Le sens du vent

Il n’y a pas de sens de l’histoire.

Sauf pour « les croyants ».

Mais il y aurait un sens des procédures judiciaires.

C’est Hugues Serraf (découvert seulement depuis quelques jours mais qui va, je le sens, devenir mon prochain meilleur ami) qui m’a enseigné cette bonne leçon sur Twitter lorsqu’il considère « qu’ils ont mis le temps » pour valider le permis de construire de la future grande mosquée de Marseille.

« Ils », c’est la cour administrative d’appel de Marseille.

En confirmation, mon vieil ami Eolas (dit « Le Maître ») a même rajouté que « ce n’est pas trop tôt« .

Faut-il comprendre que les recours contre cette construction étaient nauséabonds pour que cette accélération de l’histoire judiciaire (qui elle a un sens donc) soit ainsi célébrée ?

Parce que sinon, en général, lorsqu’un ouvrage majeur est construit et fait, systématiquement de nos jours, du stade de foot à la grande mosquée donc, l’objet de recours de la part des riverains, on se félicite plutôt que la justice prenne son temps et mette son grain de sable là-dedans.

Est-ce que la justice a particulièrement pris son temps pour traiter la mosquée de Marseille ?

De octobre 2011, date de l’annulation, à mai 2012 le jugement en appel.

Pfiiouuu…

Un peu plus de six mois.

Comme c’est inhabituel…

Autant dire qu’il était en effet temps.

Je rajouterais même que ce n’était pas trop tôt.

On ne sait pas encore trop ce qui a motivé la cour d’appel à donner son feu vert à la mosquée de Marseille. Peut-être que l’engagement tangible des « collectivités locales » a construire ledit parking -qui avait engendré, pour partie mais pour partie seulement, l’annulation de 2011- a suffit. Certes, on se demande si c’est aux collectivités locales de construire un parking pour une mosquée, mais étant donné que, comme d’habitude, on utilise un autre prétexte pour la création dudit parking, tout va bien.

Cela ne se rajoute de toute façon qu’aux multiples autres investissements publics rendus nécessaires pour la mosquée.

Et puis, nous dit Le Monde, les habitants et les commerçants hostiles à ce projet de grande mosquée étaient emmenés par « le patron d’une triperie familiale ».

Une triperie familiale.

Cela ne fait pas très halal ça.

Quasiment vieille France si vous continuez à voir ce que je veux dire…

En même temps, dans l’ancien quartier des abattoirs de Marseille, trouver une triperie familiale n’est pas complètement déraisonnable.

On leur a dit, d’ailleurs, aux musulmans locaux, que l’air de cette partie là de Marseille était probablement, plus encore que toute autre, saturé d’ADN de porc ? Et qu’avec l’ADN, mon dieu, je ne suis pas sûr que de rapides ablutions suffisent ?

Quoiqu’il en soit la triperie familiale a un nom, Métras. Celui de son propriétaire. Qui, accessoirement, préside un Comité d’intérêt de quartier de Saint-Louis. Ce qui est, peut-être, plus pertinent à mentionner que sa triperie dans le quartier des anciens abattoirs de Marseille.

Mais bon.

Je ne suis pas journaliste au Monde.

En réalité, une bonne partie des riverains et des entreprises locales craignent tout simplement que cela dérange, plus ou moins sévèrement, leur activité ou leur tranquillité. Ils ont raison. C’est, inévitablement, très exactement ce qui va se passer.

Après, il n’est pas impossible que s’il n’était pas question d’une grande mosquée mais d’une entreprise quelconque, les mêmes riverains et entreprises déjà implantées seraient plus favorables au projet. Non pas que des recours n’auraient pas été déposé car ça, ça ne manque jamais. Mais on se serait fait plus facilement une raison. Cela génère de l’emploi. Un dynamisme local. Cela a un effet positif sur l’immobilier. Etc.

