Toucher le fond du débat éthique (essai)

Je ne comprends pas toujours très bien le débat sur l’euthanasie.

Je ne vois, en réalité, pas très bien qui cela peut concerner.

Ceux qui souffrent peuvent, déjà, se voir injecter des doses de morphine suffisantes pour que leur cœur arrête tranquillement de battre. On ne souffre pas. On ne souffre plus. Et on arrête l’acharnement thérapeutique.

C’est suffisant pour l’immense majorité d’entre nous.

Pour ceux qui le veulent d’ailleurs.

Et contrairement à ce qu’on peut lire en ce moment, cela se pratique en permanence dans nos hôpitaux.

Les autres, qui ne souffrent pas assez pour bénéficier de la loi Leonetti, peuvent toujours se suicider. Et pour ceux qui n’en ont pas le courage mais la volonté chevillée quand même au corps, il suffit d’un petit voyage en Suisse chez nos amis de Dignitas qui vous fileront un petit coup de sac plastique sur la tête.

Faut penser mondialisation hein.

Et pour ceux qui peuvent et veulent mourir mais qui ne veulent pas se suicider, par exemple par conviction religieuse, ma foi…

Qu’ils aient la cohérence d’endurer.

Quant à ceux qui ne ne peuvent pas se suicider par impossibilité physique de le faire mais qui ne souffrent toujours pas assez pour se voir appliquer la loi Leonetti…

Ces cas sont tragiques.

Sans nul doute.

Maintenant, ce n’est pas parce qu’ils souffrent -mais pas assez- qu’ils doivent venir emmerder un médecin en exigeant qu’il prenne la responsabilité par la loi de leur ôter la vie.

Petits connards nombrilistes…

Comme si le manque de liberté, celle d’être en capacité de se suicider, engendrait une irresponsabilité qui se transmettait du corps à la tête.

En cela, finalement, ils sont aussi modernes que les participants d’un Loft Story me dira-t-on.

En effet.

Mais ce n’est pas parce qu’ils sont des légumes non télévisés qu’ils valent mieux que les légumes de TF1 ou M6.

Bref, si tu veux en finir et que tu ne peux pas physiquement le faire tout seul, eh bien tu n’as qu’à bosser. Convaincre tes proches. Soudoyer une infirmière à domicile. Apitoyer un médecin. Pleurer un peu. Évoquer des grands principes moraux. Que sais-je encore.

Ce serait se rabaisser ?

Oui.

Ça l’est.

Mais qu’est-ce que tu veux mon petit bonhomme, si t’es pas capable de te foutre en l’air tout seul, c’est que t’es déjà tellement bas…

Tu crois que tu te sentirais mieux, juché sur ta pile de dossiers et de tampons administratifs, à la tête d’un vrai petit droit opposable, te permettant d’exiger de l’État qu’il te fournisse un médecin pour qu’il te termine ?

Sérieux ?

Non, si on veut en finir mais qu’on ne peut pas, on demande à ses proches bordel. Même Vincent Humbert a pu le faire. C’est dire. Et ceux-ci, derrière, assument.

Et si on n’est pas fichu de trouver quelqu’un autour de soi pour prendre cette responsabilité, encore une fois, on endure.

C’est pas juste mais c’est comme ça.

Maintenant, vous avez quand même des chances de trouver une bonne âme.

Moi par exemple.

Je peux déceler la souffrance sur un visage.

Je peux agir par compassion infinie.

Et je crois que je pourrais le faire comprendre à mon procès.

Au passage, dans cette affaire Humbert, il est un peu dommage qu’on ait décidé de se passer d’un procès, légitime, pour finir par un simple non-lieu. Ce qui est une absurdité de plus de la justice qui en compte déjà beaucoup. Il suffisait de faire confiance aux jurés de cour d’assise en réalité.

Mais ça…

Avez-vous entendu le moindre magistrat se plaindre publiquement de la fin de l’expérimentation de la présence de jurés populaires en correctionnelle pour les délits les plus graves ?

Pas un.

Pas un seul n’a bougé à ma connaissance.

