» Parler d’un livre, c’est toujours l’impuissance… »
» Je suis un styliste, si je peux dire, un maniaque du style, c’est-à-dire que je m’amuse à faire des petites choses. On demande énormément à un homme, or il ne peut pas beaucoup. La grosse illusion du monde moderne, c’est de demander à l’homme d’être à chaque fois un Lavoisier ou un Pasteur, de tout faire basculer d’un coup. Il ne peut pas ! »
» L’histoire, mon Dieu, elle est très accessoire. C’est le style qui est intéressant. Les peintres se sont débarassés du sujet, une cruche, ou un pot, ou une pomme, ou n’importe quoi, c’est la façon de le rendre qui compte. La vie a voulu que je me place dans des circonstances, dans des situations délicates. Alors j’ai tenté de les rendre de la façon la plus amusante possible, j’ai dû me faire mémorialiste, pour ne pas embêter si possible le lecteur. Et ceci dans un ton que j’ai cru différent des autres, puisque je ne peux pas faire tout à fait comme les autres. »
» Dans le Voyage, je fais encore certains sacrifices à la littérature, la « bonne littérature ». On trouve encore de la phrase bien filée… A mon sens, au point de vue technique, c’est un peu attardé. »Interview avec Madeleine Chapsal, L’Express, 1957.
» Je représente quelque chose, moi, le génie français, gloire littéraire, patrimoine spirituel de la France et le reste… invention, j’ai inventé un style, ça vaut bien cent mille par mois… et je pourrais me passer de Gallimard, prendre ma retraite… j’ai tout de même soixante-trois ans. Je la mérite bien la rente, la rente et le prix Nobel… L’invention du style émotif parlé, comme le chas de l’aiguille, je l’ai dit, ça vaut le Nobel, je veux… Surtout quand on voit ceux qui l’ont eu, qui le méritaient pas, qui avaient rien inventé : Gidouille la crotte… Mauriac qui pète de fric… Hemingway et son vieux naturalisme éculé chromo… »
Interview avec Jean Callandreau, Artaban, 1957.
» Il est difficile de changer de style, c’est même impossible. Les peintres paraît-il changent de style, mais enfin… les écrivains aussi… moi je ne crois pas que ça me soit arrivé. L’affaire du style, si j’ose dire, m’intéresse plus spécialement, parce que je suis un styliste. J’ai cette faiblesse, et je crois que c’est une faiblesse peu répandue, mais il faut dire que c’est ce qu’il y a de plus difficile, le style. Envoyer des messages ou des pensées profondes, je n’ai qu’à ouvrir un ouvrage spécialisé, j’en ai plein, je n’ai qu’à regarder dans la médecine, j’en ai plein, je vais facilement briller, étinceler, n’est-ce pas… Non. Je suis un coloriste de certains faits. Je me suis trouvé en des circonstances où par hasard la matière à décrire était intéressante. Proust s’occupait des gens du monde, je me suis occupé des gens qui venaient à ma vue et à mon observation. J’ai décrit des petites histoires, avec un style qui, paraît-il, est le mien. »
» Pour dire la vérité, 400 pages imprimées font 80000 pages à la main. Le lecteur n’est pas forcé de le savoir. Il ne doit même pas le savoir. C’est l’affaire de l’auteur à effacer le travail. Vous mettez le lecteur dans un paquebot. Tout doit être délicieux. Ce qui se passe dans les soutes, ça ne le regarde pas. Il doit jouir des payasages, de la mer, du cocktail, de la valse, de la fraîcheur des vents. Tout ce qui est mécanique, ou servitude, ou service, ne le regarde pas du tout. »Interview avec Louis-Albert Zbinden, Radio-Lausanne, 1957.
» C’est dégoûtant d’écrire sur soi-même, moi, moi, moi ; et se faire sympathique ce serait plus dégoûtant encore, il vaut mieux se présenter au public sous un jour ignoble. Il faut que le caractère soit plus vrai que lui-même. »
Interview avec Olga Obry, Le Phare-Dimanche, 1957.
