Marine entre deux tours

Au delà des interrogations sur son programme national-jacobin-républicain, on ne peut que se réjouir du bon résultat fait par Marine Le Pen. Comme toutes les évidences, celle-là va mieux en la proférant clairement.

Mais s’il y a une chose désespérante dans la droite dite « nationale » c’est sa capacité à s’auto-intoxiquer sur le mode de la congratulation. « Ça y est, cette fois bon sang de bois, on va casser la baraque. Faisons perde Sarkozy et tout va se recomposer autour de nous. » D’autant que la pensée éditorialisée y va de son antienne habituelle sur la menace que représente une percée du Front national. Combien de fois nous ont-ils fait le coup, ces vieux matois appointés qui squattent les rédactions assis sur leurs couilles taries depuis 1983 ? à peu près autant qu’il y a eu d’élections.

Essayons d’y voir plus clair, en quantifiant d’abord les choses.

Combien ?

Marine le Pen pèse donc, non 20% mais 17,9%.

Combien cela représente-t-il de voix ? 6,4 millions.

Autrement dit, Marine Le Pen retrouve un peu plus en voix que la mouvance nationale des élections de 1995, où le total Le Pen + Villiers faisait 6,1 millions de voix.

En pourcentage, c’est même moins que le total Mégret + Le Pen en 2002 (19,2%).

Où est le succès ?

Succès donc. Progrès considérable non. Pourquoi succès ?

Je vois trois raisons d’applaudir Marine Le Pen.

  1. D’abord la dédiabolisation semble fonctionner. Un bon marqueur de cela : les résultats du FN en outre-mer qui restent modestes mais en progression considérable par rapport à ceux de Jean-Marie Le Pen.
  2. Ensuite, à peu près stable en nombre comme en pourcentage, l’électorat du FN semble avoir évolué : il ne peut être que bon pour l’avenir de troquer des nostalgiques de l’Algérie française pour des jeunes qui mesurent chaque jour combien la coexistence entre Français et musulmans rêvée par les nostalgiques sur le forum d’Alger un soir de mai était une sale blague.
  3. Enfin, le principal succès est de faire le plein des voix de son camp : les dissidents sont réduits à rien, et il ne semble pas y avoir de rancœurs dans l’électorat, ce qui n’était pas gagné vu l’histoire récente du FN.

La nature du changement ?

Le Front national nouvelle mouture semble donc plutôt bien fonctionner. Jusqu’à une esquisse de changement de nom pour les législatives, qui permettrait enfin de se défaire du haine qu’on y entend depuis 30 ans. Et qui aurait aussi l’avantage de forcer les représentations graphiques à adopter le bleu marine plutôt que le noir-SS ou le brun-SA. Toutes choses qui ne sont pas si anecdotiques qu’on croit.

Les limites de ce changement ? On les voit bien, sans savoir encore si elles sont le fait de la nouvelle direction ou du calendrier : la volonté persiste-t-elle ou non au FN de tout axer sur les élections présidentielles, sur une personne et son résultat personnel ?

Car ce qui continue à manquer cruellement ce sont les mairies, les collectivités locales, voire les alliances de circonstance pour obtenir des fiefs locaux, ces endroits où un parti se replie pour repartir en avant quand il lui arrive un mauvais coup. Ces bases aussi qui permettent à tous les partis de faire suivre l’intendance en confondant quelques emplois administratifs avec des emplois partisans, en ayant des imprimeurs amis bien disposés, etc. Qui permettent aussi l’accès plus large aux financements politiques publics, véritable verrou du système partisan français.

Un pari risqué

Beaucoup mettent pour cela un espoir démesuré dans les législatives. Mais on ne gagne pas une circonscription législative en arrivant premier au premier tour, qui plus est au premier tour d’une autre élection… Il ne faut pas se faire d’illusions : s’il pourra y avoir des triangulaires gagnées, le mode de scrutin majoritaire uninominal à deux tours fera en grande partie son effet habituel, empêchant et de loin le FN d’avoir autant de députés que son poids électoral lui permettrait d’en avoir dans un système proportionnel ou dans un scrutin à l’anglaise.

