Fumer tue

En attendant que le sommeil revienne, j’ai parcouru le journal du soir acheté en me promenant : quelques articles commençaient encore par : « Nous, japonais, nous ne savons pas faire ceci… nous ferions bien de nous inspirer de… il faut corriger ce défaut national », etc., mais on sentait que le cœur n’y était plus et que le temps des peccavi était passé ; plusieurs faits divers sur des évadés revenus de Russie, sur tous ces gens qui vivaient encore d’aubaines, d’astuces, d’escroqueries ingénieuses sous des identités et dans des emplois qui n’étaient pas les leurs. Mais ces aléas, ces imprévus, ces existences picaresques donnaient de l’air aux idées et créaient un climat ouvert et vivant. On avait l’impression que pas mal d’impostures anciennes avaient volé en éclats avec la défaite et n’avaient pas encore repris racine. Les annonces d’écoliers japonais en quête d’échanges de timbres ou de pen friends remplissaient une page entière. La récolte de riz 1955 avait battu tous les records. La vie était encore difficile, mais le « miracle économique » commençait à payer des dividendes et le Japon se reprenait à croire à sa chance.

J’allai examiner les paquets de cigarettes soigneusement alignés sous le bar ; ils s’appelaient Peace, Love, Sincérité, Perle, Vie nouvelle. C’était peut-être un bon moment pour débarquer ici.

Nicolas Bouvier, Chronique japonaise, XIV, « Passepartout ».

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À propos Nicolas

« Fabrice les entendait qui disaient que le diable était sur la toit, et qu'il faillait essayer de le tuer d'un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait était d'une grande impiété, d'autres disaient que si l'on tirait un coup de fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tous en prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cette belle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible en marchant sur le toit et qu'il faisait beaucoup plus de bruit. Le fait est qu'au moment où, pendu à sa corde, il passa devant les fenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause de l'avance du toit, elles étaient hérissées de baïonnettes. Quelques-uns ont prétendu que Fabrice, toujours fou,  eut l'idée de jouer le rôle du diable, et qu'il jeta à ces soldats une poignée de sequins. Ce qui est sûr, c'est qu'il avait semé des sequins sur le plancher de sa chambre, et qu'il en sema aussi sur la plate-forme dans son trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner la chance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à le poursuivre. »

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