Les musulmans croyants du vendredi, eux, ne risquent pas de rapporter grand chose aux triperies locales, sauf révolution de l’islam concernant les interdits alimentaires, mais risqueront d’entraîner l’arrivée de commerces très spécialisés dans le quartier qui peuvent ne pas satisfaire les besoins consuméristes de tout le monde. Enfin, si on construit une immense mosquée avec minaret lumineux de vingt-cinq mètres à côté de chez toi, eh bien tu déménages pendant que tu ne perds pas encore trop de valeur sur ton bien et si tu le peux. Sinon tu restes et tu maudis la municipalité jusqu’à la vingtième génération d’élus locaux.

A la limite, les personnalités toujours positives, pleines d’entrain, peuvent toujours, si on construit subitement une autoroute au bout de leur terrain, se dire que c’est utile pour l’ensemble de la collectivité. A mauvaise fortune, bon coeur républicain. Mais pour une mosquée il est plus compliqué de voir l’intérêt général.

Certains me diront que, d’après leurs savants calculs démographiques, dans cinquante ans, avoir un appartement qui donne sur une grande mosquée ce sera comme avoir un appartement dans le 4ème arrondissement de Paris avec vue sur Notre-Dame. Et qu’il faut profiter de la baisse actuelle pour investir à mort sur le créneau encore rare de l’appartement donnant sur la grande mosquée.

J’ai, je dois vous l’avouer, encore un léger doute.

Quel malheur qu’investir soit un sport incertain…

D’une part je ne suis justement pas certain de l’architecture de cette grande mosquée. Or, disons-le, il y a par exemple des églises sur lesquelles il n’est pas forcément très vendeur de donner du fait de la qualité relative de leur construction mais aussi de leur très relative beauté architecturale. Alors il n’y a aucune raison que cette mosquée, avec ses plans actuels et son ridicule budget annoncé, donne une autre merveille au monde.

D’autre part j’ai comme dans l’idée que, en France tout du moins, le musulman qui réussi n’est pas le dernier à se détourner de sa religion et à ne plus en conserver que des coutumes qui ont finalement plus trait à son pays d’origine (ou celui de ses parents, ou grands-parents, etc.) qu’à l’islam. Voire, pour ceux qui restent encore sous pression de leur entourage, à trouver des moyens pour qu’on lui foute la paix pour pas trop cher et pas compliqué (d’où l’essor du marché du halal de grande surface).

Tu es un bon musulman mon fils ?

– Oui maman, regarde, j’ai acheté du jambon halal à Carrefour.

Bref, aura-t-il envie de mettre son argent dans un appartement donnant sur la grande mosquée de Marseille ?

Rien n’est moins sûr.

Mais ce qui est certain c’est que la construction d’une grande mosquée avec le beau minaret et sa petite école coranique ou la tentative de rendre le process du halal plus pur que pur, va dans un sens, lui, très précis.

Celui de la reprise en main des musulmans au contact direct du monde occidental.

Ceux-ci étant déjà largement pervertis, si on excepte quelques salafistes réellement cohérents, on insiste lourdement sur d’une part ce qu’on peut contrôler assez facilement. Puisqu’il est ainsi compliqué de sonder les âmes, on peut surveiller et inciter les musulmans à ne pas bouffer la journée pendant le ramadan et les culpabiliser sur le fait de manger du halal qui soit plus pur que pur. L’interdit alimentaire est certainement à ce qu’il y a de plus con dans une religion mais c’est efficace pour souder les gens en communauté.

D’autre part on se pique de construire des grandes mosquées dont le gigantisme est totalement inutile, grand générateur de ces recours qui gênent les avocats bidons et les journalistes de Slate ou Atlantico.

Enfin… Je dis inutile mais j’ai tort.

Cela est très utile, d’où le fait que le gigantisme des édifices religieux n’est pas une grande nouveauté du XXIème siècle et de Marseille.

Mais, qu’on le comprenne bien, cette utilité n’est nullement profane.

Ces édifices ont une utilité religieuse et prosélyte puissante.

Mais il n’y a aucun intérêt (autre qu’électoral) pour une municipalité laïque à laisser se créer une grande mosquée avec minaret lumineux style Tour Eiffel qu’à laisser en créer de plus petites ou agrandir celles, nombreuses, déjà existantes et d’ailleurs souvent suffisantes. Certains brandiront un éventuel intérêt sécuritaire. De surveillance par l’Etat autrement dit. Mais cela fait bien longtemps que l’islam est sorti des caves et que les mosquées sont surveillées. Donc du point de vue sécuritaire cela ne changera rien.

