Plus raffinés en rien que de la gueule

Cyril, Norbert et Jean : rétrospectivement, il semble qu’ils ont toujours été les stars de cette saison de Top Chef. Et pour cause : les trois finalistes de l’émission culinaire représentent chacun à leur manière la société française.

(…)

Ce sont des vrais personnages de Balzac, ces trois-là. La Comédie humaine aux fourneaux avec la ville, la campagne, les ambitieux, les héritiers, les malins et les artistes. Mais ce qui est rigolo, c’est que cette différence de classe, je ne sais pas vous, mais moi, je ne l’ai pas vu dans les assiettes. Quand on voit ces trois enfants de France cuisiner, c’est comme s’ils avaient laissé leur classe sociale au manteau. C’est tout technique : amour du produit, précision des cuissons et des assaisonnements. On s’est beaucoup demandé, ces dernières années, pourquoi la France était si entichée de cuisine. La façon dont elle réunit ces horizons si distincts me paraît déjà une raison suffisante.

atlantico

-Ici on est raffiné de la gueule n’est ce pas…raffiné de la gueule ça…les français ils sont plus raffinés en rien que de la gueule…ça, ça de ce côté là, promis

– C’est le propre des vieilles civilisations d’ailleurs

-La gueule oui

– (inaudible).. la France … et les chinois en réalité ?

– Oui…mais mais mais ils sont bouddha oui… la gueule… ils ont un triple cul un triple bide puis ils ont inventé l’auto… magnifique pour promener les bouddhas…si Bouddha avait eu l’auto-oh-oh rendez compte qu’est-ce qu’il aurait fait ? alors, vous avez Krou-kroutchev il a un gros cul n’est-ce pas il parle tout..heuu héé..raconter des histoires tout..hééé..mais..il se tient il se tient mal n’est ce pas..gaudrioles de commis voyageur..s’trouve très fort n’est-ce pas… qui ferait rougir que les (?)..stupide n’est ce pas..BAH CA MARCHE ! AAAH MOI JE SUIS..haaan..l’autre gros cul d’en face.. qui répond à l’autre gros cul..c’est très vul-GAIRE ..n’est-ce pas..tout finira par la canaille disait Nietzsche…. nous y sommes..n’est-ce pas..n’est-ce pas..évidemment..la canaille..n’est-ce pas..la canaille..

Céline-Interview radio avec Jean Guénot et Jacques D’Arribehaude (6 fevrier 1960)

Comment voir autre chose que la concrétisation définitive du tous artistes dans cette explosion de popularité des émissions de concours culinaires, où l’on voit des brochettes de crétins et crétines couper des oignons comme des internés de Saint-Anne dans un montage stroboscopique frappé d’une hystérique musique de film d’action, sous l’égide de néo-profs-jury de certif’ sévères-mais-justes, mélange de régression d’Epinal et de saturation digne d’un blockbuster, convergeant en une attaque directe et en règle du système nerveux ? Depuis des années, on prépare la recette. La cuisine érigée comme art, tout d’abord. Arnaque absolue et parfaite, parce que d’essence inattaquable : qui n’aime pas bien manger ? S’ensuit les cuisiniers artistes et médiatisés comme tels (et entrepreneurs avisés : le restaurant est désormais le seul type d’entreprise dont la réussite est saluée sans la moindre retenue). Les critiques officiels (tel ou tel ridicule guide). Les marchands-consommateurs éclairés (riches touristes, cadres en repas d’affaire). Oh ? Et mais ? Mais tout le monde sait faire à manger ? Arranger les nouilles ? Inviter à dîner ? Dauber le dessert de son hôte ? Femmes en tête ? Hommes au foyer en renfort ? Partage des tâches sublimé ? Épices de tous les horizons au superU du coin ? Enseigne du métissage (la cuisine est l’argument imparable et incontournable des métissolâtres) . Tourisme en kit. Bingo !…Menu pour les masses cuites à point… d’où l’accumulation fébrile et automatique de critiques de tel ou tel plat, sans la moindre gêne..trop cuit pas assez salé..j’aurais mis du safran me dit ma voisine..tous artistes..tous critiques..tous ensembles..critique obligatoire, seul domaine résiduel où la critique n’est pas seulement permise mais exigée. Il faut admettre qu’ils ont réussi avec la cuisine là où ils ont échoué avec l’Art. Ou plutôt : parce que leur projet était foncièrement impossible avec l’art, déjà épuisé, ne pouvant conduire qu’à son achèvement dans le musée, cela s’est naturellement transposé dans la tambouille. Réconciliation de cantine de luxe : qui n’admire ces appétissants plats ? Qui ne se réjouit de ces attentions à faire pâlir les tables d’Ancien Régime ? Qui ne s’émeut de ces jeunes et dynamiques chefs ? Qui se risquerait à dire que la finesse, la passion, le travail acharné, l’amour du risque, l’enthousiasme, le respect de la hiérarchie méritoire, l’esprit critique et la gloire même n’existent autant là que parce qu’on les a fait disparaître- parce qu’on les a interdits- partout ailleurs ? Ces émissions ne sont en rien les métaphores de je ne sais quelles épopées néo-balzaciennes, elles sont leur ridicule épitaphe, la mise en spectacle transcendée du quotidien aseptisé (névrose obsessionnelle du traçage de la nourriture, campagne d’hygiénisme, conseils d’alimentation – l’alcool et les vins sont d’ailleurs les grands absents de ces émissions, si ce n’est le gras, en tout cas l’idée de la quantité). Il y a de la pornographie là-dedans, et tout comme la pornographie (et ses éventuels censeurs) cache la réalité de la mort du sexe, ces mises en scène camouflent la coexistence logique de la junk-food-kébab généralisée, des régimes amaigrissants, du prix sidérant de la qualité et de la peur délirante de maladies diverses. Masturbation de l’estomac. Et ces attendus thèmes : menus végétariens, menus pour enfants. Et la célébration du terroir et des bons produits bien de chez nous : ils sont où les gauchistes ? On les entend pas et ce n’est pas un hasard, on ne touche pas au gigot ici. On peut vous piétiner la gueule dans le réel, du moment qu’on ne touche pas au gigot. Le gigot c’est  l’enterrement de la hache de guerre. Réconciliation par la bâffre. Sport collectif. Et puis l’élimination programmée et progressive des candidats, alors que le moindre licenciement est présenté comme un crime contre l’humanité partout ailleurs. Et puis tout et puis rien.