» Dans les Ecritures, il est écrit : « Au commencement était le Verbe. » Non ! Au commencement était l’émotion. Le Verbe est venu ensuite pour remplacer l’émotion, comme le trot remplace le galop, alors que la loi naturelle du cheval est le galop ; on lui fait avoir le trot. On a sorti l’homme de la poésie émotive pour le faire entrer dans la dialectique, c’est-à-dire le bafouillage, n’est-ce pas ? »
» Si vous prenez un bâton et si vous voulez le faire paraître droit dans l’eau, vous allez le courber d’abord, parce que la réfraction fait que si je mets ma canne dans l’eau, elle a l’air d’être cassée. Il faut la casser avant de la plonger dans l’eau. C’est un vrai travail. C’est le travail du styliste. »
» Souvent les gens viennent me voir et me disent : « Vous avez l’air d’écrire facilement. » Mais non ! Je n’écris pas facilement ! Qu’avec beaucoup de peine ! Et ça m’assomme d’écrire, en plus. Il faut que ça soit fait très très finement, très délicatement. Ça fait du 80000 pages pour arriver à faire 800 pages de manuscrit, où le travail est effacé. On ne le voit pas. Le lecteur n’est pas supposé voir le travail. »Louis-Ferdinand Céline vous parle, 1957.
» J’ai cessé d’être écrivain, n’est-ce pas, pour devenir un chroniqueur. Alors j’ai mis ma peau sur la table, parce que, n’oubliez pas une chose, c’est que la grande inspiratrice, c’est la mort. Si vous ne mettez pas votre peau sur la table, vous n’avez rien. Il faut payer ! »
Interview avec Louis Pauwels et André Brissaud, Radio-Télévision Française, 1959.
» J’ai eu dans ma vie le même vice que Rabelais. J’ai passé moi aussi mon temps à me mettre dans des situations désespérées. Comme lui, je n’ai donc rien à attendre des autres. Comme lui, je ne regrette rien. »
Propos sur Rabelais recueillis par Le Meilleur Livre du mois, 1959.
» Le public, je l’emmerde ! J’écris par nécessité matérielle, pas pour autre chose ! Voyez-vous, le style, c’est une affaire qui ne pardonne pas ! Moi, on me hait ! »
Interview avec Jacques Izoard, Lettres, 1959.
» Les jouisseurs n’ont pas besoin d’écrire. Poser une semblable question à un écrivain ! On écrit parce qu’on est malheureux. Votre monde dévore tout le reste. Vous êtes seul. Et soutenu par le style. Les poètes n’ont pas de vie intérieure. Les écrivains sont en général des bafouilleurs. »
Réponse à une enquête de Tel Quel, « Pensez-vous avoir un don d’écrivain ? », 1960.
» – Moi j’ai fait passer le langage parlé à travers l’écrit. D’un seul coup.
– Ce passage est ce que vous appelez votre « petite musique », n’est-ce pas ?
– Je l’appelle « petite musique » parce que je suis modeste, mais c’est une transposition très dure à faire, c’est du travail. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais c’est calé. Pour faire un roman comme les miens, il faut écrire 80000 pages à la main pour en tirer 800. Les gens disent en parlant de moi : « Il a l’éloquence naturelle… il écrit comme il parle… c’est les mots de tous les jours… ils sont presque en ordre… on les reconnaît. » Seulement voilà ! c’est « transposé ». C’est juste pas le mot qu’on attendait, pas la situation qu’on attendait. C’est transposé dans le domaine de la rêverie entre le vrai et le pas vrai, et le mot ainsi employé devient en même temps plus intime et plus exact que le mot tel qu’on l’emploie habituellement. On se fait son style. Il faut bien. Le métier c’est facile, ça s’apprend. Les outils tout faits ne tiennent pas dans les bonnes mains. Le style c’est pareil. Ça sert seulement à sortir de soi ce qu’on a envie de montrer. »Interview avec Claude Sarraute, Le Monde, juin 1960.
