Voilà un mois, mon agent Maxim Lieber m’a refusé une nouvelle sous prétexte qu’elle était ironiquement pro-catholique. Je n’ai vraiment pas eu conscience du moindre préjugé en écrivant cette histoire. Tout cela m’est venu aisément et naturellement. Le style en est bon. Lieber me l’a dit. Il a même ajouté que c’était une excellente nouvelle et qu’il réussirait sans aucun doute à la vendre. Je suis encore fou de rage à l’idée qu’un agent, un simple agent, un foutu marxiste, un putain de corniaud de marxiste, rejette une nouvelle parce qu’elle ne correspond pas à ses caprices du moment. C’est la troisième fois que cela m’arrive. Je suis sûr que vous ne m’auriez pas fait une chose pareille; je me rappelle beaucoup de textes que vous avez publiés qui n’étaient pas en harmonie avec vos principes.
Une nouvelle est nouvelle; si elle est bonne, elle doit être imprimée. Mais sous prétexte qu’une nouvelle a un thème catholique, il n’y a pas de raison pour qu’un putain d’agent à la con-censé s’occuper de textes littéraires et non de propagande- la refuse. J’en ai ma claque de ce bonhomme; mieux, je vais lui faire la peau à la première occasion. Qu’est-ce que j’en ai à foutre du communisme? Ils peuvent bien me coller le dos au mur et me fusiller; ce n’est pas pour ça que j’adhérerai au marxisme de pacotille d’une coterie imbécile de diplômés d’Harvard qui -parce qu’ils n’ont rien dans les tripes- gobent et défendent des principes auxquels ils pigent que dalle.
Aujourd’hui, n’importe quel marginal, pédé ou lesbienne est communiste. Ils me rendent malade! Et ils devront d’abord me passer sur le corps avant de m’empêcher de publier. Ils sont dix fois pires que Babbitt. Ils « sympathisent » avec les masses. C’est un mensonge. Ils utilisent les masses pour vendre leurs canards, mais leur sympathie relève de l’hypocrisie pure et simple. Regardez Dreiser et Anderson. Ces types ne sont pas sincèrement communistes. Ils sont communistes parce que le communisme paie dans ce pays.
Personnellement, je n’ai aucune sympathie pour les masses. Les masses existeront toujours. Elles sont composées d’imbéciles. Elles sont indispensables à la société. Si vous voulez mon opinion, je hais les masses. J’ai vécu avec elles, j’ai respiré leur haleine fétide, côtoyé leur esprit abruti. La culture ne les concerne pas. En fait, rien ne les concerne. Elles sont condamnées. Qu’elles crèvent donc. Mon boulot dans l’existence, c’est de me sauver. C’est là une rude affaire. Je ne compte pas me salir les mains en essayant de sauver les masses.
john Fante
(Fante/Mencken-Correspondance)
Merci à la Crevette.
Je ne sais pas pourquoi, mais je pressentais vaguement que Maxim Lieber n’était pas furieusement pro-catholique :
http://en.wikipedia.org/wiki/Maxim_Lieber
« Ils utilisent les masses pour vendre leurs canards, mais leur sympathie relève de l’hypocrisie pure et simple. »
Voilà pourquoi le libéralisme sociétal et le libéralisme économique marchent si souvent de concert.
« Voilà pourquoi le libéralisme sociétal et le libéralisme économique marchent si souvent de concert. »
Sauf si on se rend compte que 99% des acheteurs de ces canards sont directement ou indirectement des pensionnés de l’Etat.
Avoir de la haine pour les masses c’est déjà leur accorder une importance.
Donc se placer dans un rapport où automatiquement la question du mérite va devenir cruciale pour celui qui éprouve de la haine pour les masses: les masses méritent-elles seulement ma haine?
Comme les masses sont indignes et bonnes à rien, la réponse s’impose d’elle-même: elles ne la méritent même pas.
Mais si elles ne la méritent pas, qu’elle est mon mérite à moi, qui n’a pas pu publier?
Et c’est là que le locuteur est renvoyé à sa propre médiocrité, lui qui se voyait au-dessus des masses, au début de son raisonnement.
La clé du truc, c’est qu’il ne faut jamais penser en fonction des masses. Si les masses peuvent faire l’objet d’un calcul cynique (s’emparer de leur vote, de leur épargne, de leur liberté par exemple), elles ne doivent jamais devenir l’enjeu d’un calcul idéaliste (les convertir à une thèse, les évangéliser, les convaincre, les cultiver, les éduquer, etc).
Les masses ne peuvent que générer de la frustration, donc il faut prendre le problème autrement.
Là, dans cet exemple, le locuteur est immature et prétentieux: personne ne lui a demandé de sauver les masses, mais en même temps il s’en montre incapable. Au final, il passe pour un faible, un frustré et un type haineux. Un looser intégral.