Ces mêmes optimistes éternels ne nient pas la difficulté. Ils promettent qu’elle disparaîtra par magie, la défaite de Sarkozy devant recomposer la droite autour du FN. Il y a à cela trois difficultés principales je crois :

  1. D’abord l’UMP a bien vu le péril. Même si Juppé a été publiquement un peu tancé par Sarkozy, que le maire de Bordeaux (et repris de justice, condamné pour prise illégale d’intérêt) monte au créneau pour resserrer les rangs veut dire quelque chose pour qui se souvient de ses méthodes et fonctions réelles au sein du RPR de la grande époque : en clair, Juppé vient de dire que le premier qui fera mine d’avoir un demi-regard pour le FN perdra son étiquette UMP, tout soutien du parti, et que tout sera fait pour le faire battre, y compris faire voter pour la gauche dans sa circonscription. Si quelqu’un sait tenir ses troupes à la schlague, c’est Juppé.
  2. Ensuite c’est reproduire presque à l’identique le calcul de Chirac contre Gicard en 1981. On sait ce que cela nous a valu sous les gouvernements socialistes.
  3. Enfin ce n’est pas vrai, la vie politique ne se recomposera pas autour d’un parti qui n’a pour élus que quelques députés européens et une poignée de conseillers régionaux. Là aussi il lui faudrait une force réelle, positive, des villes, des communautés de communes, un poids réel dans les agglomérations, et la capacité à peser sur des majorités régionales ou départementales. Sans cela, espérer une telle recomposition et imaginer qu’elle serait autre chose qu’un nombre anecdotique de ralliements personnels équivaut à attendre un miracle.

Après la dédiabolisation la normalisation ?

Le FN sera autre chose qu’un parti qui fait un coup dont on se félicite tous les 5 ans quand il aura conquis des bases locales, en partie par lui-même en partie en faisant des alliances régionales, chose que Jean-Marie Le Pen a toujours sans doute désiré, mais a semblé aussi regarder avec une certaine défiance, sans doute par peur de voir des barons bien assis le contester jusque dans le parti — il faut dire à sa décharge qu’il avait raison de se méfier, l’histoire du FN l’a prouvé.

La suite nous dira si c’est un malheureux calendrier qui a contraint Marine Le Pen a aborder les choses dans le pire ordre possible, présidentielles d’abord, ou si elle a une volonté claire de transformer le FN pour le mieux en allant au bout du processus, en en faisant une vraie machine de guerre politique et plus ce que certains ont appelé « une PME familiale ». L’existence d’une vraie campagne entre elle et Gollnish semblait aller dans ce sens, nos lecteurs attentifs se souviendront sans doute qu’on l’avait saluée ici.

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À propos Nicolas

« Fabrice les entendait qui disaient que le diable était sur la toit, et qu'il faillait essayer de le tuer d'un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait était d'une grande impiété, d'autres disaient que si l'on tirait un coup de fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tous en prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cette belle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible en marchant sur le toit et qu'il faisait beaucoup plus de bruit. Le fait est qu'au moment où, pendu à sa corde, il passa devant les fenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause de l'avance du toit, elles étaient hérissées de baïonnettes. Quelques-uns ont prétendu que Fabrice, toujours fou,  eut l'idée de jouer le rôle du diable, et qu'il jeta à ces soldats une poignée de sequins. Ce qui est sûr, c'est qu'il avait semé des sequins sur le plancher de sa chambre, et qu'il en sema aussi sur la plate-forme dans son trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner la chance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à le poursuivre. »

12 réflexions sur « Marine entre deux tours »

  1. Iago

    La leçon à tirer, celle que beaucoup de spécialistes en spécialités osent à peine formuler : MLP possède une véritable stratégie et cette stratégie (contrairement à celle de son père) est relativement efficiente.

    Après, que son programme économique soit digne d’un roi nègre, franchement, c’est sans importance ; personne ne l’écoute sinon pour l’essentiel de son programme dont les aspects secondaires servent à atténuer l’impact auprès des petites natures.

  2. Gil

    Une question conne, Nicolas, si vous le permettez : vous ne trouvez pas décevant que la droite nationale ne fasse pas plus globalement qu’en 1995 ? On en est au début de la réforme consciente (si réforme consciente il y a) de MLP, OK. Mais tout de même, depuis 90 ou 95, la situation s’est aggravée. Pourquoi pas de progression alors ?

    Sinon une très bonne analyse, en particulier sur le manque de logistique du FN à travers la France.

    1. Aquinus

      Il peut y avoir une double raison très simple à cela:

      1/ le poids toujours croissant de l’électorat immigré et en particulier musulman. Allez vous ballader sur les résultats de vote dans vois coins colonisés et regardez, c’est sidérant. Nous avons déjà dans ce pays un vote ethnique et religieux qui ne fera que se renforcer. Nous sommes d’ailleurs peut-être déjà arrivé au point de bascule où il va devenir impossible à un parti conservateur de gagner une élection nationale. la gauche et Terra Nova l’ont bien compris, avec l’accélération de l’immigration et le droit de vote local, ils tentent d’enterrer définitvement les choses. Ne restera alors que le combat local, façon ligue du Nord, qui est sûrement le plus important. Dans la population descouhe Gil, on eut très probablement dire que le vote nationaliste augmente de façon constante et régulière.

