C’est ici, à 36,50
Marx lui-même, à la fin de sa vie, découvrant la Russie et le populisme, découvrant le rôle de la communauté primitive, va écrire cette phrase: »on ne doit pas être effayé par le terme archaïsme… Le socialisme, ce doit être la reprise sous une forme moderne d’un mode d’organisation archaïque… Ce que Marcel Mauss a résumé par cette phrase, « il faut savoir, quand on est socialiste, revenir à de l’archaïque. »
Jean-Caude Michéa
C’est là que nous atteignons Athènes, comme disait l’autre… Pour filer une autre métaphore, c’est ici que nous pouvons discerner clairement ce qui sépare le lecteur lambda de Michéa et le lecteur lambda d’XP…
Ici, Michéa s’appuie sur la condamnation du libéralisme économique qu’il croit tenir en main, puis il crache sa Valda, et nous explique pourquoi il écrit… Il donne la vraie raison…
De quoi s’agit-il? Michéa nous dit en creux qu’il s’en fout, des mérites comparés du libéralisme et du dirigisme, que ce n’est pas dans sa nature de comparer des courbes, et que c’est de métaphysique, dont il veut parler, depuis sa première ligne… Ce qu’il nous dit, c’est que ça ne passe pas, dans sa tête, le christianisme, qu’il n’y arrive pas, qu’il veut se débarrasser du fardeau, que c’est trop lourd…
Ce que le Christ est venu nous apprendre, la révolution anthropologique qu’il est venu déclencher parmi nous, elle se résume à cette phrase: tu es fais à l’image de Dieu, tu es l’alpha et l’oméga, tu es un individu, pas le citoyen d’une tribu, je suis venu pour te séparer de ton père, tu n’es pas digne de moi si tu le préfères à moi, et si tu me suis, tu vas en chier, mon bonhomme.
Je ne suis pas certain qu’il comprend tout à fait les mots qui sortent de sa bouche, Michéa, mais c’est vraiment ça, qu’il a envie d’expliquer, qu’il n’a pas envie de ce contrat, qu’il ne veut pas en chier en suivant l’autre… Du reste, on ne peut pas lui en tenir sérieusement rigueur, puisque c’est naturel, pour un homme, de se fondre dans une tribu, de retourner vers l’archaïsme, tandis que le deal proposé par le Christ est artificiel.
Moi, je partage un truc avec Michéa: je me fous complètement des courbes économiques, et pareil à lui, c’est quelque chose d’autre, qui retient mon attention… Je ne sais pas si les libéraux ont économiquement raison, mais je vois bien sur quoi s’entendent en préalable tous les archaïques, les nostalgiques du monde d’avant la fuite du jardin d’Eden: ils n’aiment pas le libéralisme, ils voudraient quelque chose de plus simple, qui pèse moins lourd sur les épaules, qui se comprend plus facilement….
Ils ne conçoivent pas qu’1+1, ça peut faire parfois deux, certes, mais aussi 3, 4, 10, 100, 1000 ou même encore bien davantage…. Exactement pareil à ce qu’ils n’admettront jamais qu’un Messie soit venu nous balancer des choses aussi incompréhensibles que mon Royaume n’est pas de ce monde, je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée, je suis venu pour séparer le père du fils, qui cherchera à gagner sa vie la perdra, etc.
Notre époque est le fruit du libéralisme, Michéa la déteste, il fait semblant de lui reprocher de n’avoir pas de sens, mais ce qu’il ne supporte pas, en vérité, c’est qu’aucune place ne soit assignée au sens, qu’il soit obligé de le discerner tout seul, qu’on n’ait pas glissé dans son berceau une fatwa, un mode d’emploi… Il ne supporte pas qu’on lui souffle tous les matins à l’oreille cherchez et vous trouverez, frappez et on vous ouvrira… Il veut se débarrasser du fardeau.