Et le fait que son truc soit catho ou pas, on s’en fout. Le catho se vend très bien, c’est même ce qui se vend le mieux. C’est qu’une excuse assez pitoyable finalement et qui n’est que le prétexte à une digression sur les pédés et les communistes qui le soulage, mais qui renforce dans l’idée que ce type est un frustré prêt à imputer aux autres la responsabilité de ses échecs dès que ça devient un peu difficile.
Mais là où ce type devient génial, c’est qu’il parvient à mettre en scène sa médiocrité et en faire un spectacle attrayant non pas parce ce qu’il dit, mais par les codes qu’il utilise. Il scénarise sa bassesse.
Se poser en victime du communisme, dans la société qui était la sienne, fallait oser et fallait le réussir. C’est un peu comme si BHL se prétendait victime de la censure du gouvernement actuel.
Un beau numéro de victime, quoi.
Quand on voit que ce mec a été scénariste à Hollywood en plein maccarthysme, on comprend. Il a pas été broyé par le système quoi. Il a même été primé. oui, ce même type qui nous fait son numéro de petite chose fragile brimée par la cruauté de ce monde peuplé d’homos et de cocos était en fait mainstream.
Un Rimbaud de supermarché, catégorie je-sais-faire-pleurer-mes-yeux-quand-je-veux.
Une connerie par phrase. Carton plein.
Oui. Je me réalise pleinement dans le dépassement de soi et j’ai vu que vous n’êtes pas mal non plus dans ce domaine.
Vous rigolez! Vous pouvez avoir tout le talent- le génie même, si ça peut
faire plaisir- si vous haïssez les masses, vous êtes foutu. Faut les aimer,
les masses, les chérir, les adorer, bordel! Regardez un peu les mecs qui
publient et qui vendent. Tout à gauche, la barre à babord et gardez bien
le cap.
Après, bien sûr, c’est vous qui voyez. On peut aussi être reconnu longtemps
après sa mort, ça s’est vu.
Non il faut les mépriser mais avoir l’hypocrisie pour mimer l’adoration.
C’est une des possibilités.
C’est la plus facile, mais elle c’est assez exténuant.
Si comme moi vous êtes une grosse feignasse, je vous conseille de penser le concept en termes de satisfaction.
Les masses génèrent de la frustration. Le Christ lui-même, sur sa croix, n’a t-il pas reproché à son père de l’avoir abandonné? Incompris de ses contemporain (première frustration) le voilà cloué sur une paire de bois (deuxième frustration), et réduit à appeler son petit papa pour lui demander des explications. Mais silence radio (troisième frustration).
Donc, c’est pas bon comme relation aux masses.
Poser autrement le problème, c’est le poser en termes de satisfaction: comment les masses peuvent-elles me satisfaire?
Réponse: en leur apportant une satisfaction. C’est à dire devenir hollywoodien (120 mn de divertissement). Comme Fante, quoi.
« Le carnet de chants du PS : Affligeant, effrayant et ridicule » (Colonne de droite/actualités)
Ben en fait, y a quand même des choses assez intéressantes dans ce carnet de chants:
-« L’État comprime et la loi triche,/L’impôt saigne le malheureux »
-« Ouvriers, Paysans, nous sommes/ Le grand parti des travailleurs; /La terre n’appartient qu’aux hommes,/L’oisif ira loger ailleurs. »
(L’Internationale).
Alors je masse les haies.
Ne pas haïr les masses, de haut, c’est possible quand elles ne s’imposent pas à vous, ne vous envahissent pas le quotidien et vous compressent de leur poid. A Lens une gamine vient juste de se donner un coup de fusil dans la face parce que la loi l’obligeait à subir cette lourdeur 8 heures par jour. La haine de la masse, si elle est sincère n’est qu’un mouvement d’autodéfense. Comme dans le film « Les chiens de pailles » avec Dustin Hoffman.
Le peuple n’est pas nécessairement vulgaire. Pas même dans une démocratie. Par contre, les classes supérieures d’une démocratie le sont nécessairement, parce que si ses membres ne l’étaient pas, ils ne se seraient pas élevés dans une démocratie.
Nicolás Gómez Dávila
Ouep, parfois la méritocratie fonctionne d’une drôle de façon: c’est l’aveugle qui devient roi au royaume des borgnes.
Trouvé dans la correspondance de HS Thompson (propos de Mencken) :
« »Pour ceux qui seront naturellement intelligent il y aura moyen d’acquérir un certain bon sens pratique, mais même cela n’est pas courant. L’homme d’Eglise moyen est une sorte d’eunuque intellectuel, comparable à un pédagogue, un Rotarien, ou un éditorialiste. »
La fiche Wiki de ce HL Mencken est des plus réjouissantes. Tout est lié.