15 réflexions sur « Plus raffinés en rien que de la gueule »

  1. Lounès

    Les trois quarts des « chefs » sont des salauds extrêmement violents habillés avec de grotesques toques, sabots et tablier noué serré qui fait ressortir leur gros cul et qui se comportent comme des terroristes face à leurs apprentis sous-payés: « mais NAN après la croustade on avait dit t’envoies une aiguillette de poulet avec poëlée de légumes MERDE c’est quoi ça? Elle est ou ta poëlée? Pourquoi ton aiguillette elle cache ta poëlée (il répète « poëlée » comme ça). Moi j’ai vécu ça, les engueulades de cuisine avec des chefs-gros-porcs très énervés qui crient bien rauques bien graves sur des petits gavroches désolés, le tout dans une ambiance de fumée et de couteaux accrochés aux murs. Voilà ce que c’est ces « chefs » adulés par les magazines, à qui on cire bien les pompes. Eh bien quand tu les as vu s’exciter comme des coqs châtrés sur plus faibles qu’eux tu les vois autrement.

    La haine de Céline pour la bouffe… Dans cette même interview il dit que l’avenir appartiendra à « une race d’ascète » capable de supporter « une cure effroyable pour la purger de toutes ses pulsions pour la tripaille » parce que c’est lorsque les gens sont rassasiés et contentés qu’ils se mettent à faire des saloperies. Le sens commun ferait croire plutôt au contraire; que les révolutions et les massacres arrivent quand on manque de nourriture. En fait c’est faux. Toute personne qui a déjà cessé de bouffer complètement pendant seulement 48 heures se rend bien compte que la faim anhile tout désir violent (tout désir tout court).

    « J’aurais mis du safran me dis ma voisine » mais oui c’est exactement ça. Chacun se la joue artiste, maître de la palette des saveurs, détenteurs des secrets de l’harmonie (de la bouffe), « chef d’orchestre » qui a un meilleur que l’autre sur l’art du goût. On pense que c’est très français mais en réalité tout le monde anglo-saxon est complètement infesté de cette industrie du « fine dining ».

    Dans ces émissions on vous montre en effet des connes qui coupent des oignons pour le salut de l’humanité, oubliant combien c’est triste quelque part la bouffe, bouffer, être bien rempli, aller se balader rassasié… Ce sentiment de dégoût quand on sort du macdo un dimanche à 15 heures, macdo pour lequel on était surexcité d’appétit en y entrant juste avant pourtant. Regardez ce con avec sa recette http://www.dailymotion.com/video/x8ywmy_poulet-yassa_lifestyle?search_algo=1 regardez comme c’est triste à chier et ridicule, la « fête du goût », le « plaisir des papilles ». La putain de voix de schtroumpf qu’il a ce type qui est cadre dans une banque d’enculés. Le plus drôle c’est quand il respire très fort en tapotant sur bocal de paprika.
    « et je mets… mes morceaux d’pFoulet… »

    1. Il Sorpasso Auteur de l’article

      Je connais quelqu’un qui a fait une école hotelière : tous les restaurateurs qu’il a eu pendant ses stages étaient des pourritures infâmes, des anecdotes à frémir sur le niveau de sadisme (et libidineux en prime)…

      Il y a un texte de Muray sur l’adultère où il ridiculise en passant ces hommes modernes qui se démènent à la cuisine et qui sont systématiquement cocus..A l’inverse, on peut juger la qualité d’une femme à ses qualités humbles de cuisinière. La plupart préfèrent faire les pires cochonneries plutôt que préparer avec constance et enthousiasme d’honnêtes repas.