» Tout un livre sur la manière dont une fille embrasse, les différentes façon qu’elle a d’embrasser et ce que cela signifie… est-ce que c’est écrire ? Ça n’est pas écrire, ça n’est rien, du gâchis. Je n’ai jamais mis ça dans mes livres, mes livres sont du style, rien d’autre, juste du style. C’est la seule chose qu’il faut chercher en écrivant. Qui sait combien ont essayé de copier mon style… mais ils ne peuvent pas. Ils ne peuvent pas tenir pendant quatre cents pages, essayer, ils ne peuvent pas… c’est tout ce que j’ai, le style, rien d’autre. Il n’y a pas de messages dans mes livres, c’est l’affaire de l’Église. «
Interview avec Robert Stromberg, Evergreen Review, été 1960.» Le truc, c’est que moi je fais le boulot pour les lecteurs, vous comprenez… En somme, le bonhomme, quand il lit un livre, il est forcé de faire un effort de représentation. Moi, je le fais pour lui, l’effort. Je lui raconte. Je fais passer le langage écrit à travers le langage parlé. Il se produit alors un peu ce qui s’est produit pour les impressionnistes. Avant on ne voyait jamais, par exemple, la fleur, l’écrevisse ou la jolie femme sur l’herbe. On montrait un magnifique bouquet de fleurs, des scènes de chasse, de naufrage, mais tout ça en jour d’atelier. Alors il fallait faire un effort, pas un effort gros, mais tout de même un petit effort pour sentir la bataille ou sentir le naufrage. Tandis qu’avec les impressionnistes, là, avec Manet, Monet et la suite, là on les a vues sur l’herbe les écrevisses et les jolies femmes avec Le Déjeuner sur l’herbe et le Bonheur à Bougival. »
Propos recueillis par Léon Darcyl, Paris-Match, 1960.
» – Est-ce que dans vos romans l’amour tient une grande place ?
– Aucune. Il ne doit pas en tenir. Il faut avoir de la pudeur quand on est romancier : article 2 ! »Interview avec André Parinaud, Arts, 1960.
» Pourquoi j’écris ? Je vais vous le dire : pour rendre les autres illisibles… »
Interview avec Pierre Audinet, Les nouvelles littéraires, 1960.
» Écrire ?… Qu’est-ce que ça veut dire ?… ça m’horripile !… C’est bien écrit… il écrit bien, elle écrit bien… Regardez comme c’est filé, comme c’est charmant !… Je ne peux pas supporter ça… Ils font des phrases, c’est facile… La création, la vraie, ça demande une grosse concentration intellectuelle, anormale, pas naturelle… J’en parle en médecin… C’est presque un suicide… «
Interview avec Claude Bonnefoy, Arts, 1961.
» C’est un peu comme l’architecture… Il faut bâtir une maison, la porte, les fenêtres, les marches, les escaliers… Puis vous entrez dans la maison et vous tâtez… Là, le plancher gondole, là vous n’êtes pas à l’aise… Vous redressez à petits coups, puis vous ressortez… Et ça, ce travail qui fait que votre maison ce n’est pas tout à fait ça, c’est un petit peu autre chose, c’est le style… Mais il n’y en a pas un sur un millier, un sur un million, c’est très dur, styliste… »
Interview avec Stéphane Jourat, La Meuse, 1961.
Merci à F.
Aussi la meilleure réponse me semble-t-il à certains commentaires lus sur Cioran.
Tout à fait.
A propos du Voyage au bout de la nuit, Céline disait aussi que c’était encore « à 80 % du Paul Bourget », comprenez de la littérature de pompier plutôt que de la littérature impressionniste, avec une charpente encore trop balzacienne, trop de place accordée aux descripions et au scenario, pas assez de passerelles entre le réel et le délire, l’irénisme, trop d’indices laissés pour les mauvais lecteurs… Encore trop français, quoi, de la France d’après la défaite de Rabelais et la victoire de l’académie.
C’est insupportable de voir les GVD feindre d’admirer Céline en retenant exclusivement ce qu’il y avait de moins Célinien dans son oeuvre, c’est à dire sommes toutes en avouant qu’ils préfèrent Zola.
« Ah Céline, c’est le Voyage, et puis après plus rien! »
Va mourir à l’hôpital, connard.
En règle générale, ceux qui disent « Céline, c’est le Voyage, puis après c’est rien », pour eux, c’est pas une question de style ou de petite musique, d’académisme ou de contre-académisme, ce qui leur cause vraiment des vapeurs de malaise et d’effroi, c’est tout ce qui est en rapport avec la « synagogue » (affection aussi commune chez les « atlantistes » que chez les bisounours standards, « diplômés » ou non).
