elle. Je veux dire, c’est comme se mettre sciemment avec une fille moche et se marier avec elle. Vous faites pas ça pour le plaisir. Parce qu’elle bouleverse quelque chose en vous. Non, vous faites ça parce qu’il le faut bien. Parce qu’il faut en passer par là. Parce que vous n’avez pas pu avoir mieux. Et donc vous mimez l’amour et toutes les choses qu’il fait faire. Parce que c’est comme ça que les autres font. Et même si les beaux, majoritaires sur les terrasses, vous regardent en se marrant un peu, plus ou moins conscients de la comédie pathétique que vous jouez, eh bien vous le faites. Un moche ne peut pas tromper un beau. Le beau il sait que c’est déjà compliqué de sortir avec un beau et de ressentir des choses pour elle ou lui. Alors quand le moche se la joue prince devant une fille moche qui se prétend princesse, il n’est pas dupe.

Pourtant je n’allais certainement pas la supplier de revenir. Après qu’elle ait couché avec cet inconnu dans la boîte échangiste où je l’avais emmené, je m’attendais plutôt ce qu’elle me fasse des excuses et me demande pardon. D’autant qu’elle n’a pas répondu une seule fois à mes incessants coups de téléphones et messages sur son répondeur que je lui ai laissé pendant deux ou trois semaines après ce fâcheux épisode.

Je n’allais d’autant pas la supplier que je savais, après avoir espionné à son insu et tous les jours son compte facebook depuis notre séparation, qu’elle n’avait qu’un plan-cul-régulier en ce moment dans sa vie.

Et non, un plan-cul-régulier (dit PQR, c’est là qu’on se rend compte de l’influence de l’écriture SMS chez les jeunes), ce n’est pas toujours être en position de force.

Certes, dire qu’on a un plan-cul-régulier, c’est un peu faire partie de la haute. Enfin, de ceux qui ont autre chose à faire le soir qu’à baiser et faire des gosses. Mais plutôt parler de politique économique autour de la bouteille de rouge la plus chère du supermarché avant de rentrer chez soi et s’endormir chacun de son côté après avoir lu un roman qu’on ne trouve pas en gare. Le PQR c’est donc pour le genre de gens qui baisent de cinq-à-sept quoi. En loisirs. Tandis que de cinq-à-sept, nous autres sommes encore dans les transports en commun pour rentrer dans notre lointaine banlieue afin, pour ceux qui sont couples, de faire la bouffe aux plus petits et retrouver l’aîné dans les cages d’escalier de la cité d’à-côté avant qu’il ne fasse des conneries.

Le plan-cul-régulier c’est pas fait pour Ginette.

C’est trop romantique pour nous ça.

Ce qu’on recherche, Ginette et moi, c’est à satisfaire nos pulsions du bas-ventre et être en couple.

Parce que quand on est moche, le PQR, cela signifie quand on est une fille qu’on se fait troncher par un mec qui a honte de se mettre en couple avec vous. Et pour un mec, faut pas se tromper, c’est synonyme de se troncher une pute gratuite donc sale à un niveau ahurissant.

Tandis que pour les gens de la haute, revendiquer un PQR cela entraîne un débat d’esthète sur la question du supplément d’âme à mettre dans une relation de nos jours. Mais c’est un signe pour la fille qu’elle est libérée et pour le garçon qu’il n’est pas misogyne.

Voilà pourquoi, nous, les moches, on préfère être simplement un couple avec la baise hebdomadaire du samedi soir et les courses au supermarché le lendemain matin.

Le statut social du couple est le seul enviable quand on est moche.

Il présuppose que, malgré notre laideur, on aurait peut-être des qualités puisqu’on a quand même réussi à se dégoter quelqu’un.

Bref.

Avec Ginette on a décidé de se revoir.

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