Frédéric dard, la seconde mort de Céline

On demandait un jour à John Lennon ce qu’il pensait du rock’roll français, il a répondu la même chose que du vin anglais.

C’est cruel, mais on pourrait faire le même mot à propos de tout ce qui se rapproche à l’Art et qui est Français, ou peu s’en faut… J’en veux pour preuve que les français ont  Céline dans leurs registres de naissance et qu’ils se servent de ses livres pour caler la table, en l’occurrence qu’ils ont tranquillement laissé un écrivain de paralittérature se proclamer son héritier, en insultant au passage à longueur de copies Alain Robbe-Grillet et les gens du Nouveau Roman, c’est à dire ceux qui pour le coup, auraient eu une certaine légitimité à parler d’une filiation.

Frédéric Dard, figure emblématique d’un type très particulier de GVD, les passionnés-de-littérature-qui-n’aiment-pas-la littérature, qui se passionnent en proportion de ce qu’ils sont taraudés par la peur de devoir s’avouer qu’ils détestent ça.

Frédéric Dard, un écrivain pour coiffeuses (rien à lui reprocher jusqu’ici, pas plus qu’on pourrait tenir grief à un vendeur de cornets de frites de ne pas faire de l’huître à emporter), mais pour coiffeuses jalouses, méchantes et précieuses, qui se comportait en territoire littéraire comme un  Mongol  saccageant tout avec ses gros tirages, lui qui disait si j’avais le talent le Robbe-Grillet, je tirerais moi aussi à trois mille exemplaires… La classe! Admirez comme le limonadier enrichi perçait sous le célinien de pissotière…

Mais le plus  grave,  c’est qu’en territoire  célinien aussi, il faisait le Mongol, lui la figure de proue des céliniens qui aiment dans l’œuvre de Céline seulement ce qui n’était pas encore  tout à fait Céline, mais, dixit, encore à 80% du Paul Bourget,  Le Voyage,  Mort à Crédit… tout en foutant à la cave Nord ou Rigodon soit la part  la plus célinienne de l’héritage célinien…. Frédéric Dard, l’escroc qui a voulu capter une enseigne majeure de la littérature mondialepour en faire une  succursale de la boutique d’un certain Alphonse Allais, contrepéteur franchouillard.

Frédéric Dard, faux modeste, faux rebelle, faux célinien, mais vrai dégoulinant, vrai lèche-cul des puissants et surtout maladivement jaloux de Robbe-Grillet, au point de se mettre chroniquement à écrire comme lui dans l’espoir de se faire croire que c’était dans ses cordes, comme vous allez le voir en lisant la courte étude qui suit.

Résumé:

Résumé:

Le narrateur San-Antonio multiplie les références à l’histoire littéraire, donnant une très surprenante image de la littérature faite de stéréotypes, de bons sentiments, et d’allusions insistantes au nouveau roman. Cet écart par rapport à la pratique du roman populaire est si constant qu’il peut être considéré comme une marque de fabrique. Dans les marges des aventures de son héros-narrateur, Frédéric Dard développe une représentation simplifiée de l’histoire littéraire, avec d’un côté les ennuyeux, les académiciens et tous les grands auteurs, de l’autre Céline, Rabelais et lui-même. Derrière les pitreries stylistiques, on soupçonne vite que l’auteur ne peut s’empêcher de se prendre au sérieux. En construisant ce face-à-face entre le bouffon et l’académisme tourné en dérision, le narrateur cherche à se donner une filiation artistique et à s’inscrire dans le mythe des artistes maudits, c’est-à-dire à quitter l’espace de la paralittérature pour entrer en littérature. S’il s’efforce quelquefois de rivaliser de manipulations narratives avec le nouveau roman, ce n’est pas seulement pour rire, mais aussi pour prouver sa compétence en se confrontant aux avant-gardes. Cependant, sa démarche subversive se révèle convenue et s’abrite derrière des modèles prestigieux : derrière ces radicalisations comiques, se profile la silhouette d’un écrivain souffrant du complexe de la paralittérature, regrettant de n’avoir pu construire une œuvre reconnue, et espérant, sous sa posture de poète maudit, après avoir fait scandale, entrer un jour, comme Céline, dans l’histoire littéraire

L’intégral du texte ici.

 

18 réflexions sur « Frédéric dard, la seconde mort de Céline »

  1. UnOurs

    Pour une raison qui m’échappe totalement, je n’ai jamais pu encadrer Frédéric Dard. C’est physique, je ne peux pas le voir, l’entendre, le lire. Un truc qui précède le jugement. Déjà quand j’étais petit, vu qu’il passait souvent à la tv romande: peut-être ses foulards à la con et son air gentil, mais que du bas du visage. Plus tard, cette allure mélangée de vrai bourgeois et de faux affranchi.

  2. XP Auteur de l’article

    Anecdote à propos de F.D:

    Quand Jean-Marie Le Pen a connu son premier succès électoral, en 1984, aux élections européennes, il a fait une grande réception à Saint-Cloud, pour fêter ça, il a invité ses vieux potes, parmi lesquels Frédéric Dard.