Et parmi ceux qui lui reconnaissent quand même cette « petite musique », mais qui restent coincés du cul sur ladite crèmerie, reste le dégagement en corner façon grands débats bien hype, « ah que moi je suis pas un gros lourd », portant uniquement sur la forme de l’expression. Toujours la peur de ce qui tâche, mais là pas seulement sur la forme (la construction classique, forcément pour les « diplômés » amateurs de grosses sauces), mais aussi sur le fond (qu’on élude en restant strictement sur le style).
Il explique bien. C’est pour ça que losqu’on est un tant soit peu honnête,
après un mec de ce calibre on ne peut plus écrire. Manque de pot, il y en
a qui persistent.
Qu’il y est trop de gens qui persistent à écrire, c’est une chose… Mais le plus embêtant, ce tous ceux qui persistent à lire…
http://youtu.be/0ODe81qhSl8
Ce que j’aime chez Céline, au-delà, et du style, et du fond (sa vista géopolitique, quasiment divinatoire : qui pourrait nier que notre réalité est désormais pleinement célinienne, peut-être même déjà au-delà de ce qu’il imaginait), c’est sa qualité d’émotion, simple et directe, devant les petits êtres sans tralala, qui ne posent pas :
+++++++++++++++++
… mais elle a souffert pour mourir… je voulais pas du tout la piquer… lui faire même un petit peu de morphine… elle aurait eu peur de la seringue… je lui avait jamais fait peur… je l’ai eue, au plus mal, bien quinze jours… oh, elle se plaignait pas, mais je voyais… elle avait plus de force… elle couchait à côté de mon lit… un moment, le matin, elle a voulu aller dehors… je voulais l’allonger sur la paille… juste après l’aube… elle voulait pas comme je l’allongeais… elle a pas voulu… elle voulait être un autre endroit… du côté le plus froid de la maison et sur les cailloux… elle s’est allongée joliment… elle a commencé à râler… c’était la fin… on me l’avait dit, je le croyais pas… mais c’était vrai, elle était dans le sens du souvenir, d’où elle était venue, du Nord, du Danemark, le museau au nord, tourné nord… la chienne bien fidèle d’une façon, fidèle au bois où elle fuguait, Korsör, là-haut…
+++++++++++++++++
Oui, absolument superbe, ce passage. De la création littéraire, pas des Belles Lettres.
Au meilleur de sa forme, Céline n’écrivait plus, il donnait des coups de pinceau. Cet extrait comme bien d’autres le démontrent, c’est de la peinture ça. C’est donc absurde de prétendre qu’on aime lire Céline lorsqu’il n’est pas antisémite, c’est hors-sujet. On ne peut pas être en désaccord avec un tableau.
Petit aparté, je regardais cet après-midi une vidéo-sketch de Soral où ce dernier fustigeait les « racialistes de Desouche » (pas assez hype)devant une belle photo…. de Louis-Ferdinand !
Qui écrivait pourtant :
« La seule, la vraie révolution,c’est le facteur nègre qui saute la bonne…dans quelques générations,la France sera métissée complètement,et nos mots ne voudront plus rien dire…que ça plaise ou pas,l’homme blanc est mort à Stalingrad. »
Et tout soudain, en me remémorant un passage de Bagatelles, j’ai compris pourquoi le père Soral passait toujours (même si plus rarement) à la tévé :
+++++++++++++++++++++++
Souvenons-nous qu’il était possible, toléré sous Blum d’être ceci ou cela, mais pas tout à la fois et en même temps. Tout le morceau ! On vous tolérait en somme d’avoir l’air de… mais toujours avec une petite réserve, un recours, un caleçon – à votre choix.
Si vous étiez antisémite alors s’il vous plait en même temps antiraciste ! à la bonne heure ! Le coup nul !… Si vous étiez rapprochiste, alors, je vous prie, en même temps pro-anglais ! Bravo ! Antiguerre, soit si vous voulez ! mais conférencier en loge ! La compensation ! Toujours un petit crochet au cul pour respecter la morale, les convenances, le bon ton, la Patrie, et en définitif le juif !… Sauver l’essentiel !… Toutes les rigolades du caméléon !