      2/ les vieux, nos vieux, ont déjà commencé à changer. Le 3e âge commencent à mordre sur les baby-boomers qui sont des 68ards, et en plus économiquement avec la crise, ils seraient les grands perdants d’une sortie de l’euro, d’une dévaluation et surtout, de leur spectre absolu, l’inflation. Le score du FN chez les 65+ est bas, très bas, et je ne suis pas sûr qu’il en était ainsi il y a 20 ans.

    2. Nicolas Auteur de l’article

      Je ne sais pas à quoi l’attribuer, mais l’électorat français, si on veut bien oublier les variations ump-ps, est remarquablement stable depuis une petite vingtaine d’années. L’UMPS est à 55-60 %, l’extrême gauche est autour de 13%. (Je dois ces chiffres à quelqu’un qui se reconnaîtra.)

      Notez que cela n’exclut pas des mouvements importants à l’intérieur des blocs : les immigrés votent aujourd’hui massivement PS, les fonctionnaires moins qu’avant, etc.

    3. Gil

      Aquinus, Nicolas : merci, ce sont de bonnes pistes.

      Allez vous ballader sur les résultats de vote dans vois coins colonisés et regardez, c’est sidérant. Nous avons déjà dans ce pays un vote ethnique et religieux qui ne fera que se renforcer…….Dans la population descouhe Gil, on eut très probablement dire que le vote nationaliste augmente de façon constante et régulière.

      Oui, mais ce qui est sidérant aussi, c’est que le vote ethnique progresse bien plus vite que le vote identitaire, qui cependant semble augmenter de pair avec le nombre d’immigrés et donc avec le « vote ethnique ». (je veux dire : plus il y a d’immigrés, plus il y a de vote ethnique PS; mais aussi plus il y a de vote FN quand il reste suffisemment de FDS)

      C’est en tout cas clair dans certains coins (Champagne, Lorraine, dont je connais un peu la situation : certaine ville de 35.000 hab. infestée de CPF donne FH gagnant à 26 et un bon score pour MLP, toutes les communes environnantes -dans un rayon assez large- font triompher MLP, parfois à 40%), mais pas pour d’autres (Lyon : MLP à 9-10 !!).

      Votre 1/ est évidemment l’explication, puisque c’est ce qui se passe sur l’ensemble de la France. Mais ça ne reste pas d’être parfois mystérieux.

      1. Gil

        En même temps, certes, les FDS sont longs à prendre conscience, passés à l’essoreuse prop qu’ils sont depuis au moins 50 ans. Alors que les CPF sont pour ainsi dire immédiatement conscients, dès qu’ils sont assez nombreux; ils savent pour qui voter. Ça peut expliquer le décalage dans la rapidité de progression entre vote ethnique CPF/vote identitaire FDS.

  3. Aquinus

    L’UMP n’implosera pas, la base électorale est bien plus solide et homogène que celle du FN ou même du PS. La seule stratégie possible pour le FN est de leur mettre une telle pression électorale, une telle pression médiatique, dialectique, qu’ils seront forcés de sortir d’apostasier l’emprise dogmatique de la gauche. La clé de voûte qui nous maintient en esclavage, c’est FN=nazi. Ce verrou est en train de sauter, il sautera définitivement lorsque la moitié des gens cravatés et sérieux de l’UMP diront à la télé à 20h qu’ils n’ont aucun problème avec le Rassemblement Bleu Marine, que les valeurs sont les mêmes, qu’il existe des divergences sur des question notamment économiques, mais qu’il faut faire front commun contre la gauche et la destruction de ce pays. Ce jour-là, tout aura sauté.

    Les législatives vont être un grand moment, malheureusement c’est une électio très compliquée. Marine je pense a le talent et surtout l’exposition médiatique nécessaire, après cette belle perf, pour peser, peser et peser jusqu’à Juin, pour remettre le couvercle encore et encore.

    Il faut commencer à titiller l’UMP, à relever chaque déclaration de mépris et à la fustiger en place publique, à tenter de diaboliser les diaboliseurs et à les désigner comme responsables de la victoire de gauche. 65% des électeurs UMP veulent une alliance avec le FN, le rejet viscéral de la gauche est tel qu’en la jouant finement, très finement, le coup est possible, la société est prête, c’est jouable. Pour faire quoi? résister plus efficacement à l’invasion, localement, et établir une solide contre-lobby face à l’Etat Socialiste, qui va être plus puissant et féroce que jamais.

