Plus ou moins 12 accouchements avant 2012

Pour remonter les audiences d’Ilys, Il Sorpasso a décidé de frapper un grand coup à Noël et de faire dans le tabloïd d’élite en publiant tout et n’importe quoi : JMM et ses filles nues, par exemple! Sollicitée par Il Sorpasso pour un « mes douze machins trucs » je suis tombée dans des abîmes d’angoisse et d’interrogations et j’ai décidé –Noël= naissance dans une crèche =bonheur=esprit de la Nativité respecté !-  de vous livrer l’histoire de mes neufs accouchements, je me suis dit que ça vaudrait bien douze gerbes de la part de lecteurs. Ou bien douze paragraphes. Et que cela complèterait quelques virils articles à la sauce survivaliste. Quoi de plus « survival » qu’un poupon au milieu des ruines après tout??  Vous allez voir que ces histoires d’accouchement frisent très souvent la survie la plus basique et l’improvisation la plus totale. C’est un des moments dans la vie d’une femme et d’un homme où toute maîtrise nous échappe et c’est intéressant de se confronter dans sa vie à ces risques « ultimes ». Il y a des façons plus classes de le faire, certes, mais une Miss Potts n’est pas classieuse, simplement pondeuse. Quoi qu’il en soit, je pense que vous aurez l’amabilité de comprendre que s’il faut attendre que j’accouche VRAIMENT douze fois, hé bien ça risque de ne pas arriver. Oui, je sais : vous êtes déçus-déçus-déçus. L’Occident passera à cause de ces chrétiens qui veulent pas faire de mouflets, heureusement certains vous ont expliqué  que tout passe, même le Chrétien. Et que c’est pas trop grave a priori.  C’est fou, je sais. Allez vomir.

La naissance de mon aîné a été charmante et gracieuse en tout points ; depuis la nuit où nous nous sommes réveillés mon mari et moi dans une mare de flotte, en passant par le moment où, pliée en deux par « les douleurs de l’enfantement », j’observais passablement ahurie mon mari en train de faire son nœud de cravate. –« Mais tu fais quoi ?-Ben je me fais beau pardi! Tu voudrais quand même pas que le bébé ait une mauvaise image de son paternel dès le départ !! » Abasourdie par la logique imparable du raisonnement, je me traînais en bas des 7 étages sans ascenseur du studio parisien dans lequel nous logions, et m’affalais dans notre 4L. Qui ne voulut pas démarrer. Pendant un temps très long. Finalement tout rentra dans l’ordre et nous arrivâmes dans une clinique privée très huppée et, au bout de la nuit qui n’en finissait pas, mon mari sortit son saucisson dans la salle d’accouchement et se mit à dévorer benoîtement ses rondelles pendant que j’agonisais. « L’image paternelle » avait-il dit ?

Ici, je me permettrais une petite incise, un peu plus grave, mais les récits de Noël se doivent d’alterner la bonne humeur et une forme d’émotion plus profonde : c’est le moment de cette alternative. Ceux d’entre vous qui souhaitent continuer dans le bien lourd sauteront sans complexe ce passage, bien évidemment.

Deux jours  après la naissance du fiston, j’étais avec mon père dans ma chambre et le bébé avait été emmené pour des examens médicaux de routine. Soudain, une infirmière-religieuse (clinique privée tenue par des sœurs) arrive et me dit brutalement : « l’enfant a de la fièvre, il nous faut le transférer dans tel hôpital, mieux équipé pour les soins aux nourrissons ». La foudre m’est tombée dessus à ces paroles, la foudre et la Mort parce que j’ai vraiment cru un instant (et mon père aussi) que l’enfant était au plus mal. Je me suis tournée vers mon père, sans lui dire un mot (je ne pouvais pas parler) mais avec un regard qui a du être des plus explicites car ce dernier s’est immédiatement tourné vers l’infirmière en lui disant d’une voix décidée : « Ma sœur, il y a ici un verre d’eau, s’il faut baptiser l’enfant, nous le ferons immédiatement ». Il vous faut comprendre, chers lecteurs,  que mon Néerlandais de père avait envoyé aux orties à l’âge de 18 ans sa foi catholique et qu’il ne pratiquait plus. C’était un sujet tabou à la maison .D’où l’émotion qui m’étreint encore aujourd’hui en écrivant ces lignes et qui provient de l’incroyable compréhension qui s’est opéré en deux secondes chrono,  en un regard, le mien, qui voulait dire mais sans oser (baptiser l’enfant signifiait qu’il était mourant et je ne pouvais pas l’admettre et donc  l’exprimer) et celui de mon père qui a tout compris de mon désir immédiat et qui a fait fi de ses doutes et refus personnels. L’infirmière a réagi alors en expliquant que le bébé n’était pas à l’article de la mort, que le baptême urgent n’était donc pas utile et mon père a emmené lui-même dans sa voiture  son premier petit-fils se faire soigner dans un hôpital voisin. Je n’ai jamais oublié cet instant, l’émotion est toujours aussi vive et puissante. Le souffle de la mort et le souffle de Dieu s’étaient croisés au-dessus de nos têtes, tout simplement.