+++++++++++++++++++++++
ça, c’est le côté « utile » de Céline, y vise quasiment toujours juste, pile sur la brèche, le truc qui fait honte.
citations très intéressantes, je remarque que ses canons esthétiques sont avec des mots différents à peu près les mêmes que ceux posés par Proust de façon tout aussi implacable (indifférence du sujet, transmutation par le récit, le seul vrai lecteur est un autre ou un futur écrivain…). Je suis incapable d’apprécier Céline, mais respect éternel pour le sort qu’il fait à la manie française des Belles-Lettres.
Nouratin dit… malheureusement, il y en a qui essayent encore. D’accord, mais si les écrivains français voulaient encore se donner le mal de raconter des histoires… ces messieurs et dames se prennent au sérieux mais sont incapables de mener un récit de bout en bout. L’auteur de SF Dan Simmons distingue deux grandes voies, celle de R. L. Stevenson et celle de Henry James – or si peu de gens sont faits pour écrire, à l’échelle d’un siècle les James, les Proust, les Céline se comptent sur les doigts d’une main. Or en France cette « première voie » est tenue pour à peu près rien. Ce qui est drôle c’est qu’il n’y a pas un auteur français actuel qui arrive à la cheville de John Le Carré, Stephen King ou Dan Simmons pour ne citer que des auteurs soi-disant mineurs.
Stephen King dit très justement:
« I have little patience with writers who don’t take the job seriously, and none at all with those who see the art of story-fiction as essentially worn out. It’s not worn out, and it’s not a literary game. It’s one of the vital ways in which we try to make sense of our lives, and the often terrible world we see around us. It’s the way we answer the question, How can such things be? Stories suggest that sometimes-not always, but sometimes- there’s a reason. »
Oui c’est exactement ça, trop de faux Marcel Proust et pas assez de vrais Alexandre Dumas, pourrait-on dire aussi.
L’histoire? je pense que les écrivains de la deuxième voie doivent tendre à la supprimer, la réduire à rien, ou pour le moins à rien de crédible ni d’intéressant. L’histoire, il doit essayer de la gommer, de la faire passer dans la même trappe que les descriptions. Pourquoi donc? Parce que les descriptions et les histoires servent à montrer la réalité, tandis qu’un artiste doit au contraire dévoiler la vérité.
L’extrait que nous a donné UnOurs est une illustration parfaite de ça:
« elle aurait eu peur de la seringue… je lui avait jamais fait peur… »
On ne décrit surtout pas la chienne, on ne raconte rien sur elle, mais on sort de soi un sentiment authentique, non trafiqué, et au final, en quelqus lignes on a dit tout ce qui avait à dire sur cette chienne…. A partic de l’insignifiant, de l’anecdotique absolu, voire de ce qu’on ne dirait même pas en public sans passer pour un dingue (je ne lui ai jamais fais mal/Elle aurait eu peur de la seringue)… C’est le déjeuner sur l’herbe…. Qu’est-ce que tu as vu, au milieu de ses paysages magnifiques? Des gens qui déjeunaient sur l’herbe…
Maintenant, c’est vrai, comme tout le monde n’est pas Céline ou James, alors les écrivains de la première voie doivent apprendre à façonner des histoires, en artisan… De bons scénar, quoi.
A propos de la chienne de Céline, j’ai remarqué une chose:Les rapports qu’ont les gens aux animaux, c’est l’une des façons les plus sûres pour détecter les imbélices. les animaux, les imbéciles ne les détestent jamais, mais ils y sont totalement insensibles. Ils ne comprennent pas à quoi ça sert et trouvent incongrus d’y accorder une quelconque importance. Parce que nos rapports avec eux relèvent de l’indicible, presque de l’invisible, que l’affection qu’une bête peut nous porter ne se repère pas avec des mots ou des serments.
Je suis sûr et certain que Chevènement et Mélenchon n’accordent aucune importance aux chiens et aux chats.
