Il y a beaucoup de projets qui restent dans le domaine du rêve, sans même un début de concrétisation, parfois les balbutiements s’échouent sur les premiers obstacles. Et puis il y a des gens têtus, des Bretons par exemple, qui décident d’aller jusqu’au bout de leur rêve ; même s’il est un peu naïf. C’est le cas de ces trois jeunes Bretons qui ont voulu surfer sur une île déserte, à l’autre bout du monde. Un désir d’absolu, de solitude, un égoïsme, un rêve de carte postale.
Après avoir évalué leur chance de trouver à la fois de belles vagues et un véritable isolement, ils se retrouvent dans l’Océan indien, en Indonésie. Ils ont quelques pistes, mais difficile d’avoir des certitudes quand on cherche une terre quasi vierge dont les récits de surfeurs ne parlent pas. C’est ainsi que s’amorce leur recherche d’un spot, avec des mots d’anglais et un dictionnaire anglais/indonésien, à questionner les pêcheurs et les locaux sur l’île de leurs rêves. Après des galères automobiles, avoir percutés une vache, avoir sillonnés quelques îles, avoir essuyés quelques déconvenues, ils s’embarquent enfin avec un pêcheur sur une pirogue, avec de la mauvaise essence qui fait inlassablement caler le moteur, tout en écopant l’esquif qui prend l’eau. Direction une île corallienne, posée à quelques mètres au-dessus des eaux, où les vagues s’écrasent sont forme de rouleaux. Le voyage est déjà une épopée homérique.
Si nos Bretons sont pleins d’énergie et débrouillards, ils ne sont pas très prévoyants, et ne semblent pas avoir une grande habitude de la vie sauvage. Ainsi ils se retrouvent sur une île déserte, sans moyen de transport, avec la promesse d’un pêcheur local qu’il reviendra les chercher un mois plus tard. Le pari me semble assez risqué.
Ils sous-estiment aussi gravement leurs besoins alimentaires en emmenant seulement 10 kg de riz. Cent grammes de riz équivalant à 350 kCal, le total représente 35 000 kCal, à se partager à trois pendant un mois. Sachant qu’un homme exerçant une activité physique soutenue a besoin de 3000 kCal par jour, ils peuvent seulement compter sur le riz pour combler 1/3 de leurs besoins énergétiques. Si l’île est bien pourvue en crabes et en noix de coco, ces ressources ne sont pas très nourrissantes. Pour survivre ils en viennent vite à passer la majeure partie de la journée à chasser des poissons dans le lagon, ainsi qu’un faire de l’eau, la filtrer, entretenir le camp, etc… La vie de chasseurs cueilleurs est épuisante.
Le climat, loin d’être paradisiaque, est très humide. Il pleut des cordes, surtout la nuit, où cachés sous des bâches suspendus au-dessus de leur hamacs, ils passent des moments difficiles. Une tempête emporte même quelques-uns de leurs effets. La météo a des conséquences sur leur capacité à faire du feu. Les pluies étant abondantes, le bois non protégé se gorge d’eau. Pour éviter de passer la matinée à allumer un feu, ils finissent par essayer de le conserver toujours allumé, comme dans La guerre du feu.
Le climat a d’autres conséquences, les blessures s’infectent, surtout dans ces conditions de vie rudimentaires. D’autant plus qu’ils surfent au-dessus des coraux, et qu’ils ont vite fait de se faire de nombreuses plaies.
Décidés à surfer un mois sur l’île, l’aventure durera moins longtemps que prévu. Ils seront ramenés à la civilisation par des pêcheurs en échange de quelques matériels. La tempête aura conduit les pêcheurs au lagon de l’île, où ils protègent leurs pirogues des vagues. Les trois Bretons seront restés sur l’île 23 jours. Ils en sortent physiquement bien affaiblis, surtout que l’un d’entre eux va déclarer le chikungunya.
C’est une belle aventure, périlleuse, avec comme il se doit des tas de souvenirs épiques à raconter. Les trois Bretons en ont fait une mini série web : Des Iles Usions. C’est un beau reportage et c’est vraiment intéressant à regarder. On passe de l’égoïsme originel au partage.
Très intéressant, merci. On a toujours beaucoup à apprendre de ces expériences « in situ », bien plus à mon sens que des kilos de théorie hors-sol que pondent les survivalistes 2.0.
Intéressant. Toutefois, quelques remarques de titilleur :
« Sachant qu’un homme exerçant une activité physique soutenue a besoin de 3000 kCal par jour »
3000 kCal est effectivement recommandé par les autorités sanitaires occidentales actuelles, mais ça ne signifie pas que ce soit une bonne recommandation.
Un homme adulte peut survivre sur du 300 kcal par jour (rations généralement données aux prisonniers de guerre inactifs), vivre légèrement affaibli et en tant que maigre sur du 900 kcal (rations généralement données aux prisonniers de guerre travaillant), et vivre en pleine possession de ses moyens sur du 1500 kcal, soit la moitié de ce qui est recommandé.
Un type qui s’engouffre 3000 kcal par jour, je n’en connais aucun. C’est tout simplement impossible, à moins d’avoir un estomac d’ogre.
« Le climat a d’autres conséquences, les blessures s’infectent, surtout dans ces conditions de vie rudimentaires. D’autant plus qu’ils surfent au-dessus des coraux, et qu’ils ont vite fait de se faire de nombreuses plaies. »
Je veux bien croire que certains aient vu leurs plaies devenir purulentes ou prendre une mauvaise couleur, surtout en cas de blessures répétitives suivies d’un contact prolongé avec le sol.
Mais la peur de l’infection à chaque coupure ou plaie en Occident moderne, avec son cortège de pansements et de merchurochrome, c’est une psychose hypocondriaque : vous avez statistiquement plus de chances d’être infecté par la piqûre d’un moustique que par une griffure, un genou erraflé, ou même un pied entaillé par un rocher marin. La raison est simple, l’air et l’eau salée sont naturellement peu propices à la vie bactérienne. Quant aux infections graves ou mortelles par voie cutanée, c’est du 1 chance sur 100 000…
Sinon, ma conclusion sur leur reportage : l’homme Blanc n’est décidément pas capable d’abandonner la nature, et d’embrasser sa création, la technologie. Toujours ce fantasme de la vie sauvage et du retour aux sources… ces jeunes Bretons sont des héritiers inconscients de Heidegger et Evola.