Je vais vous raconter une histoire de dingue.
Jeudi dernier, à la suite d’une convocation, je devais me rendre au quinzième étage de la tour Pulsar, dans le quartier d’affaires de ma ville, pour m’entretenir avec le médiateur de la République…
Ca fait quatre ans que je suis en procès avec un voisin, un type qui me nargue nuit et jour et qui loge au dixième étage de l’immeuble qui fait face à mon pavillon … Il s’est équipé d’une caméra qu’il braque sur mes fenêtres, et quand ça s’envenime entre lui et moi, il s’amuse à me réveiller en faisant parcourir une poursuite jaune fluo devant la fenêtre de ma chambre, vers les onze heures du soir…. Si la lumière ne suffit pas à me sortir du lit, il fait jouer la Chevauchée de Walkyries une dizaine de secondes pour m’avertir que le spectacle a commencé, puis il éteint tout lorsqu’il me voit à la fenêtre, même sa lampe de chevet.
Je l’ai vu pour la première fois jeudi, ce type, mais je sais depuis longtemps que c’est un roux de cinquante-trois ans, que sa carrosserie a fait faillite quand il en avait trente-huit et que six ans plus tard, il a bénéficié d’un non-lieu, après que sa femme soit tombée par la fenêtre en faisant les vitres…. C’est alors lui qui a obtenu la garde des enfants, et ses petits rouquins devenus grands s’acharnent à me pourrir l’existence, depuis… Ils foutent leurs voitures devant mon portail, ils me bousculent à la boulangerie, chez le boucher, en scooter, quand je monte dans mon auto garée dans la rue, et c’est le dernier de douze ans, la pire de ces petites salopes, un gosse qui s’appelle Jonathan…. Lui, il m’a carrément montré sa petite bite, un jour, dans mon jardin, en me traitant de pédé… Cinq minutes après, les flics étaient chez moi, et j’ai eu un mal de chien, je vous jure, à leur expliquer que je ne connaissais pas ce merdeux…
On a fouillé, avec mon avocat, et l’on a découvert que le rouquin n’a pas une thune, qu’il vit des assurances sociales, mais aussi des mandats que lui envoie sa vieille mère de quatre-vingt-quatre ans, une femme qui vit seule dans un petit manoir de deux cent mètres carrés habitables, dans le Finistère…. Dans la foulée, on a su que la vieille a pris les gosses pendant les vacances d’été, une fois, mais qu’elle a vite renoncé, après qu’ils aient tapé dans son portefeuille, tenté d’abuser des fillettes de leurs âges aux alentours et menacé leur grand-mère d’une mort violente, par strangulation ou bien encore à coups de baffes, dans sa cave… Ce que l’enquête nous a surtout appris, c’est que grand mère, elle n’en a plus pour longtemps, et que c’est le moment idoine pour trainer l’autre fou au tribunal, en demandant deux cent mille euros qu’on est à peu près sûr d’obtenir, soit presque la totalité de ce qu’il attend de sa vieille mère, ce paresseux congénital, ce débile léger.
Quand je suis passé à l’offensive, ce con n’avait même pas de quoi se payer un avocat… il a dû se contenter d’un commis d’office sénégalais, puisque la vieille n’a absolument rien compris à ses histoires de voisinage et qu’elle n’a pas voulu donner un rond…. On l’a plié, le maniaque, on a même obtenu que la maison de la vieille soit à nous, après sa mort, et l’été dernier, je suis même allé sur place, en me faisant passer pour un type qui ramone les cheminées, pour visiter ma future propriété de fond en comble.
Donc, jeudi, devant l’ascenseur du Pulsar, je suis tombé nez à nez sur le rouquin… Tout ce qu’avait obtenu pour lui le Sénégalais, c’est que le médiateur de la République tente une première et dernière médiation, il savait que c’était sa dernière chance, et il l’a tenté, le bougre… Il s’est approché de moi en me tendant la main, en déclinant son identité, ses deux ainés l’entouraient, Jonathan se tenait affectueusement sous son bras, Maître Jean-Hervé N’Golo était planté derrière eux droit comme un pic, comme s’il s’apprêtait à défendre l’honneur de dix millions de victimes de la traite atlantique dans une plaidoirie imaginaire, et pour l’occasion, ils avaient tous passé des cravates… Même le petit, mais sauf le noir, qui avait enfilé sa robe, pour l’occasion, carrément.