Très juste, très vrai. (sur les animaux)
Quant aux « deux manières » et « chacun a sa place », d’accord, grosso modo, mais pourquoi :
« L’histoire ? je pense que les écrivains de la deuxième voie doivent tendre à la supprimer, la réduire à rien, ou pour le moins à rien de crédible ni d’intéressant……Parce que les descriptions et les histoires servent à montrer la réalité, tandis qu’un artiste doit au contraire dévoiler la vérité. » ?
Pourquoi dire a priori que le scénar, la construction, et même les descriptions, ne peuvent dévoiler (ou y contribuer fortement) la vérité, ne peuvent appartenir à la « 2º voie » ?
C’est d’autant plus curieux que vous citez à ce propos James, pour qui le sujet, le scénar, la construction etc étaient si importants (à tel point que l’écriture elle-même, une fois le plan du roman minutieusement monté, était pour lui une corvée).
Alors bien sûr, on pourrait dire que vous défendez un point de vue très moderne, selon lequel l’histoire doit disparaître ou être volontairement banale, pour laisser briller l’art pur (par « pur », je ne veux pas dire déconnecté de la réalité – cf. l’extrait de Céline sur sa chienne) du vrai romancier ou cinéaste, que cet art pur ne peut briller qu’à cette condition. Moins il y a d’histoire, de scénar, de description etc, plus l’art sera puissant, et vivra de et par lui-même (si on est en présence d’un grand artiste, évidemment).
Mais :
1) je ne vois pas en quoi on ne pourrait pas imaginer une littérature totalement dégagée des « belles-lettres » et cependant en grande partie « narrative »; dire que la vraie littérature actuelle (« post-belles-lettres ») doit être dégagée de la narration me semble être un a priori subjectif (je ne conteste pas, évidemment, que tel puisse être votre goût);
2) de fait, la grande littérature moderne qui reste, et dont beaucoup d’auteurs font partie de votre panthéon, sont d’immenses narrateurs : James, donc, mais aussi Nabokov, Borges, Faulkner, Dostoïevski… Kafka…
(Kafka, qui au contraire de James, ne construisait pas de plans, mais qui me semble le summum du « pur narrateur » (et même au sens le plus premier du terme : La colo pénitentiaire, Le procès etc sont des histoires géniales), de la pure jouissance narrative (je parle de mon expérience concrète) – vous me disiez quelque part que certains rabbins le tenaient pour le plus grand auteur de paraboles – qu’est-ce qu’une parabole, sinon une histoire, un texte qui prend sens parce qu’on raconte une histoire de A à Z, dans le temps ?);
3) de fait aussi, les romanciers qui ont laissé tomber la narration semblent vieillir plus vite que les grands « constructeurs » (Robbe-Grillet ?^^)
4) comment séparer nettement « l’art » de l’artiste de l’art narratif, de l’artisanat l’histoire ? l’extrait d’UnOurs est aussi de la narration à l’état pur; dans Mort à crédit, Céline me semble un grand conteur, et ce qui appartient à l’art du narrateur et le reste difficilement séparable.
(Il est d’ailleurs curieux que la discussion ait commencée à partir de la distinction que fait Simmons entre Stevenson et James… le Stevenson du Maître de Ballantrae, du Dr Jekill, ce génial narrateur, est-il inférieur à James ? Je ne crois pas (on pourrait rappeler d’aileurs l’amour que lui portaient Borges ou Nabokov, l’admiration de Borges pour les contes de Kipling etc).)
PS : je ne nie pas la distinction entre grands, vrais écrivains, et simples narrateurs, « raconteurs d’histoires », même très bons; je crois juste que la plupart des grands écrivains sont aussi de grands narrateurs; je crois en fait que leur manière narrative est souvent ou si transparente qu’on ne la voit pas, ou si complexe qu’elle semble non-narrative. En fait il faudrait définir ce qu’on entend par narration, histoire etc^^
Oui, vous avez globalement raison, ma distinction n’est pas pertinente, ou très incomplète.
« En fait il faudrait définir ce qu’on entend par narration, histoire etc »
Voilà, c’est ça! Il faut sortir de la grande histoire. Comme vous dites, la Colonie Pénitentiaire, Le procès, le Chateau… sont des histoires géniales… Mais ce sont des petites histoires insignifiantes ou abracabrantesques, des sortes de délires, qui tiennent en vingt lignes si on en fait le pitch.