    Comme Dard ne voulait surtout pas que ça se sache, il s’est répendu dans les annés suivantes en propos et en amitiés dégoulinantes, et va-y que je te fais un chèque à SOS racisme par ici, que je médiatise mon amitié avec Renaud par-là…

    Nulle n’est tenu à l’héroïsme,mais le bourgeois sans scrupules qui se fair passer à longueur de pages pour un mauvais garçon, ça va 2 minutes

  3. j.ax

    Opportunisme, sûrement oui… ses personnages ont le même défaut. Dans un San Antonio qui se passe peu après l’élection de Mitterrand, il y avait une scène marrante où il décrit le changement soudain que cet évènement produit chez son chef, Achille, qui change tout pour plaire au nouveau pouvoir: langage, manières, déco de son bureau, crâne lustré, blouson de cuir remisé pour un col roulé blanc… Est-ce qu’on ne devient pas opportuniste par la force des choses quand on doit sortir un ou deux bouquins par an pour exister même si ça n’excuse pas tout ? C’est le type même de l’auteur complètement dépendant du public.
    Je n’en ai pas beaucoup lu de postérieurs à 81 mais il est vrai que le ton change… avant il y a beaucoup de choses que le lecteur moyen d’aujourd’hui trouverait racistes. Signe des temps, arrive un moment un personnage de commissaire noir, Jérémie Blanc, auquel Dard et ses personnages ne font pas de cadeau, mais c’est plutôt un bon flic.

    Mais à mon sens San Antonio c’est Astérix pour les plus vieux et il ne faut pas chercher beaucoup plus loin…

  4. NOURATIN

    Oui, bon, moi je veux bien tout ce que vous voulez mais ça reste un
    écriveur exceptionnel, même s’il se limitait à de petites gaudrioles.
    Pourquoi allez vous lui coller Céline entre les pattes. On ne dit pas
    que Brassens est mauvais parceque sa musique n’arrive pas à la cheville
    de celle de Beethoven et que ses textes ne valent pas ceux de Baudelaire.
    Il suffit de ne pas mélanger, c’est tout.

  5. XP Auteur de l’article

    « Mais à mon sens San Antonio c’est Astérix pour les plus vieux et il ne faut pas chercher beaucoup plus loin… »

    On avance… Le problême, c’est que FD cherchait plus loin , et que ses admirateurs l’admirent justement parce qu’il cherchait plus loin…
    Ce serait un simple ecrivain de paralittétature, il n’y aurait pas de débat…Seulement, il se trouve que ce connard faisait sa fête à Robbe-Grillet à longueur de ses romans pour se proclamer l’héritier de Céline.

    En piétinant Robbe-Grillet, il cherchait à écraser en réalité Céline, celui de Nord, d’un Chateau l’Autre et de Rigodon, le Céline fini, celui que les admirateurs de FD n’ont pas les moyens intellectuels de lire.

    Et ce qui est vraiment intéressant dans cette affaire, c’est que tout les laudateurs de Fréderic Dard le lisent parce qu’ils sont dans cettte démarche…. Frédéric Dard est un chef de bande.

    Petit détail: sa fille s’est mariée avec l’immonde Guy Carlier, un type aussi dégoulinant que son papa défunt.

    Bon, voilà la principale information de ce billet: Quand Frédéric Dard et ses lecteurs se payent Robbe-Grillet et le Nouveau Roman, ils se payent en réalité leur idole proclamée, Céline.

    C’est ça que j’ai voulu montrer, rien d’autre.

    1. j.ax

      Mon point de vue sur FD est faussé, mais je l’ai pris longtemps pour une icône de nos riantes 60s, un type correct et sans reproche à la Delon, De Funès, Francis Blanche, Jean Yanne. Apprendre plus tard que c’était le héros de la clique Charlie Hebdo ou du gros Carlier a été crève-coeur. L’illusion tient à peu près si on en reste +/- à avant les années Mitteux où en effet sa prose devient de plus en plus gluante. C’est une passade comme certaines BD ou séries télé, ce sont pas des choses qu’on relit volontiers.

  6. Paracelse

    Nul doute que Dard était fasciné par Céline pour l’avoir proclamé plusieurs fois. Cependant, ce qu’il a pris à Céline est un ton, rien d’autre. Ses principales inspirations étaient Rabelais (dont Céline s’est aussi inspiré pour le langage imaginatif) pour l’humour et le langage et Peter Cheney pour le roman policier. J.ax a raison, San-Antonio, c’est Astérix en parodie policière (Astérix est très rabelaisien). Dard ne s’est jamais autoproclamé chef de file de l’héritage célinien, mais on l’a fait pour lui. Alors bien sûr, ça reste de la littérature de gare, mais d’un humour bien plus puissant et jouissif que tout ce qu’on peut voir aujourd’hui.
    Là où l’article sonne juste : le complexe que Dard entretenait envers la littérature et son ressentiment caché derrière ses postures d’écrivains maudits.
    À partir des années 80, les S.A deviennent moins bons parce que Dard délaisse une certaine exigence envers ses intrigues policières pour une fuite en avant dans le burlesque.