Reprenons cette chronique d’un genre particulier…

Pour mon E., c’est l’image maternelle qui en prit un coup. J’avais terminé un dîner avec quelques amis, j’avais rangé ma cuisine, mis en route mon lave-vaisselle lorsqu’il me fallut partir ; toujours avec la fameuse 4L… Nous sommes tombés un soir de pleine lune, au milieu d’une demi-douzaine de parturientes (le mot peut faire vomir, chers lecteurs, ne vous gênez pas) et nous dûmes témoigner de l’urgence de mon accouchement en prouvant que ma pauvre petite fille s’étranglait avec son cordon. Oui, il faut se battre parfois pour accéder à une salle d’accouchement ! Tous les coups sont permis ! Trop tard évidemment pour une quelconque péridurale, mes nerfs lâchaient et je traitai la sage femme débordée de  « pétasse ». Mon mari, choqué et toujours très gentleman, même au milieu de l’apocalypse (lecteurs d’élite, retenez cette leçon : on ne perd pas ses bonnes manières même en plein  Chaos), me reprit immédiatement avec un solennel  et définitif: « Mais enfin voyons ! Tais-toi donc et accouche ! » J’obéis, mortifiée et honteuse. Une ravissante crevette naissait alors, minuscule, et la sage femme, perfide, me glissait : « vu son poids ridicule, vous l’avez certainement laissé mourir de faim pendant neuf mois  à cause d’un problème de cordon atrophié ! » je crois que je ne me suis jamais remise de cette réflexion abominable et les quantités astronomiques de nourriture que je prépare tout le temps trouvent leur origine en ce soir de septembre.

ML : aucun souvenir d’accouchement (lecteurs, profitez-en pour vous rafraichir  et boire un verre d’eau)…  Elle était parfaite mais gloutonne  et prenait tellement de lait qu’une sage femme décidait dès le deuxième jour de la mettre à la diète en la privant du sein maternel pendant trois-quatre heures. Epuisée par les hurlements de ma dévoreuse, j’obtenais un billet de sortie du médecin pour aller cuver ma déprime dans le bar d’en face de la clinique. Tout ceci en short et t-shirt des plus élégants (lecteurs, autre leçon du survivaliste d’élite : une accouchée se doit de retrouver sa ligne de jeune fille dès la maternité et éviter les cheveux gras, la paupière lourde, le teint blafard et les peignoirs en tissu éponge).  Il faut dire que je partageais ma chambre avec une espèce de gauchiste mariée à un vieillard divorcé et déjà père. Ce dernier avait accepté de faire un mouflet à sa jeune épouse mais ne voulait guère en entendre parler et ne rendait pas visite à sa pauvre femme qui découvrait, seule, les affres… heu les joies d’une maternité. L’ambiance était glauque et entre deux tétées, je témoignais de mon expérience auprès de la pauvre fille esseulée prête à se flinguer et à vendre le petit au plus offrant.

F. : joie des accouchements en province ! Lors d’une dernière visite médicale, dans son cabinet, le médecin me poussait à intégrer directement la maternité en ville (30km de chez moi) parce que le cordon, là encore, s’invitait un peu trop autour du cou de mon bébé. Je repris comme une grande la BX rouge pétante (avec aileron arrière pour faire plus beauf ou sport à votre convenance) avec ML  sous le bras (trop petite à l’époque pour aller à l’école comme les deux aînés). Sur le lit d’accouchement, ML, assise quasiment sur mon ventre, grignotait des biscuits en attendant que mon mari arrive et l’emmène ailleurs pour que je puisse accoucher tranquillement. Du suivant.