Enfoiré, vous n’avez lu que la dernière phrase 😀
Ah j’aime beaucoup ce que vous dites là! J’ai lu aujourd’hui une très intéressante préface d’un roman recommandé par le Stalker, « Les fous du Roi » de Robert Penn Warren et dont j’ai commencé le premier chapitre qui s’ouvre sur la vision d’une voiture roulant à vive allure dans les plaines du Kentucky, absolument mythique! Je mettrai des passages chez moi si je peux… mais pour en revenir à votre réflexion « narration versus non-histoire », voici ce que la préface dit à propos de cet écrivain et qui peut vous donner raison à vous comme à XP !:
« Ce que j’ai dit de la qualité littéraire de l’oeuvre romanesque de Robert Penn Warren suffit à indiquer ce qui en fait la profonde unité : c’est le style. D’une richesse exceptionnelle, abondant en images et en métaphores, usant de leitmotiv et de toutes les richesses d’un immense vocabulaire, à la fois populaire et savant, le style de RPW offre toutes les caractéristiques du lyrisme. Même, chez lui, [et ce qui suit intéressera XP]le réalisme du langage ne me paraît pas tant être le fruit d’une volonté délibérée de reproduction du réel (comme chez Balzac) que le résultat d’une grande virtuosité verbale qui est l’apanage du poète.Et le romancier s’amuse à nous restituer la saveur du langage parlé (ce qui ne facilite pas la lecture de ses oeuvres, encore moins leur traduction) pour le plaisir d’une jonglerie verbale qui émerveille, grise, lasse parfois. Toute une partie de « At Heaven’sgate » réalise le tour de force d’être écrite dans une langue qui unit au patois des paysans illettrés des montagnes les images suggérées par la lecture constante de la Bible : le mélange est savoureux.RPW n’échappe pas au reproche d’un certain excès de verbalisme : la longueur inusité de ses romans y tient en partie. Chez lui (comme parfois chez Bernanos), la « poésie » (qui peut tourner au pathos) remplace souvent la psychologie. En fait, Robert Penn Warren n’est pas psychologue, mais dramaturge. Ce qui frappe, dans son oeuvre, CE N’EST PAS LA VÉRITÉ DU TRAIT, MAIS LA FORCE EXPLOSIVE DU RÉCIT, l’art de la mise en scène, la puissance dramatique.
(…)
Pour mener ses intrigues, machiner ses coups, le romancier a besoin de lentes et minutieuses préparations. Nous ne sommes pas plongés immédiatement dans l’action, emportés au galop du récit, comme dans un roman de Hemingway, lequel ne nous donne aucun renseignement sur le « background » familial et social de son héros (le héros de Hemingway est nu, presque sans identité et sans état civil). Chez Penn Warren, au contraire, les milieux sont abondamment dépeints. Le romancier remonte le cours des générations, dénombre les titres de propriétés, dresse des inventaires. C’est que la conduite de ses héros trouve une explication dans une tare de famille, une vieille rivalité, une dette oubliée. Némésis règne sur ce monde livré au ressentiment et au crime. »
Voilà, moi aussi je m’étale un peu sottement mais je voulais vous faire connaître cette réflexion, cette préface et accessoirement ce roman qui m’a l’air vraiment excellent.
» Pour mener ses intrigues, machiner ses coups, le romancier a besoin de lentes et minutieuses préparations.
Chez Penn Warren, au contraire, les milieux sont abondamment dépeints. Le romancier remonte le cours des générations, dénombre les titres de propriétés, dresse des inventaires. C’est que la conduite de ses héros trouve une explication dans une tare de famille, une vieille rivalité, une dette oubliée. Némésis règne sur ce monde livré au ressentiment et au crime. »
Du Zola , quoi …
Quoique Zola ne décrit pas tellement , tout est déjà écrit dans l’arbre généalogique , tout se devine . Le descriptif n’est qu’un dégat collatéral , du meublage , en aucun cas le coeur de l’oeuvre . Ne voir que le descriptif , c’est voir le barrage qui explose et l’eau qui coule pour oublier le pourquoi du poseur de bombe .
