J’ai, instantanément, de la sympathie pour les avocats qui défendent les causes perdues. Qu’elles le soient réellement ou seulement en apparence.
De Milosevic à Outreau disons.
Et puis, d’apparence ou réellement là encore, il existe une vraie noblesse à défendre les salauds.
Pas pour faire ressortir le bien ou le bon qu’il y aurait en chacun de nous, pas parce que tout homme aurait le droit d’être défendu. Ça, ce sont les arguments malicieusement avancés par les avocats qui défendent les salauds afin de se justifier convenablement dans le monde.
Tandis que la vérité c’est que défendre les salauds, c’est foutrement bandant.
Soit le salaud n’en est pas vraiment un. C’est un innocent et c’est jouissif de tenter de le démontrer. Soit il s’agit d’un vrai salaud, un bon gros coupable et, en réalité, c’est encore meilleur.
L’avocat du diable ?
Comme si le diable avait jamais manifesté le besoin d’un avocat…
C’est que le diable a une éthique du mal.
Tandis que jusqu’au criminel de guerre, qu’il soit ou non serbe, le salaud n’a, lui, pas une éthique du mal -sauf en cas de pathologie mentale. Personne, d’ailleurs, ne pourrait vivre longtemps en assumant une telle éthique. A part, donc, les grands pervers. Pour les autres, c’est tout bonnement impossible.
La plus ignoble pourriture, quoiqu’elle fasse, n’a pas une éthique du mal. A la fin de la journée, elle retombe sur ses pieds.
Oui, j’ai licencié dix employés aujourd’hui. Mais pour sauver la compagnie et le job de dizaines d’autres. Et, dans le métro, j’ai donné à un pauvre.
Voyez, le bilan est même globalement positif.
Oui, j’ai nettoyé la Bosnie. Mais pour sauver le peuple serbe de l’extinction/déchéance/extermination. Et si, dans le marché de Sarajevo, j’ai envoyé une bombe, c’était pour que mille autres ne s’abattent pas sur Banja Luka.
Ce n’est pas le diable que vous défendez.
Ce n’est pas une éthique du mal dont vous vous faites le défenseur.
Le bonhomme qui tue sa femme, il le fait parce qu’il considère, à tort ou à raison, que celle-ci est une salope, ou qu’elle l’empêche de vivre heureux, ou qu’elle veut lui piquer son pognon, ou que sais-je encore. Pas parce qu’il aime tuer et/ou faire souffrir.
Il peut se découvrir une passion pour ça a posteriori. Ou succomber à une pulsion enfouie difficilement depuis des années. Mais on retombe alors dans la pathologie mentale.
Remarquez, ces gens, sévèrement atteints, peuvent être utiles. On l’a vu en Algérie. Plutôt que de sacrifier des hommes en bonne santé mentale en leur demandant de faire les saloperies nécessaires, on utilise les tarés disponibles.
Mais revenons en à cette question d’éthique. Lorsque l’avocat de Breivik le défend, lorsqu’il défend le fait qu’il ne soit pas fou, il ne raconte pas une autre histoire que celle-ci. Il dit qu’il défend non seulement un homme, mais qu’il défend l’éthique du bien d’un homme. Qui, certes, a pu prendre des voies tortueuses pour certains, ignobles pour d’autres -ou que l’on peut qualifier comme on veut. Mais derrière les actes eux-mêmes, ce n’est pas du pure evil. Il y a quelque chose d’autre. D’où, par exemple, le fait de citer à la barre des types qui partagent les mêmes idées que Breivik.
Alors, défendre ce type de salauds, c’est défendre des originaux. Cela sort de la norme. Cela dépasse l’ordinaire. Cela bouscule nos neurones. Elles s’agitent. On en fait des livres, des articles de presse et des émissions radiodiffusées. La voilà la raison pour laquelle l’avocat peut aimer défendre ce type de salauds.
Et quelle grandeur à défendre un pédophile assassin me demandera-t-on ?
Aucune.
Les avocats qui le font parleront d’humanisme. Pourquoi pas. Quoique. Si j’étais pédophile assassin, je ferais plus confiance à l’avocat qui veut se faire un nom qu’à celui qui me parle d’humanisme. Enfin…
Maintenant, le pédophile assassin, ma foi, je considère par principe qu’il rentre dans la définition du grand pervers. Donc bon. Et ces gens-là ne m’intéressent guère.
Mais il existe une autre catégorie de gens qu’il n’est pas honorable de défendre, ou tout du moins, qu’il n’est pas honorable de défendre n’importe comment (plutôt qu’à n’importe quel prix, j’y viens plus bas).
Et là je m’adresse aux avocats de Dominique Strauss Kahn.
Ce dernier est coupable. Si ce n’est de tout, de suffisamment. Et tout le monde le sait. N’empêche, des personnalités médiatiques semi-demeurées s’appliquent depuis quelques mois maintenant, avec une constance navrante, à le défendre avec une habilité qui l’enfonce un peu plus chaque jour.
Tout y passe.
Retour à l’ordre moral, police morale, antisémitisme, pudibonderie, populisme, etc.
Et pour accréditer tout cela, ses avocats inventent joyeusement des accusations médiatiques inexistantes, falsifient, créent des raisonnements fumeux et au final racontent absolument n’importe quoi. Aussi bien intellectuellement que factuellement que juridiquement.
Qui reprocherait ainsi à Dominique Strauss Kahn son « libertinage » ?
Personne.
En vérité, tout le monde s’en fout.
Il y a même des ahuris qui voient de la jalousie vis-à-vis de la vie sexuelle de Dominique Strauss Kahn.
Foutre.