Au contraire, c’est, à mon sens, tout à fait antinomique. Les Etats laïques ne peuvent pas donner des permis de construire à des édifices religieux monumentaux, à moins d’avoir pour ambition même pas secrète de disparaître en tant qu’Etat laïque.

Et, je n’évoque même pas, ici, la sidération absolue de voir des mosquées moins imposantes se construire un peu partout sur le territoire. Ce qui est déjà hautement inquiétant en soi.

Mais qu’on se félicite, quand on n’est pas musulman prosélyte, de voir construire durant sa vie d’homme une grande mosquée à Marseille, voilà qui me dépasse totalement. Pourquoi ? Pourquoi cette impatience ? Qu’est-ce qui pousse si fort ces non-croyants à s’en féliciter ?

Ce doit être le sens du vent.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

2 réflexions sur « Le sens du vent »

  1. vlad tepes

    « Pourquoi ? Pourquoi cette impatience ? Qu’est-ce qui pousse si fort ces non-croyants à s’en féliciter ? »

    Là comme ça, on a envie de répondre la frousse. La frousse de ne pas céder à ceux qui sont le rouage essentiel de l’ordre actuel. La frousse de les voir faire voler en éclat les quelques convictions et lâchetées qui animent encore les desouche.
    Dans un premier temps, on aurait donc tendance à dire que vos interrogations sont bien inutiles.

    Mais quand on lit dans le même texte, à quelques lignes d’intervales, que les révolutions tunisiennes, égyptiennes et lybiennes ont démontré que l’islamisme était la principale force dans le monde arabe, puis ensuite que la révolte syrienne a pour principale aspiration l’instauration de la démocratie.
    Quand on lit que le Qatar et l’Arabie Saoudite sont intervenus en Lybie et appuie diplomatiquement en Syrie au nom des droits de l’homme, et que donc il est énigmatiques qu’ils soient aussi peu respectés chez eux.

    Ce ne sont que deux exemples qui me viennent comme ça, mais ça relève d’une bêtise tellement surnaturelle, d’un fanatisme tellement puissant que la simple dhimmitude ne saurait tout expliquer.

    Cette mosquée géante, c’est avant tout le signe d’un gouffre. Le gouffre de la laideur et de la médiocrité qui domine actuellement.

  2. la crevette

    Je ne peux pas m’empêcher de repenser, avec cette histoire de mosquée sur le lieu d’une ancienne triperie familiale, au texte de Lounès qui disait :

    Le hallal. Il y a une justice immanente qui tient à l’abandon de la religion chrétienne. Cette très belle, très raffinée, très intelligente religion presque entièrement reniée chez nous dit une chose très claire à propos de la nourriture : on peut manger de tout si on le fait avec « action de grâce » c’est-à-dire en considérant que l‘on reçoit cette nourriture de la main… eh bien de Dieu lui-même et qu’ainsi on en éprouve de la gratitude. Puisque même cette petite chose gratuite qui nous est demandée nous ne voulons pas la faire, voici que se met en place une justice immanente : l’irruption massive de rites barbares centrés sur le sang du « hallal » et du « casher ». Et toutes les explications du monde n’y font rien (explications interminables qui nécéssitent d’employer beaucoup les mots « égorgement », « sang », « nerf », « artère », « bête », si on a deux secondes d’instinct on se rend compte qu’on est en train de se faire arnaquer), ces rites nous sont étrangers et nous dégoûtent, tout comme cette passion pour le sang et les sécrétions rabachées dans les bouquins d’autres religions (il faut chier vers tel point cardinal, se laver les « parties honteuses » trois fois en prononçant la formule, il faut bien égorger jusqu’à la dernière goutte, gnagnagna skome sa fô faire…). Dans ce débat stérile qui n’a débouché sur aucune décision satisfaisante (y-a-t-il moins d’abattage hallal désormais ?) personne n’a pointé l’argument théologique. C’est la chienlit.

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