    1. XP

      « à tenter de diaboliser les diaboliseurs  »

      Il semble que ça frémit… La Jouhanno, pour avoir dit qu’elle préfrerait un PS à un FN, subit une petite diabolisation. Pas encore bien méchant, la diabolisation, mais quand-même…

  4. Aquinus

    Un petit rayon de soleil enfin.

    Ma femme, discussion avec des collègues femmes genre classe moyenne dans une petite ville de province du sud-ouest, échantillon de 7 personnes, la trentaine, presque toutes mères de famille. Jamais de discussions politiques, sauf aujourd’hui me rapporte mon épouse.

    Première surprise: dans ces terres rad-soc, ces femmes à €1500/m votent TOUTES pour Sarko. 2e surprise: elles n’ont parlé que du FN. Pour dire leur gêne, mais quand ensuite la discussion part sur les sujets « sensibles », unanimité pour dire que Marine a raison sur toute la ligne. Le tabou du vote n’a pas sauté, c’est le plus puissant celui-là, mais le tabou des idées a sauté depuis très longtemps.

    La cerise c’est quand plusieurs rapportent que leurs enfants ados (!!!!) leur ont demandé de voter Marine, parce que rapportent les mères, même dans des petits bleds qui il y a encore 20 ans n’avait jamais vu un arabe, aujourd’hui ces mêmes jeunes se font emmerder, insulter, racketter par les maigres bandes de racailles locales, et qu’ils en ont déjà marre. On peut raisonablement penser que cette génération sera complètement imperméable à la propaganstaffel qui nous avait affectés nous 20 ans plus tôt.

    All this made my day.

    1. Aquinus

      L’autre aspect que j’ai oublié, c’est que ces familles n’envisagent même plus de revoter un jour à gauche, malgré une tradition familiale (selon elles) rad-soc. Ces millions de familles sont à jamais perdu, leurs enfants encore plus que les parents, pour la gauche.

      Terra Nova a raison sur toute la ligne. Hollande pour faire tous les salamaleks du monde, ces gens ne l’écoutent même pas, les yeux rivés sur leur feuille d’impôt d’un côté, et le petit hlm de racailles par la fenêtre qui pourrit leur vie et dont ils entretiennent les frais eux-mêmes par les impôts. Dans ces petites communes, avec la proximité géographique, y’a pas besoin de faire 36 discours et dessins, d’instinct ces gens-là comprennent très bien ce qu’il se passe, de la feuille d’impôt à la famille tchétchène qui vient de débarquer, le lien est DIRECT.

      1. Nicolas Auteur de l’article

        Je dirais même qu’un jour pas fait comme un autre c’est le PS qui risque d’imploser. Il faut entendre certains sénateurs rad-soc du sud-ouest en privé, qui n’hésitent plus à dire que « Si ça continue, ils vont nous bouffer… — Qui ? — Mais les bougnouleuhs ! [avé l’assent] » le jour où le PS ne serait plus assez performant pour leur garantir leur élection, je ne donnerais pas cher de la rue de Solférino devant une levée de Georges Frêche en nombre.

        1. Aquinus

          L’électorat PS est le plus hétérogène qui soit, entre grand nantis parisiens, bobos, immigrés noir africains et les musulmans. Le jour où le PS n’aura vraiment plus de tombereaux de sous à verser aux seconds, leurs supplétifs ne seront pas content. A mon avis tout basculera quand des partis islamistes genre filiale d’Ennhada, apparaîtront notamment aux élections locales.

          Quand aux élus locaux que vous évoquez, j’en connais notamment en Ariège. Tout est PS,e le PS y a tous les pouvoirs. Je connais au moins 2 villes de taille importante, pas un seul arabe dans les logements sociaux. « Comment est-ce possible? » demandé-je à ma connaissance locale; parce que les élus PS locaux font tout, toutes les magouilles possibles (et des magouilles dans le coin, y’en a) pour ne surtout pas en avoir une seule famille, « sinon, disent-ils, le filon commence et ça n’en finit plus, il en arrive toujours plus ».

          On parle des baronnies UMP et de la pression que va leur mettre le FN pour leurs jobs et leu prébendes. Mais qu’est-ce que ce sera quand les baronnies locales du PS? infiniment plus vérolées et fermement tenues, devront faire place à la diversité, aux supplétifs, aux barbus, aux verts et aux cocos?? ah on va rigoler… si Frêche avait vécu 10 ans de plus, ce gros salopard aurait fini au FN c’est certain.

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