Le suicide médiatique est-il une drogue ?

Tout commence décidément avec Drieu La Rochelle.

Se suicider ? Pas besoin la vie et la mort sont une même chose. Mon point de vue est l’éternel où je suis maintenant, où j’ai toujours été, où je serai toujours.

Frédéric Taddeï a dit un jour que la grand aventure de notre temps était la célébrité. Richard Millet, à cette aune, est un moderne.

N’allez cependant pas croire que le suicide médiatique soit un sport de velléitaire.

Je crois que le suicide médiatique est le seul suicide dont son auteur peut se passer d’y participer la première fois.

Eh, sans popolémique, sans papiers rageurs dénonçant le dérapage et quelques interviews indignées de vigilants antiracistes, il est tout bonnement impossible de réussir son suicide médiatique ! Le suicide médiatique implique qu’on vous aide. Que la grande machine se mette en branle pour vous.

Une nuit vous effectuez une remarque à la télévision sur le fort bigarré visage du Châtelet. Une de ces nuits où vous vous sentez sans doute vraiment fatigué et où la connerie ambiante vous tape tellement fort sur les nerfs que vous ne pouvez pas la fermer. Alors vous l’ouvrez. Et là, vous le ressentez, presque palpable, ça réagit dans tous les sens. Le niveau de connerie augmente de manière vertigineuse dans les quinze secondes suivantes.

C’est à peine si le présentateur ne se rue pas dans les coulisses en pleine émission pour écrire un sms à diffuser urgemment.

C’est tellement beau à voir depuis son écran que ça donne envie de pleurer.

Alors je n’imagine même pas ce que ça doit être de le vivre directement et d’en être la cause. Une vraie libération ? Le pied total ? J’imagine ça plus puissant qu’un shoot d’héroïne. Aussi puissant que l’adrénaline qui inonde le soldat lors des combats ? Je ne sais pas. Je n’en sais rien. J’espère pouvoir vivre ça un jour.

Au début ça se voyait que Richard ne comprenait pas totalement ce qui lui arrivait. C’est toujours comme ça la première fois. Vous avez l’air un peu perdu. Vous croyez que Delarue a su gérer ce qu’il se foutait dans le pif dès la première prise ? Ben non.

Frédéric Taddeï disait donc un jour que la grand aventure de notre temps était la célébrité. Mais le grand kif, si j’ose employer ce terme, c’est de la bousiller. Elle ou son éventualité.

Une fois que tu y a goûté, je crois que tu as envie de recommencer. Tout à fait sciemment cette fois. Ce qui est malheureusement compliqué. Plus personne ne veut vous inviter depuis votre première. Ils doivent avoir compris que celui qui a commencé finira toujours par y retomber, que l’attrait est trop fort.

Il faut voir jusqu’où Dieudonné est allé pour revivre ça. Tournée en bus dans toute la France, parrainage par Le Pen père, invitation de Faurisson sur scène… Alors que Dieudonné se produit désormais à la Main d’Or, Richard finira-t-il par lancer sa propre maison d’édition estampillée réactionnaire ?

Faut faire gaffe Richard.

Je ne suis pas sûr que Dieudonné trouve grand plaisir à se produire devant un public de supporters dans son théâtre. Ce doit être un peu comme passer de la vodka au panaché, niveau sensations… Dieudonné, avec le temps, il ressemble à un vieux camé un peu pathétique qui veut pas quitter les feux de la rampe. Qui s’accroche d’abord en augmentant les doses. Qui espère ensuite, qui vivote et qui essaie de monter des gros coups pour revenir à l’état de nirvana initial.

Le suicide médiatique c’est comme les gros succès.

Seuls les plus grands en matière de gestion de carrière en connaîtrons plusieurs tout au long de leur vie.

Je n’aurais pas forcément parié sur ton éloge littéraire d’Anders Breivik Richard. Malgré le soin que tu as pris de le publier au même moment que le jugement. Il sent trop le mec en manque. Et ces enculés de journalistes ou de critiques littéraires, ils reniflent ça. Alors ils auraient très bien pu t’en priver et passer le truc sous silence. Ça aurait fait deux heures d’émission à Radio Courtoisie et puis c’est tout.

Mais tu as eu raison.

Le besoin d’indignation est manifestement tellement puissant lui aussi qu’il se complète très bien avec l’irrépressible pulsion de mort médiatique.

Et peu importe, bien entendu, le fond de ton éloge.

Je te soupçonne de ne pas en faire grand cas toi-même.

Ce qui ne signifie pas que tes pages, même peu nombreuses, soient torchées comme celles d’un Stéphane Hessel.