Je crois que ce fait seul montre ce qu’est la magistrature actuelle dans notre pays.

Si on y ajoute le cas Humbert que faudrait-il comprendre ?

Que les français jugent mal.

Comme d’autres considéraient il y a encore peu qu’ils votaient mal.

Que nos magistrats ne se réjouissent pas trop vite cependant. Une autre sorte de jurisprudence les touchera bientôt. Et plus tôt qu’ils ne pensent. Et, comme en Suisse hier, on fera passer des référendums ou la notion d’automaticité sera présente. Et comme aux États-Unis, il y aura des peines planchers auxquelles ils ne pourront pas déroger. Et un autre jour, ce sera le Juge d’Application des Peines qui verra ses attributions et sa marge de manœuvre réduites.

Et là, ils se diront peut-être que, les jurés populaires, quand même, ce n’était pas si mal.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

6 réflexions sur « Toucher le fond du débat éthique (essai) »

  1. la crevette

    Le passage dans « La carte et le territoire » sur les écolos suisses qui se plaignent de ce que « la quantité de cendres et d’ossements humains [déversée par l’association Dignitas qui se charge d’euthanasier en Suisse les « demandeurs »] dans les eaux du lac [est] selon eux excessive et [a] l’inconvénient de favoriser une espèce de carpe brésilienne, récemment arrivée en Europe, au détriment de l’omble chevalier, et plus généralement des poissons locaux. »
    Hum. Le « fond du débat »sur l’euthanasie, comme le dit le titre, se situe précisément dans l’estomac des carpes brésiliennes.Pour les écolos et pour tous les amateurs de poissons d’eau douce…

    1. kobus van cleef

      il y a quelques mois, j’ai lu dans la presse qu’une entreprise de pompes funèbres anglaises , à coté de l’inhumation et de la crémation, proposait aux parents de défunt , de le laisser pourrir

      c’était décrit par « dispersion corporelle en phase liquide »

      ça me plaît assez , ça , la dispersion corporelle en phase liquide

      je ne sais ce qu’on fait ensuite après avec le jus de cadavre, s’il est recyclé , concentré pour du bouillon-cube ou s’il sert à nourrir les poules…..

      enfin, tant que c’est fait pour de bons motifs, écologiques , hein…..

      en attendant pour la crémation d’un proche, je lisais la plaquette aimablement fournie par les psychopompes du coin , ça insistait sur « le bénéfice net en terme de pollution lors de l’incinération »

      je suppose que le fond du débat doit être au même niveau que le bénéfice net environnemental

      c’est à dire très bas

  2. Vae Victis

    Et si le cœur du débat était ailleurs ? Ce qui se joue à travers le débat sur l’euthanasie c’est l’attribution à l’Etat du droit légitime de tuer. Et encore sans procès, contrairement à la peine de mort.

    Personne n’ignore que les baby-boomers commencent à se faire âgés, pas plus que les structures de santé comme les maisons de retraite ne pourront jamais répondre à cet afflux. En outre on n’a toujours pas de solution pour financer les retraites. On peut bien augmenter la fiscalité à 100% au lieu de 75%, ça ne suffira pas.

    Quoi de mieux que l’euthanasie faite signée à de petits vieux déprimés pour se dégager du fardeau ? On verra peut-être apparaître dans les hôpitaux des commerciaux chargés de convaincre ces vieux d’en finir.

    Je suis convaincu qu’à Bercy on a déjà calculé les économies à espérer de la mise en place de l’euthanasie.

  3. youssma

    c’est vrai que c’est des scenarios qui peuvent paraitrent probables mais surement pas dans le cadre des lois communement admises et qui encadre l’edification des etats nations et de leur fonctionnement primordiale. il faut savoir que le droit a la vie est un principe elementaire.
    cependant, effectivement, dans certains cas extremes, l’euthanasie peut s’averer d’une utilité non negligeable au sens morale. Les symptomes relevant de ces cas devraient etre legiferes par des lois et donc donnerait le droit a la victimes de mettre fin à ses soufrances. Cela restera un choix et un droit citoyen auquel les juges et medecins veilleront a sa valeur.

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