Deux textes qui n’ont pas été écrits par XP, mais par lui….
C’est tellement bien foutu, ça touche tellement l’os, que plein de gens, au début, m’ont dit « c’est pas possible, c’est toi, XP, arrête de te foutre de notre gueule… ».
En fait, c’est écrit par un garçon qui m’a un peu copié, c’est vrai, mais qui fait déjà aussi bien avec beaucoup moins d’années… D’ici quelque temps, il fera mieux que moi et que lui maintenant, et ça me rassure, voyez-vous… Ce qui m’a toujours foutu la trouille, ce sont les mauvais en tout, les incapables, pas ceux dont Dieu s’est occupé à la naissance…
Mon père a débarqué en France la faim au ventre, diplôme d’histoire en poche on l’a pas laissé bosser au pays, ça grouillait de corruption et comme il ne connaissait aucun fonctionnaire, il s’est trouvé très con à citer Michelet tout en étant au chômage. Arrivé ici il a fait coiffeur et a passé ses nuits à jouer du saxo. Au bar du coin, rempli de blancs, on l’appelait le manouche, car un rebeux au saxo ça sonnait faux, usurpé, alors le manouche ou simplement Kader pour les moins intimes. Il mangeait du porc, trompait ma mère, se foutait des caisses et arborait le béret; l’Islam lui rappelait le pays, un dégoût parmi d’autres.
Un drôle de type, mon père. J’en parle au passé, non pas qu’il soit mort, mais je ne le vois plus qu’à travers mes yeux en cristaux de verre: c’est moi, le mort. On m’a tué il y a peu. Mohammed Merah, qu’il s’appelait le salopard qui m’a troué le bide et qui a arraché des larmes à mon père, lui que je n’ai vu pleurer qu’une seule fois: lorsque je suis devenu caporal, major de promo!…
Mes ” amis ” ont pas tous compris ma décision d’entrer à l’armée. J’étais devenu un suceur de la France pour certains, comme pour Mohammed Merah sûrement. Si j’avais été envoyé en Afghanistan il y a deux ans, je l’aurais peut être croisé, Momo, et peut être qu’au bout de mon Famas je lui aurais moi même troué le bide, à Momo.Il n’aurait pas buté mes frères d’armes ni les gamins Juifs; personne n’aurait jamais su, à commencer par moi, que ce barbu en moins 7 vies demeureraient.
Mais je ne suis pas parti: Caroline avait peur. Elle voulait que je lui fasse un gosse et que je sois là pour lui. Je suis resté, je lui ai pondu mon futur fils et je suis mort sur place, sans même les armes à la main, tué comme un citoyen lambda… la fiche…C’est toujours une histoire de femme…
Pendant son sommeil, je regarde le corps de ma bien aimée; mes yeux en cristaux me font tout voir: organes, circulation sanguine, le corps de mon fils, tout cela me semble merveilleusement fait.
Hier soir je me suis même fait gronder par un ange…je me suis permis de chuchoter à son oreille le nom que devra porter notre bambin….J’ai décidé de l’appeler Charles, histoire d’emmerder tous les Mohammed Merah de la terre.
…
Un déblayage de ses artères s’imposait encore. Une vie de gloutonnerie sublime, gâteux et fruits qui dégoulinent sur les dents, elle payait 80 années (mais qui connaissait son âge ?) de plaisir culinaire. Elle avait parfaitement raison. La gourmandise est un péché de bonne santé. Quelqu’un se privant d’un aliment m’a toujours paru déjà mort. Et je n’exagère pas.
Chez le médecin, à chaque nouvelle restriction annoncée, elle marmonnait en kabyle fils de putain ; moi, à côté, je tempérais: ” elle a dit merci dans sa langue natale !”… Sur la fin on l’a envoyée en clinique à Neuilly, si bien lotie qu’elle devait être, tout le monde a pu se dédouaner de ne pas souvent aller la voir. Moi le premier. Il n’empêche qu’elle se plaignait tout de même de la surreprésentation des noirs parmi le personnel aide soignant. Je lui disais : t’as bien raison, les Inconnus ont fait un sketch là dessus.
A chaque visite, on lui filait des dattes discrètement. Il faut arrêter de se gaver ! – qu’il lui sermonnait ce vieux connard de cardiologue, même qu’il lui causait comme à un enfant… Et même qu’il parlait d’elle à la troisième personne en sa présence, ce qui méritait, entre nous, au moins 10 ans de bagne pour impolitesse élémentaire.
Le soir où elle a passé l’arme, j’écrivais justement un texte sur elle (je le jure) où je lui demandais telle dans une prière de m’attendre, histoire qu’on se moque un peu de tout le monde ensemble, qu’on évoque les problèmes majeurs: les salauds qui lui ont volé 10 euros, les aides soignantes martiniquaises, mes plats jamais terminés. Mais elle ne m’a pas attendu. C’est ainsi. Il ne faut pas cogiter sur des hasards aussi stupides. Ce magma de hasard qui pousse l’homme, cet orgueilleux, à se croire quelque chose comme un destin…il en redemande l’homme, du sens sur la courbe arbitraire du monde.
On est allé l’enterrer vite fait bien fait dans le village de ses ancêtres. Son corps exposé, je voyais bien qu’elle persistait à se foutre de la gueule de tout le monde, emportant avec elle mille ragots qui vous auraient détrempés tous ces gens pleurant trop, de manière louche.
On a mangé chez ses voisins, des gens tout vieux, polis à l’extrême, avares de questions personnelles, des gens qu’elle avait dû aimer et que j’aimais à mon tour. J’ai pris le soin de finir mon steak ragoûtant; je lui ai ainsi rendu hommage et je l’ai entendu me féliciter.
Pour le reste, ça fut bien rôdé.
Toute la nuit les femmes du village ont chanté des choses imprononçables, et les hommes ensuite, et le silence de la nuit étoilée a aussi gueulé sa part, puis les femmes encore, puis plus rien : un gros silence l’a congédiée à l’infini.
C’était joli mais ils l’ont humiliée en l’enterrant pareil aux autres…avec tout ce florilège de tradition expéditive, cette manière de nier sciemment son cadavre, d’en faire trois fois trop, donc de ne rien dire ou si peu…
Si elle avait vu cette grande débandade furtive à la fin, cette faramineuse lâcheté…Je les aurais bien tous enterrés avec elle, dans un murmure…
Toujours très très bon!
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