La chambre double

A quel démon bienveillant dois-je d’être entouré de mystère, de silence, de paix et de parfum?

Je suis enfin seul et tous les jours, je chante à capella, je m’entraine au jokari,  je joue avec mes pieds, je me promène nu en jouant de la trompette…  je ne souffre plus de la multitude et si vous voulez mon avis, c’est le mal du siècle, ça, la multitude.

Je ne sors plus de chez moi, je me fais livrer, je vis dans mon salon, car ma chambre est occupée par un vieil ami cancéreux qui ne quitte pas mon lit… J’aimerais qu’il meure et qu’il libère la piaule, et quand il râle à faire croire qu’il ne passera pas la nuit, je danse,…Je vous le jure, je danse et je me gratte les couilles à la fin, de joie.

Des soirs, il gueule tellement fort que je lui fais prendre des médicaments dilués dans l’eau avec un entonnoir, ça lui fait gonfler le bide, et quand j’appuie dessus, ça ressort par l’entonnoir… C’est rigolo, tellement que j’inviterais des gens pour leur montrer, si je connaissais encore des gens… Un soir, il s’est montré à la fenêtre, il a gueulé comme un veau, il a dit que je le séquestrais, puis il est tombé, du sixième étage, sur la tête…. Les flics sont venus chez-moi, pour l’enquête, mais ils ne m’ont pas interrogé… Pour tout vous dire, ils n’ont pas dit bonjour en entrant, pas adieu en partant, et dans l’intervalle je n’ai pas existé.

Je suis encore resté six mois tout seul dans mon F4 de Massy, à dix kilomètres de Paris, puis c’est un chinois, sa femme et leurs six petits, qui sont venus habiter avec moi…. Je suis devenu copain avec la petite dernière, trois ans, elle m’appelle le gentil Monsieur, elle parle de moi aux psychologues, et quand on lui demande de me décrire, elle montre son doudou made in Taïwan… Son père aussi me connaît bien, il me donne congé de la main en rigolant pour mettre fin à nos conversations,  et tout le monde croit qu’il chasse les mouches.

Ma petite poupée chinoise de trois ans vient de mourir en plein Paris, écrasée par un camion, dans le 13ème arrondissement, alors qu’elle sortait de son cours de danse classique… C’est ennuyeux, on va beaucoup moins se voir, d’autant plus que rongé par la douleur, son père  a demandé un autre HLM et qu’il a jeté le doudou Made un Taïwan à la poubelle. Pour tourner la page, comme il dit avec son accent inimitable.

Ce sont des noirs, désormais, qui habitent avec moi. Ils sont gentils, mais ça s’arrête là. Ils n ‘ont pas d’enfants, pour imiter les bwanas, et d’ailleurs ils donnent 20% de leurs salaires pour se faire blanchir la peau… Les autres noirs du quartier les détestent et comme ils disent, c’est plus ce que c’était, ici, on est tout le temps dévisagé par les nègres, dans la rue, sans compter qu’ils nous parlent mal….

Ils viennent de repartir, les sénégalais, ils ne se plaisaient pas…. Personne ne veut habiter ici, sauf moi, qui ne cherche rien d’autre que vivre seul, entouré de mystère, de silence, de paix et de parfum…

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