    1. XP Auteur de l’article

      « Dard ne s’est jamais autoproclamé chef de file de l’héritage célinien, mais on l’a fait pour lui. »

      Si vous le dites, vous devez avoir raison, mais le fait « qu’on l’ait fait pour lui » en dit long sur le véritable rapport à la littérature qu’on a dans ce pays, et c’est le vrai sujet du billet.

      Malgré les apparences, Céline est très mal traité, en France, c’est un étranger dans son propre pays. On s’en sert pour caler la table, on voit en lui une sorte de Zola qui aurait dit des gros mots.

    2. j.ax

      … complexe envers la littérature ou la « grande littérature »? Cette idée qu’on est un « grand pays de littérature » fait beaucoup de mal, créant des complexes à un type qui vivait très bien de sa plume et aurait dû logiquement s’en foutre. Il a été rattrapé par la police des belles lettres. C’est peut-être ça qui l’a empêché de devenir aussi bon que Charles Williams ou Jim Thompson. Et qu’est-ce qu’on s’en fout, en réalité, de savoir si c’est de la « grande littérature ». Ils sont bons, c’est tout. Le langage est original et drôle, l’intrigue intéressante, tous les boulons bien serrés, c’est propre et harmonieux.

      1. XP Auteur de l’article

        Parce que « la Grande littéraure », ce n’est pas vraiment de la littérature… C’est Victor Hugo, qui dort quelque part au panthéon entre Marie Curie et Jean Moulin… Qui n’est donc pas admiré comme un écrivain, entre Beckett et Marcel Proust

  7. Paracelse

     » Malgré les apparences, Céline est très mal traité, en France, c’est un étranger dans son propre pays. On s’en sert pour caler la table, on voit en lui une sorte de Zola qui aurait dit des gros mots.  »

    Parce que la France est un pays ultra-idéologique. J’ai toujours pensé que défendre Céline pour sa littérature contre ses détracteurs qui ne veulent que voir ses pamphlets chatouilleux ne sert à rien. C’est peine perdue. De plus, ça aurait énervé Céline qu’on plaide en sa faveur. Question d’orgueil.
    Concernant Dard ou d’autres artistes, il est parfois difficile de discerner leurs propres postures et celles que leur plaquent les fans zélés. C’est souvent les deux à la fois, mais les pires viennent des fans, je pense.

    1. Kitschophobe

      « Parce que la France est un pays ultra-idéologique. »

      Justement, ça n’a rien à voir. Tout le monde s’en fiche, de ses pamphlets. Pas une seule fois il n’a joué au militant dans ses romans. Son antisémitisme est un sujet de dissertation pour gens de lettres, un moyen de faire oublier son oeuvre.

      A un journaliste il disait : vous voyez votre appareil là…il est bon, il fonctionne, ça enregistre…Bon…on s’en fiche de savoir si le gars qui l’a fait était bien, peut être qu’il était pédéraste, peut être assassin…on s’en fiche, ça fonctionne…

      La France est le paradis des gens de lettres. Ils savent tous que Céline, ça «fonctionne», et ils ne sont pas prêts de le lui pardonner.

      1. XP Auteur de l’article

        Céline lui-même disait « ils s’en foutent de l’antisémitisme, ce qu’ils me font payer, c’est le voyage ».

        Cela dit, vous dites a peu près la même chose que Paracesle:entre celui « qui ramène tout au pamphlet » et celui qui ne pardonne pas que le Voyage « ca fonctionne », il n’y a aucune vraie différence. Dans les deux cas, il s’agit bien d’un rejet de la littérature, d’une volonté de ne pas voir dans la littérature autre chose qu’un essai déguisé. . Soit on ne s’intéresse qu’aus essais, soit on reproche à Céline d’avoir fait autre chose que des essais déguisés… La même chose, disais-ce.

        Des thèses déguisés ou des conférences illustrées par des diapos, a dit Polanski a propos du cinéma français.

    2. Zabrillac

      Concernant Dard ou d’autres artistes, il est parfois difficile de discerner leurs propres postures et celles que leur plaquent les fans zélés. C’est souvent les deux à la fois, mais les pires viennent des fans, je pense

      Comme c’est vrai ! Il n’est que de lire les délires imbéciles des prétendus « amis » du Maître, formés en association pour s’en convaincre…
      Ceci posé, il ne faudrait pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Juger Frédéric Dard aux seuls San-Antonio reviendrait justement à Juger Louis-Ferdinand à ses seuls « Voyage au bout… » et « Mort à crédit » en oubliant ces délicieuses friandises que sont « Mea Culpa », « Bagatelles pour un massacre », « L’Ecole des cadavres », « Les beaux draps » dont je viens d’apprendre avec bonheur la prochaine réédition au Québec ce mois-ci.

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