Merci Crevette, je lis demain là je suis naze. J’ai parcouru aussi quelques textes d’Asensio sur ce Penn Warren dont je n’avais jamais entendu parler avant et ça m’a donné envie, ouais.
Tiens au fait, en parlant de James : il me semble que vous avez consacré un post à La source sacrée. En voilà un roman qui me fascine, en voilà du « pur narratif » (et en même temps, pour parler comme XP, il ne s’y passe rigoureusement rien), l’ai lu 3 fois sans comprendre où James voulait en venir, si même il voulait en venir à quelque chose ! (il paraît qu’une critique US en a trouvé la clef, mais la préface folio qui résume cette prétendue découverte n’est vraiment pas convaincante; c’est la même critique qui fait de HJ un homo en plus 🙂 )C’est pourtant un de mes romans favoris. Allez comprendre. (et il paraît que James le tenait pour un jeu littéraire, une oeuvrette sans importamce… le con !)
Prolo, Penn Warren n’a rien de Zola, je vous assure, je vous prêterai le mien à l’occasion, vous verrez.
Gil, « La source sacrée », oui est un roman incroyable et moi aussi je ne suis pas parvenue à vraiment comprendre l’énigme,et vraiment c’est un livre qui vous en tient en haleine de bout en bout!
Putain, c’est long, hein ? Pas grave vous lirez pas^^
Pour terminer quand même par un paradoxe : vous parliez aussi quelque part du projet de Flaubert de « pur roman » sans histoires, persos etc. Il me semble que c’était votre idéal. Et ce roman, ou son approximation, ça serait Bouvard et Pécuchet. Mais sans vouloir faire de la provoc’, le sujet, l’histoire de B&P, c’est du tonnerre ! Et chaque chapitre est un petit roman, magnifiquement conté, avec une histoire, développement, chute…
le projet de Flauflau, ce livre sans histoire, pure transparence, finit par accoucher de deux persos inoubliables, devenus archétypiques même, et d’une foultitude de seconds rôles très forts, d’un vrai sujet, d’une(de) vraie(s) histoire(s). Ça a de quoi faire réfléchir^^
Vous donnez le bon exemple: Bouvard et Pécuchet. C’est une sortde d’Odyssée, je veux dire un remake de l’Odyssée…. Dans le texte d’Homère, si vous lisez bien, il ne se passe rien… Circé, tout ça, ce sont des plongées de madeleines dans le thé, des « voyages autour d’une assiette », comme disait Céline.
Bouvard et Pécuchet, si vous regardez ben, il ne leur arrive pas grand chose. Pas de quoi remplir les colonnes des fait-divers. Juste de quoi satisafaire les gens qui ont de l’imagination.
—il ne leur arrive pas grand chose—
Je crois que si, justement. A leur échelle, vraiment beaucoup de choses. Enfin, je ne vais pas encore m’étaler.
Bin oui, « A leur échelle ».
Comme Céline qui ne veut pas montrer une seringue à sa chienne. Tout à fait insignifiant, comme détail si làn ne se se place pas à l’échelle du narrateur.
Zut je dis tout le temps « vraiment ».
Et c’est vraiment pénible. On voulait t’en parler, justement.
Ah, en lisant le début du message de Jax, j’allais rappeler Stephen King, souvent méprisé, mais ça a été fait et bien fait.
C’est comme dans une troupe, faut de tout, le gros, de la troupe, des flancs-garde, une arrière-garde et des irréguliers, francs-tireurs et autres solitaires.
Quand une chose est bien faite, elle est bien faite, peu importe le style ou le registre. Faut se battre bien, à sa place.
En l’occurrence, pas mépriser d’office les raconteurs d’histoires, parce que premièrement, c’est pas facile de bien raconter une histoire et, deuxièmement, parce qu’une histoire bien racontée, ça enveloppe, ça accompagne, ça reste. Et ça, Stephen King, sait faire, poser un décor, une ambiance, y faire évoluer des personnages vivants et emmener une histoire qui captive (1).
(1) à ce propos, RTL9 diffuse mercredi 22 « Coeurs perdus en Atlantide », une très bonne adaptation de l’excellent et également sous-estimé « raconteur » Frank Darabond.
Entièrement d’accord pour Stephen King.