    2. kobus van cleef

      ceci dit, l’arpète , sous payé, humilié, rudoyé, peut se réveiller et planter son chef , seul maître à bord après djieu , d’un coup de surin , le surin accroché au mur ou collé dans le bloc avec les autres ( et qu’il est forcé d’astiquer tous les jours)

      un peu comme le torro de corrida qui se prend le mors aux dents et encorne furieusement le connard de toréador (encore un néologisme, il n’y a que des torreros et des matadors)

      il fut un temps où je n’ai regardé la corrida à la télé ( ces nuits interminables d’astreinte avec canal plus pour tout potage )que pour cet instant
      toujours déçu , je doit reconnaître

    3. Fascisme Fun

      Commentaire énorme de Lounès.

      Il est aussi tendance (chez les médias et les politiques) de glorifier les petits patrons d’entreprise « engagés dans une voie sacrificielle » VERSUS les vilains gestionnaires du capitalisme apatride à la Bettencourt.

      Or je crois que les pires enculés sur lesquels je suis tombé dans ma vie, c’était justement ces fameux petits patrons qui gagnent 4000 euros par mois en se roulant les pouces et en gueulant sur leurs employés (pas moins méprisables et branleurs cela dit).

      Le genre de petite frappe iréniste qui essaye de gratter tout ce qu’il peut sur ta fiche salaire, exigeant toujours plus de ses employés modèles mais bizarrement tolérant avec les parasites revendicateurs de son entreprise. C’est un trait intéressant de la psychologie des Mâles Alpha (et dont le patron est la figure économique) : il méprise bien souvent les larbins dociles qu’il emploie (et dans lequel il ne peut pas s’identifier, puisque lui a accédé au stade suprême de Garde Chiourme rémunéré) et ne respecte que les individus aussi brutaux et fiers que lui (c’est à dire très souvent des employés fainéants et voleurs mais dôtés d’une grande gueule).

      J’ai vu de mes propres yeux l’un de mes patrons (ordure émotionnel très typique) broder des tapis de salamalek à des employés cossards et magouilleurs qu’il allait finalement virer dans 6 mois…tandis que les humbles petits bosseurs de la boîte étaient constamment brocardés sur des détails et utilisés comme bêtes de somme orwéliennes (quand je repense à eux, je pense au cheval Malabar).

      Bref la Force ne respecte que la Force.

  2. Panda Bourré

    Le pire étant que la restauration ne nourrit pas son homme : les marges restent dégueulasses, d’où la quantité de chefs qui se prostituent dans ce genre d’émission, ou à signer des surgelés ou des livres pour ménagères.
    Et d’où aussi leur comportement souvent infâme en cuisine : quand la rémunération ne suit pas, on se console comme on peut….

    1. Il Sorpasso Auteur de l’article

      Oh que non, les restaurateurs vivent très bien, et ce n’est pas la tva à 5.5 qui les a rendus généreux. Les employés, oui par contre, sont incroyablement mal payés. Cette corporation y est pour beaucoup dans l’afflux de clandos.

        1. XP

          Je confirme. J’ai vu passer quelques bilans, et j’ai vérifié que plus vous faites dans le garsronomique, et plus vous réduisez vos marges.
          Sans compter que plus vous facturez cher, et plus vous avez de cartes bleues, c’est à dire moins de liquide.

  3. j.ax

    Le candidat Jean a dit que personne ne comprenait son choix de carrière quand il a commencé la cuisine il y a dix ans mais que maintenant c’était devenu très cool. Je ne me rendais pas compte, je ne vais presque plus jamais en France. Ca m’a rappelé le dernier Houellebecq et sa vision terrifiante de la France de demain où il ne reste plus que la bouffe et le tourisme.

    La gastronomie en ce qui me concerne ça va une fois, deux fois par an. Mais un grand souvenir, un de mes rares souvenirs de table inoubliable, est le Fleur de Sel à New York, qui sait si ça existe encore. Le chef français était un type super au talent hors normes, mais vu son état d’épuisement, on se disait, tout ça pour les plaisirs de la bouche, à quoi bon.

    Les commentaires sur la restauration comme dernier bastion de l’entreprise paraissent hélas très justes. Sur ce sujet, ce blog d’un Français sur son expérience en Amérique
    http://besancon-philadelphia.blogspot.com/

  4. VonMises

    Effectivement la gastronomie ne paie pas , il vaut mieux tenir une franchise de pizzéria si on veut faire de la marge.
    Sinin très bon post , effectivement dans la presse de gôche le nationalisme n’est que culinaire , il suffit de lire un exemplaire de Marianne pour s’en convaincre.

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