Notre époque est pleine de sens, en vérité, c’est sans doute la plus spirituelle que le monde ait connue… Il se trouve juste que ça ne se voit pas, que ça ne saute pas aux yeux… Michéa, il ne déplore pas le manque de spiritualité de notre époque, mais qu’elle ne lui saute pas aux yeux, histoire d’être débarrassé une fois pour toute de ce machin
« Tu es individu, tu n’es d’aucune tribu », c’est aussi ce que dit Mélenchon dans son dernier discours de Lens… nier la lien de parenté évident qui existe entre christianisme et socialisme, c’est quelque chose que je ne comprendrai jamais chez toi, mon ami…
Nietzsche disait aussi que l’avenir de l’homme, c’est sa volonté, que c’est l’affaire d’une volonté humaine que de bâtir les grandes tentatives d’élevage et d’éducation de demain… le problème, XP, je crois, c’est la nature de la volonté socialiste, et non pas le fait qu’elle veuille bâtir… évidemment que l’homme se construit des cadres pour ensuite monter dessus et moins se fatiguer, pour ensuite continuer d’en construire d’autres… ce que tu méprises à raison c’est le besoin d’inventer le dernier système, celui auquel on n’aura plus jamais à toucher, c’est la lutte « finale »… mais la volonté de construire tout court ?
Dans ce monde où les ratés peuvent se mélanger aux meilleurs d’entre nous, doit-on ne considérer que des individus face à Dieu, à égalité ? Ne penses-tu pas qu’il soit légitime de vouloir protéger le fort du faible ? L’élevage de frontières, de races d’hommes au sens large, c’est un confort intellectuel qui voudrait en finir avec la vision courageuse des individus tous en bas livrés à la nature et du créateur en haut ?
Et si le confort c’était précisément se laisser aller dans ce terrible hasard de la nature qui sacrifie les hommes les plus supérieurs ? Si c’était ça qui correspondrait à l’attitude de celui qui ne veut pas se fatiguer, qui veut se débarrasser du fardeau de prendre son destin en main, d’être le bâtisseur de ses désirs ?
Même le libéralisme a besoin de cadre, sans quoi le ressentiment de la masse des mauvais se liguera comme d’habitude contre la minorité des bons, et rien de beau ni de grand ne sera possible. Dire que les individus livrés à eux-mêmes ne suffit pas, ça peut être le départ de grandes choses, et pas forcément de l’effroyable Etat socialiste. Il y a autre chose entre la volonté de faiblesse des socialistes et le hasard total.
Dans la mystique dont tu parles, Dieu a demandé à Abraham de tuer son fils. Le Christ a demandé au fils de s’éloigner de son père. Est-ce être vouloir se débarrasser d’un fardeau, ou être un moisi de la Tradition, que de trouver ces choses particulièrement contre-nature, maladives ? Et est-ce qu’on est de la même race que les Michéa lorsqu’on considère que les aspirations du christianisme, et pas depuis Christine Boutin mais depuis Saint Paul, ont été précisément de domestiquer l’homme, pour ne plus supporter le fardeau de voir en l’homme aussi une bête sauvage, un artiste, un pont sublime, mais plus qu’un animal moral ?
Je ne te demande évidemment pas de réponse définitive à tout ça XP, tu sais bien qui je suis et je ne pose pas des questions comme certains le font avec une lampe dans le visage de l’interlocuteur, je n’exige rien de précis mais je m’interroge, parfois, sur le fait de savoir si toi tu t’interroges sur ce que je dis là.
La question de savoir comment il faut articuler l’appartenance collective (comme disait l’autre, un homme en deux cents jours ne lève pas l’obélisque de la Concorde, mais deux cents hommes en un jour y arrivent) et l’individualisme peut se régler de deux grandes façons. Soit on prend acte d’appartenances que l’on croit naturelles, soit on passe par la liberté pour arriver à des appartenances d’élection.
Outre que la vérité est sans doute plus compliqué que le choix entre l’une et l’autre option comprises comme exclusives, est-ce vraiment la question du moment ? Se la posent-ils en face ?
Ce qui est en cause c’est l’espace où ces questions sont possibles, où elles peuvent se déployer. Il sera temps de s’entr’étriper là dessus joyeusement quand la survie du cadre où ces questions ont un sens sera un peu mieux assurée.
http://www.contrepoints.org/2012/06/12/86676-finkielkraut-met-en-doute-la-these-de-michea
http://fr.liberpedia.org/Jean-Claude_Mich%C3%A9a