Légitime défense

Abattre un mec en cavale, plusieurs fois condamné pour vol avec arme et qui, lorsqu’on tente de l’interpeller en sort juste une, d’arme, voilà qui ne me choque absolument pas.

Je comprendrais d’ailleurs assez mal que cela puisse heurter quiconque s’il n’y a pas de balles perdues.

On peut imaginer les circonstances précises qu’on veut mais les faits seraient, pour le moment, ceux-ci : un homme, en cavale, réputé dangereux de part son passé judiciaire, qui s’enfuit devant la police et sort à cette occasion une arme de poing. Après, qu’il ait ou non tiré, qu’il ait ou non pointé son arme, ma foi…

A titre tout à fait personnel, si je suis policier, j’essaie de pas laisser courir bien loin ce genre d’énergumène. Et même s’il se retrouve de dos, je n’ai aucune envie qu’il tombe sur un passant ou un automobiliste à prendre en otage ou qu’il tire un peu plus loin sur un collègue qui lui ferait face.

C’est tout.

Quand on a des policiers en face de soi ou dans son dos, qu’on est connu pour des braquages et qu’on est en cavale, on ne sort pas son arme de poing. Parce que sortir son arme de poing, dans de telles conditions, c’est dire très clairement aux policiers que vous ferez tout pour leur échapper.

Tout.

Avec, sans doute, l’espoir de les intimider, de les faire prendre du recul. Quoiqu’il en soit, qu’on ait ou non vraiment l’intention de tirer, quand on dégaine, les policiers en face ne vont pas vous faire ausculter vingt ans en psychanalyse avant de décider de vous tirer dessus ou non. Dégainer, c’est déjà tirer. On prend donc tout à fait sciemment le risque de se faire tuer à partir du moment où on sort son pistolet.

Et c’est normal.

Il y a un moment où il faut prendre ses responsabilités.

D’ailleurs, rien ne dit qu’il ne les a pas prises.

Je suis même sûr que, de là où il est, il n’en veut pas au policier qui l’a tué.

De tout cela, une très large majorité de français en sont déjà convaincus. Et une bonne partie de ces mêmes français doivent certainement trouver un peu étrange que le policier qui a tiré sur cet individu soit mis en examen pour homicide volontaire.

C’est qu’ils lui paieraient plutôt un coup à boire, eux.

Maintenant, ce n’est pas une réforme d’une présomption (réfragable) de légitime défense qu’il faudrait concevoir pour résoudre cette incompréhension. Non.

C’est une réforme de la légitime défense tout court.

Il ne conviendrait normalement pas de donner plus de droit au policier qu’à n’importe qui, il conviendrait simplement que le policier, comme le français qui ne l’est pas, voient, tous deux, le champ de leur légitime défense s’étendre un peu.

On me dira que ce n’est pas trop à la mode avec une certaine affaire en cours aux Etats-Unis où un jeune homme noir s’est fait abattre par un homme servant ce soir-là de vigile de quartier.

C’est néanmoins tout à fait indispensable.

On pourrait multiplier les exemples d’affaires, ces dernières années, où des gens se sont retrouvés en procès alors qu’ils étaient très clairement et pour tout le monde, enfin, sauf pour le droit et/ou les magistrats, en état de légitime défense.

Il faut ainsi noter que la question, centrale généralement dans les affaires de légitime défense, de la proportionnalité avantage aujourd’hui de manière manifeste le délinquant et le criminel. C’est ce dernier qui fixe, souverainement, le niveau de violence de son attaque. A la victime de s’adapter. Rapidement, en bonne intelligence et avec un parfait sang-froid. Sinon…

Chacun aura bien compris la réticence à se défendre qui saisit bien des personnes qui se font voler et/ou agresser.

Certes, même si des magistrats renvoient devant les assises parce qu’ils considèrent qu’il y a disproportion, l’affaire, une fois devant le tribunal, peut trouver une certaine compréhension de la part des jurés.

Ce n’est cependant pas joué d’avance.

Néanmoins on peut avancer l’idée qu’il convient que les cas légaux de légitime défense soient fortement circonscrits pour ne pas priver le peuple français de juger de la mort d’un homme par un autre.

Cela me semble juste.

Ce que cela génère n’est toutefois pas anodin. Chacun a bien compris que se défendre vraiment face à une agression, avec la part d’impondérables et de manque de chance, peut représenter un coût terriblement élevé. Ce n’est donc pas seulement la peur, l’incompréhension et le un contre cinq qui retient bien des gens de se défendre devant une agression. Il y a également cette idée que se défendre vous met dans la merde. Et si ce n’est pas tout de suite parce que vous perdez le combat, ce sera de toute façon demain devant la justice.

Maintenant, que l’Etat veuille conserver le monopole de la violence légitime, il n’y a rien de bien étonnant de sa part.

Les français devront encore subir.

Mais que l’Etat n’accorde pas des dispositions particulières à ses forces de l’ordre dont le métier veut que, par définition, qu’elles se retrouvent régulièrement devant de tels problèmes, voilà qui peut paraître incompréhensible. On vous demande de ne pas vous défendre vous-même dans la mesure du possible et ceux qui remplissent pour vous cette fonction se retrouvent dans une mouise aussi dense que vous quand ils font leur boulot.

A ce rythme, les délinquants et criminels vont se sentir bien seuls.

Ce qui est déjà le cas quand on constate que l’ordre de ne pas tirer est devenu la règle, même au plus fort d’émeutes de banlieue où des policiers se font tirer dessus. Et qui l’est moins encore quand on sait qu’en l’état actuel du droit, ce qu’on donnerait aux policiers au titre de la légitime défense on devrait le donner à tout le monde au nom de l’égalité devant la loi.

Et ce dernier principe est, par contre, une excellente chose.

Pour en revenir à ce policier, qu’il ait été, ou non, en état de légitime défense lorsqu’il a tiré, il a de toute façon fait ce qu’il devait faire selon les informations dont on dispose aujourd’hui. Or, on ne devrait pas se retrouver au milieu d’un maelström judiciaire quand on fait son boulot correctement.

Après, il y a deux solutions pour résoudre le problème. Soit la « protection administrative » rappelée, et peut-être étendue, par François Hollande. Autrement dit, l’administration fait front devant l’inculpation d’un des siens. C’est à la fois élémentaire et, si on est un peu paranoïaque devant l’Etat, potentiellement un peu inquiétant. Soit on se dirige vers une redéfinition de la notion de légitime défense.

Mais il ne faut pas rêver.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

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