P. : arrivé dans l’après midi, je téléphonais sur le lit d’accouchement à mon mari pendant que la sage femme me récitait  mécaniquement le rituel « poussez madame, vous y êtes presque ». Je livrais mes instructions : « va chercher les enfants à l’école, tu trouveras le goûter dans le tiroir du buffet, n’oublie pas les devoirs, il faut donner le sirop à F. … » La conversation s’éternisait et l’accouchement aussi il faut bien l’avouer.

R. : partie au milieu de la nuit, j’arrivais au bord de l’accouchement à la maternité  grâce aux dos d’âne qui fleurissaient la route (30km encore) et la sage femme qui  recevait dans ses mains le poupon tout cyanosé  (cordon une fois de plus) s’écriait avec un air pincé : « Je n’ai même pas eu le temps de passer ma blouse ». L’enfant était un peu sonné mais se remettait assez vite de cet accouchement express. Moi aussi d’ailleurs. Mais je gardais une  plus importante fatigue que pour les précédents ou plutôt, à cause des précédents, et je me souviens d’un début de baby blues… J’avais fini par mettre R. dans un coin reculé de la maison, au bout de dix jours seulement, et lui avoir dit un soir : « Tu sais, R., Maman t’aime très fort, mais là je crois que cette nuit, si tu pleures, je ne viendrais pas te voir, je suis trop trop fatiguée. » Une amie compatissante m’avait conseillé de parler à l’enfant. Je crois personnellement que cela servait surtout à me déculpabiliser…  mais bon. Quoiqu’il en soit, mon Rémi a du comprendre quelque chose ou accepter bêtement l’inévitable, car il a fait ses nuits très vite.

Les jumeaux : nous étions alors de retour en région parisienne et l’accouchement devait se faire au bloc opératoire pour prévenir toute complication. Sans mon mari. Mon mari n’a pas assisté à tous les accouchements, loin de là,  et je crois pouvoir dire que ce fut pour son plus grand soulagement (et le mien aussi d’une certaine façon, on ne peut pas dire qu’on soit vraiment sous son meilleur jour à ce moment là ! Lecteurs, vous pouvez vomir encore…). B. arrivait assez vite sans péridurale évidemment et G., au contraire,  n’était pas résolu du tout à sortir… coincé bien haut au chaud dans mon ventre, il se présentait par le siège comme tous les jumeaux et l’on finit par m’endormir pour le déloger, ce rebelle. Lorsque je me réveillai quelques minutes après, les deux poupons étaient là, tous mignons et je m’exclamai d’une voix pâteuse : « pourquoi ne m’a-t-on jamais endormie pour les autres ??!! C’est le plus chouette accouchement que j’aurais vécu… » Les suites ou plutôt les débuts avec ces deux lardons furent épiques : il nous est arrivé, le premier mois, de donner au milieu de la nuit deux biberons d’affilé au même bébé et de laisser crever de faim l’autre. Mon mari, mort d’épuisement, prenait les trains pour aller travailler et ne se réveillait qu’au bout de la ligne, parfois grâce à la main compatissante d’un voisin assis en face.

G., mignonette et pressée est arrivée sans bruit –déjà fort bien élevée- sous le drap du lit pendant que la sage femme cherchait un stylo pour me faire signer des papiers…Je vous livre pour cette petite dernière un récit plus détaillé, même si vous êtes au bout du rouleau, chers courageux lecteurs… Adhonc, oui, les papiers et l’accouchement…. Nous sommes aujourd’hui  à l’ère Administrative et du moment que les règles sont respectées on peut vous expliquer sans mentir : «Tout Va Bien,  il n’y a pas de dysfonctionnements ! » Je ne disais rien, occupée à mon affaire, mais je sentais bien qu’elle pointait le bout de son nez… Mais comment expliquer au médecin que le bébé arrivait alors qu’il FALLAIT SIGNER LES PAPIERS ?? Autant parler à une autiste… j’ai donc gardé mes forces pour accoucher de la petiote.  Mon mari avait demandé en m’emmenant plus tôt dans la soirée s’il n’y avait pas moyen que le liquide amniotique perdu  (mare de flotte dans la bétaillère qui en a vu d’autres rassurez-vous et non, je ne détaillerais pas aujourd’hui ces « autres » !) se reconstitue ? Vraiment pas ?? . Une façon absurde, il faut en convenir,  de repousser l’accouchement  comme nous repoussons le problème de la dette aux calendes grecques. Lecteurs, retenez encore cette dernière leçon : on a beau être un philosophe forgé au réalisme le plus forcené, il arrive que le délire vous prenne par surprise car l’homme n’est pas que raison.

