Cioran et les GVD

Cioran, de l’inutilité de la culture livresque.

La /conscience/ est le produit d’un dérangement du système nerveux et elle atteint son paroxysme dans la neurasthénie. L’atroce réceptivité nerveuse de l’homme le détruira après l’avoir fait. C’est pourquoi sa déchéance est beaucoup plus proche qu’on ne le croit.

Cela étant, ne nous étonnons pas que les hommes instruits soient inaccessibles à l’humour et à la sérénité. Comment être serein quand on se dit qu’un ami est marxiste, un autre spenglérien, un troisième idéaliste, et ainsi de suite ? Comment avoir la perspective de l’éternité quand, pour faire carrière, il faut apprendre toute une bibliographie, parler de mauvais livres qu’on n’a même pas lus, connaître tous les auteurs imbéciles qui ont écrit par obligation professionnelle, tous les ravaudeurs de la culture qui se sont occupés toute leur vie de l’œuvre des autres parce qu’ils n’avaient rien à dire ?

C’est dans la solitude des montagnes que j’ai éprouvé le plus d’intensité le sentiment de l’inutilité complète de la culture et en partie de la philosophie scolastique, farcie de formules abstraites et vides ; de l’inutilité de toutes les fades élaborations dénuées d’un contenu vivant, réellement ressenti.

Il faut mener une campagne d’extermination contre la culture purement livresque. Je voudrais bien voir ce que deviendraient les intellectuels qui grouillent de par le monde si l’on détruisait brusquement tous les livres. Je suis presque sûr que la plupart cesseraient de penser, car leurs prétendues idées n’ont pas été vécues, ils les ont empruntées aux livres.

Ne trouvez-vous pas intéressant que des gens sans possibilités intérieures, qui se sont évertués à acquérir une certaine culture, redeviennent les nullités d’autrefois dès qu’ils renoncent à la lecture ? Il est vrai qu’aujourd’hui les idéaux de sagesse sont inactuels et même illusoires. La vie est devenue trop douloureuse pour que nous puissions croire que nous sommes seulement des spectateurs, et non des acteurs. Nous autres, modernes, nous avons perdu le sens de l’éternité, nous sommes incapables d’avoir une vision sereine de l’existence, nous vivons le temps comme un tourbillon dramatique et démoniaque, voilà pourquoi les idéaux de sagesse sont caducs.

Les penseurs (en tant qu’authentiques représentants de la culture) ont aujourd’hui une obligation impérieuse, essentielle : devenir des penseurs existentiels, vivre concrètement l’abstraction, élaborer selon le plan de la vision et non selon une combinaison stérile de concepts sans correspondance dans la réalité.

Le jour viendra où l’on démasquera tous les pseudo-intellectuels qui croient penser parce qu’ils affichent une formule, qui se prennent pour des philosophes parce qu’ils acceptent un système étranger. L’impuissance spirituelle n’avait jamais trouvé auparavant de moyens de dissimulation plus sûrs pour draper sa nullité sous des formes empruntées.

L’absence de caractère organique de la culture contemporaine fait que l’homme ne vit plus dans des contenus mais dans des formules dont il peut changer comme il changerait de chemise.

Vous comprenez donc pourquoi il est nécessaire de se purifier sur les hauteurs.

Merci à F.

5 réflexions sur « Cioran et les GVD »

  1. UnOurs

    « Il faut mener une campagne d’extermination contre la culture purement livresque. »

    Plus qu’une diatribe anecdotique contre les individus « instruits » (1), terrible réquisitoire, par extension, contre les deux peuples « du Livre » et les diverses gnoses !

    (1) et toujours garder une certaine humilité dans ce genre de jugements de valeurs : celui qui se croit intelligent alors que les autres ne seraient qu’instruits n’est bien souvent pas plus malin que le snob qui se croit voyageur, alors que les autres ne seraient que touristes.

    1. XP Auteur de l’article

      « celui qui se croit intelligent alors que les autres ne seraient qu’instruits »

      Il ne s’agit pas d’une comparaison entre les gens intelligents et les gens instruits.