Je suis sûr que même Christine Boutin a une vie sexuelle moins sordide que celle de Dominique Strauss Kahn.
C’est dire.
Plutôt que de la jalousie, c’est une mélange d’empathie et de commisération, de pitié disons, qui anime les gens autour de moi sur le cas DSK. Enfin, certains s’amuseront de constater que Raphaël Tisserand était en fait un éléphant socialiste qui a failli devenir leur président.
Les récits de filles abusées, là, cependant, il est vrai, génèrent quelques petits grincements de dents parmi une bonne partie de la population.
Le retour de l’ordre moral qu’on vous dit !
Mais il y a pire que ces intellectuels prenant fait et cause pour DSK par solidarité dans le sordide à la frontière du délictueux.
Il y a Elisabeth Lévy (farouche tenante de l’idée que l’ordre moral revient frapper malicieusement DSK) interrogeant un avocat de DSK, Richard Malka.
Elisabeth Lévy aime manifestement interroger ses copains pour la presse. Cela pourrait rester dans le cadre d’un dîner un peu trop arrosé. Mais ça finit dans Le Point sur deux pages.
Ici, la seule façon de savoir si c’est Richard Malka qui a interrogé Elisabeth Lévy plutôt que l’inverse, c’est de jauger du niveau de culture juridique de celui qui répond aux questions. Pour le reste, ma foi, c’est remarquablement interchangeable, jusqu’à la menace de fin vis-à-vis des journalistes, à ce point explicite qu’elle en est infiniment vulgaire : attention, après les politiques ce sera votre tour ! L’omerta vous protège aussi ! N’oubliez surtout pas que vous êtes du côté des puissants !
On me dira qu’en matière de conflit d’intérêt on devrait être en mesure d’empêcher une compagne notoire de ministre d’interroger celui-ci, mais qu’on ne peut décemment interdire à une copine d’avocat d’interroger ce dernier. Sans doute. Mais cette pratique a tout de même un nom. Le journalisme à la Rue89. Autrement dit, j’interroge mes potes, les copains de mes potes, mes camarades de bureau et j’en fais un article. On me dira que Richard Malka n’est pas qu’un pote. Il s’agit d’un avocat de DSK. Et que après avoir fait la retape sur six pages du livre sur DSK de Raphaëlle Bacqué et Ariane Chemin, ce n’est pas outrageant d’interroger un soutien de DSK. Sans doute. Mais était-il vraiment si malin d’envoyer pour l’interroger une copine à lui qui partage très exactement son point de vue ? Parce que ce n’est pas le côté faussement couillu de l’interview qui nous empêche de voir que dans le monde réel ils étaient en train de bien se marrer en bouffant des huîtres au restaurant…
Mais je veux en revenir à l’honorabilité de l’avocat se piquant de défendre un salaud.
S’il ne fonctionne pas ici pour Richard Malka, c’est qu’il n’y a aucune grandeur à user de sophisme, de raisonnements spécieux et autres artifices plus ou moins grossiers pour défendre un homme politique minable. Il y en aurait d’ailleurs également peu à utiliser de tel stratagèmes pour défendre Milosevic. Il est vrai qu’il n’était pas accusé par le TPIY de tenter d’abuser de sa position pour obtenir des faveurs sexuelles sous la contrainte… Non, pour Milosevic, comme pour Breivik, comme pour tant d’autres salauds sublimes, il y a, je me répète, autre chose à défendre et d’autres moyens, donc, à utiliser.
Avec honnêteté, j’admets donc qu’étant donné que ce doit déjà être compliqué de défendre un homme politique coupable de malversations financières, alors un coupable d’agressions sexuelles multiples…
Il y aurait cependant une manière honorable de s’en sortir pour un avocat dans cette situation.
Vous voyez, d’ailleurs, vous, un avocat user des mêmes conneries dialectiques pour semi-demeurés avec un accusé ordinaire, disons le boucher de votre patelin ? Rien du tout. Aucun avocat n’ira se ridiculiser ainsi pour un boucher. Non, l’avocat le regardera dans les yeux et lui dira qu’il faut qu’il arrête ses conneries, qu’il est baisé et que le mieux pour lui c’est de reconnaître les faits, de ne pas tenter de les minimiser car ce serait se foutre de la gueule de la victime, de plaider la pathologie et d’évoquer son enfance douloureuse.
Voilà la méthode honorable.
Mais puisqu’il s’agit de DSK, d’un puissant de ce monde, eh bien Richard Malka, là, il est heureux de se taper la honte. Parce que, oui, il raconte n’importe quoi, mais en même temps on se dit qu’il doit toucher sévère pour ça. Combien ? Bonne question. Et vous, vous prendriez combien ?
D’accord, on finit par se sentir un peu honteux, un peu sale après. D’autant qu’on a du se ridiculiser médiatiquement de surcroît. Mais on fait un signe à tous les salauds minables de la planète qu’on est le genre d’avocat qui, pour de l’argent, courbera l’échine comme il faut. Au point que le quidam, éberlué, se dira que ce n’est pas possible, qu’il doit y avoir une part de vrai dans ce que dit cet avocat, qu’il ne peut pas juste se contenter d’avaler et de recracher avec le sourire…
Au moins, lui, me direz-vous, il touche pour ça.
On en connait d’autres qui font ça gratis ou pour quelques euros de plus.
L’interview de Richard Malka, je ne la trouve pas sur le web. Je ne me sens pas d’en faire un vrai résumé détaillé. Vous avez l’esprit, vous trouverez le contenu dans la salle d’attente de votre généraliste ou à votre prochaine permanente.
J’ai, même moi, une limite de conneries par ligne.