Je les ai sommé de me laisser passer, en expliquant très vite que j’avais un rendez-vous important au dixième étage, que les règles les plus élémentaires du sens commun interdisent que l’on s’engage dans la moindre conversation de fond avec des inconnus, à fortiori s’ils ont des touches de consanguins de la Belgique francophone ou du nord de la France, j’ai ironiquement conseillé à cette cour des miracles de s’adresser à mon secrétariat, plutôt que de me faire chier devant les ascenseurs, j’ai dit calmement que j’allais appeler la police et que je connais du monde, ce à quoi ils ont répondu qu’il ne sert à rien de s’énerver…
Le rouquin, il m’a expliqué qu’il ne comprenait pas pourquoi je m’en prenais à une famille de pauvres gens, il m’a balancé au visage des phrases compliquées, pleines de mots dont il avait découvert le sens il y a moins de quarante-huit heures, puis il a fait une crise cardiaque et s’est écroulé…
Le sénégalais lui a ouvert sa chemise, a langoureusement caressé son torse rouge et velu avant de lui faire un bouche à bouche torride, tandis que les garçons lui gueulaient Mettez pas la langue, m’sieur, vous avez mis la langue! On va vous niquer, M’sieur!
J’ai eu le temps de prendre en photo le grand noir allongé sur le rouquin, les jambes écartées, en train de lui serrer la mâchoire avec sa main et s’apprêtant à lui rouler une pelle, ça pourra servir à mettre les rieurs de mon côté, si elle s’envenime, cette affaire… Au bout de dix minutes, il y avait cinquante personnes dans le hall d’entrée, ça débordait même sur la place Raymond Barre, et j’ai préféré partir discrètement…
Il parait que le rouquin est encore vivant, mais que c’est un légume, désormais… Elle n’est pas encore à moi, la petite maison de vacances dans la Finistère, bordel de merde… Quatre kilomètres de marche pour aller jusqu’au port, le matin à la fraîche, une barque motorisée qui m’attend, trois heures passés à deux milles marins de la côte avec l’ œuvre complète de Flannery O’Connor, retour au port puis au manoir, une sieste, encore une promenade avec un chien, pour arriver tranquillement sur la fin de la journée, devant la télévision, en jouant avec mes pieds, avec des cacahuètes dans la main, et sans rien entendre qui ne parvienne du dehors à part le chant des oiseaux et les bourrasques de pluie sur mes vitres …
Il faut qu’il tienne, ce connard, j’ai besoin de lui.
Il faut se méfier des roux, la Crevette en sait quelque chose…
C’est vrai ça! Moi je me suis pas méfiée, et maintenant je passe mes vacances en Bretagne avec une horde sauvage. Quelle vie!^^
Très joli texte, très drôle(« Maître Jean-Hervé N’Golo était planté derrière eux droit comme un pic, comme s’il s’apprêtait à défendre l’honneur de dix millions de victimes de la traite atlantique dans une plaidoirie imaginaire ») le passage avec le petit Jonathan qui montre son affaire au narrateur en manquant de le faire passer pour un affreux pédophile me fait penser à la lecture des Wilt, de Tom Sharpe où des quadruplettes géniales font les pires bêtises.
Il y a roux et roux.
C’est pareil que pour les mots, ils n’ont pas de sens, il y a l’esprit et il y a la lettre.
Toujours se garder du sens littéral des choses et des mots.
Huuuuum,
Je trouve scandaleux qu’on fustige, stigmatise et montre du doigt encore une fois la communauté des Roux finistériens.
Vous faites des amalgames douteux qui sont absolument nauséabonds…
je tombe ici par hasard, superbe, j’adore ce style… j’en rigole encore.
Merci
Baz
Merci à vous!
C’est important, de faire rigoler les gens, je ne demande pas mieux.
» baz on La Mer »
On dit Batz-Sur-Mer , l’éditeur de com’s s’est planté .