      Vous n’avez rien compris à ce texte. Pourquoi avez-vous tout de même voulu le commenter?

  2. Ludoinvillaest

    Cioran…Je me suis toujours demandé pourquoi il persistait a écrire celui la, puisque tout ceci n est que vanités et puis surtout pourquoi il persistait a vivre, quand on prône le suicide et le néant, qu il crève et vite.
    Sinon, toujours ces diatribes prétentieusement fulgurantes, c est pas de la fiction, c est pas de la philo, ces pas des réflexions, je construis pas un texte moi, j aligne les affirmations sans fondement, les aphorismes, pourvu que ca percute avec style, on se la raconte un peu, c est un peu le fulguropoint de la pensée ce Cioran.
    M étonne pas que ça plaise ici.

  3. Ni Frein Ni Temps

    Il me semble que Cioran n’a pas vide jusqu’au bout la coupe du desenchantement, qu’il n’a pas su renaitre et apprendre a voir le monde avec un regard sans haine, et nous blamons pour cela. Mais sur le probleme de la culture, il touche juste sur un point: La pensee de l’Europe culturelle, armaturee par la philosophie, n’est pas le reel, bien qu’elle le presuppose. L’Europe opere avant tout par prelevement violent, par isolement d’une problematique de la connaissance chargee de statuer sur le reel. Or cette problematique locale est la mise en oeuvre d’un travail deniant l’autorite du reel. Et Cioran qui a senti la difficulte nous rappelle a l’ordre reel.
    A l’en croire, il faut cesser de porter au premier plan la problematique de la connaissance, connaissance qui roule sur des representations et n’evite pas que l’autorite de la connaissance aboutit a absorber le reel par les connaissances. Contre cette hegemonie de la representation, la culture europeenne contemporaine se bat, notamment chez Levinas et Derrida, en la relativisant par le travail de l’Autre, ou de la Difference, qui signe l’entree en jeu du judaique qui brise la cloture de la representation.
    Mais ce travail de l’Autre provient d’un ressort culturel encore, bien que la culture ait change. La culture philosophique europeenne, certes recombinee et reamenagee, n’est pas une relevance derniere de la pensee, ou ce noyau de ree que pressent Cioran sur les hauteurs.
    Preserver cette vivante europe exige d’assumer la separation (phenomenologique) entre Europe d’occident et europe reelle, cette derniere etant la relevance derniere de celle-la.
    La culture depend univoquement du reel d’europe. Il faut partir du reel et dans le reel, cesser de representer le reel, et qui plus est en l’occurence en confondant la representation et le reel. Dans le reel la pensee est vie, ce qui renvoie a un phenomene interne de pensee vive. Le privilege philosophique de la connaissance, qui depend de la problematique de la perception, disparait si nous devisualisons (pour elargir la vision) et nous nous inserons en l’immanence du reel d’europe pour investiguer dans pensee reelle, inventive, qui aura remis a sa place la pensee seulement culturelle sous ses differents aspects.

    Il faut arreter de produire de la schizophrenie dans la culture.

    Mais il y a une chose fondamentale que Cioran ne dit pas, c’est la methode avec laquelle il peut s’elever au dessus du commun, se ressourcer, se regenerer, faire une cure d’altitude mentale. mais peut-etre est-ce precisement ce qu’il ne peut pas dire, il ne sait pas comment on fait concretement pour s’elever, comment on peut faire ce chemin sans se rater, communier avec les autres et echapper a l’enfer attise par les relations humaines. Au bout d’un moment Cioran est reste bloque au meme niveau et, epuisant ses meilleures forces dans son effort desespere pour rester habite par un esprit vivant, et a son tour incapable de creer pour se depasser, il a fait une reaction consistant a developper de l’aggressivite, et a voir le monde tout colore de cette haine de soi, laquelle annonce peut-etre l’intention du depart, mais jamais la menee a bien de la traversee.

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