Breivik est, comme tant d’autres individus, jeunes ou non, exemplaire d’une population devant qui la constante dévalorisation de l’idée de nation, l’opprobre jeté sur l’amour de son pays, voire la criminalisation du patriotisme, ouvrent un abîme identitaire qu’accroît le fait de vivre une fin de civilisation dont on n’imagine pas qu’aucun autre continent puisse en incarner le miracle, puisque les nouveaux maîtres du monde, de Doha à Rio, et de Hong Kong à Bombay, et de Sidney à Singapour, ne peuvent qu’en proposer la version technologique, c’est-à-dire la conversion de l’individu en petit-bourgeois métissé, mondialisé, inculte, social-démocrate – soit le genre de personne que Breivik a tuées et qui fait pourtant de lui autre chose que ce qu’Enzensberger appelle un « perdant radical » puisqu’il a agi seul, et non en accord avec un programme terroriste, ses actes étant au mieux une manifestation dérisoire de l’instinct de survie civilisationnel.

Les vingt pages sont à l’avenant.

C’est bien écrit, certes, mais rien de foudroyant non plus.

Rien qui ne mérite en soi, évidement, une mise au pilori médiatique.

Maintenant, je n’ai pas envie de disserter sur le sujet. Depuis juillet 2011, j’écris sans cesse des brouillons sur Breivik. Ils me ramènent tous à ce que j’ai pu écrire il y a déjà maintenant quelques années. Breivik est un espoir qui m’a quitté. Breivik c’est la Thompson de Roger Holeindre. Breivik ne me rappelle pas qu’une « guerre civile est en cours en Europe » comme le dit Richard Millet, il me rappelle qu’elle est perdue. Alors on peut apprécier l’esthétique ou, autrement dit, faire un éloge littéraire, mais voilà.

C’est déjà le monde d’avant.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

11 réflexions sur « Le suicide médiatique est-il une drogue ? »

    1. la crevette

      Ah mais non c’est pas déprimant! C’est intelligent! Si l’on se place dans la perspective que tout est déjà « passé » (et perdu certes,certes),c’est qu’il y a maintenant tout à (re) commencer. Nous sommes dans le monde d’après, à ses balbutiements.

      1. Blueberry Auteur de l’article

        Et Millet, ouvertement nostalgique, le déplore. Et d’autres, ahuris, réclament aujourd’hui des écrivains qui assument leur époque, c’est à dire cette époque, notre époque. Ce qui, dans leur bouche à défaut de leur tête, signifie très exactement ce que Millet a en horreur.

        Entre celui qui regrette d’être le seul blanc dans le métro et celui qui trouverait génial d’être réveillé dans une ville européenne par la voix du muezzin, je crois qu’il y a de la place pour inventer autre chose.

        mais pour ça il faut faire le deuil de la France et le deuil de la République.

        1. daredevil

          Faire le deuil de la France ? Ci-gît la France 496-2012 ? je recommence, vous y allez fort. De la République peut-être mais de la France ? Comme vous y allez ! pour construire sur quelle base ? je vous demande pas une vision de boule de cristal, mais quand on construit on s’assure de ne pas le faire sur de la terre meuble, or vous voulez carrément retirer le sol.

  1. Il Sorpasso

    Ce qui est intéressant, c’est que ses contempteurs aussi n’arrêtent pas de parler de suicide. Et donc de réclamer sa mise à mort. De fait, ils se placent d’emblée en position de bourreaux, moralistes, inquisiteurs – mais en retard. Millet, incorporant son propre procès, ne leur laisse plus que de discuter des formalités de son éviction. Toute leur petite cabale miséreuse se fait donc au grand jour (et je trouve génial que Laure Adler, en pleine émission, adresse un salut -dans toute sa tartufferie bourgeoise- à un laveur de carreaux qu’elle aperçoit du studio) et c’est pour ça qu’elle n’aboutira pas.

  2. Anne Onyme

    « Breivik ne me rappelle pas qu’une « guerre civile est en cours en Europe » comme le dit Richard Millet, il me rappelle qu’elle est perdue. »

    Il n’y a pas encore eu de guerre civile. Seulement la prise de pouvoir par la Caste. Ca a pris 40 ans.
    La Révolution, c’est maintenant.

      1. nicolasbruno

        J’ai entendu des extraits de sa défense ce matin sur BFM.
        Je ne comprends pas. Il dit que Breivik n’est évidemment pas défendable, que ce n’est pas le propos. Ce qui est beau c’est le mal, le fait que Breivik ait fait ca tout seul, qu’il ait réussi à faire éclater des bombes puis fait un massacre.Il compare au 11 septembre. Il semble déjà reculer, diluer le message et passe pour un fou malade. Il ressemble à Marguerite Duras et à son « sublime, forcément sublime ».
        Si sa démarche peut avoir du sens, il faut qu’il aille au bout de son suicide, pas qu’il se débalonne et fasse pshhhit.

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