Une fois l’accouchement passé  ainsi que la visite de toute la horde, la journée s’était déroulée tranquillement et j’avais retrouvé quelques gestes oubliés auprès de ma fille. Le soir, changement de service, changement d’ambiance. Vers dix heures, une sage-femme revêche faisait son entrée, me demandait si tout allait bien, me recommandait froidement de ne pas l’appeler (« nous sommes débordées ! ») et me disait enfin du bout des lèvres qu’on allait se charger de ma fille pour la nuit (la première nuit, les bébés sont généralement pris en charge par les sages-femmes ce qui permet à la mère de récupérer un peu de forces) dans une heure. J’acquiesçais timidement. A deux heures du matin, le bébé pleurait plein pot, toute à la joie de la découverte de ses talents de vocalises et, prise de vertiges, je verdissais pendant qu’à l’horizon rien ne poudroyait ni ne venait. Je finis par sonner : « Ah, on vous avait oublié… » Bon. Les soirs suivants furent semblables, je demeurais seule dans ma chambre avec le poupon et connaissais à nouveau la joie des nuits blanches. La télé devint ma compagne la plus fidèle et la plus aimable, je passais par tous les programmes télé ; j’apprenais tout,  par exemple, sur le brame du cerf. Un autre soir, rediffusion de reportages sur les sites de rencontres et sur le problème des prostituées. Plusieurs hommes témoignaient : « Ma femme vient d’accoucher, alors vous comprenez… Je vais aux putes ! ». Avec ma fille dans les bras, je m’indignai : « Bande de connards !! ». Là, la télé comme soutien, c’était vraiment foireux… Je passai alors aux architectes de l’extrême : beau métier… Pour un de mes enfants, par exemple, plus tard peut-être, dans le monde en ruines post apocalyptique, il y aura tout à reconstruire après tout.

Voilà, maintenant que tout est démystifié, même un accouchement,  c’est pile ou face désormais : soit vous serez désireux et tout bouillants de vous lancer dans la grande aventure de la vie, soit vous jetterez l’éponge que vous avez passée tout au long de cette lecture et vous déciderez que, hum, tout ceci n’est pas pour vous. Et que le monde ne vaut pas le coup qu’on s’y attache. En tout cas, pas de cette façon. Mais il y en plein d’autres… Chantal Delsol dit que « la vie est aventure » et que  « les peuples capables de durer seront forcément des aventuriers », « des êtres spirituels plus que rationnels car la raison ne court jamais l’aventure », des êtres « nourris par l’espoir, lequel n’a rien de rationnel » et espoir qui suppose que « toutes les joies du monde n’ont pas encore été répertoriées. »

Je vous souhaite,  chers aventuriers-lecteurs, de tout cœur, d’être tout à fait déraisonnables comme nous l’avons été, mon mari et moi, et avec  votre sang, votre sueur et vos larmes de traquer et  de trouver  de nouvelles joies dans vos vies.

 

    

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

11 réflexions sur « Plus ou moins 12 accouchements avant 2012 »

  1. Le Plouc-émissaire

    C’est dingue ! Elle est partout Miss Multifonctions ! Non contente d’en faire neuf « en passant… », d’être super-secrétaire volante d’Iron-man, mère nourricière occasionnelle et dominicale d’une bande de oufs des plus suspects, porte-parole du Petit-Jésus, chauffeur-livreur de bétail toutes saisons, bibliophile-exégète, elle trouve encore le moyen d’être pigiste-éditorialiste chez Ilys pour relever un peu le niveau des connaissances prosaïques de la Vie chez leurs lecteurs assidus en général, et ceux des publi-reportages d’Eugène et de JMM en particulier !

  2. la crevette

    Je comprends pas… C’est la citation de Delsol qui vous a mis la puce à l’oreille j’en suis sûre!^^ Le Sorpasso m’avait pourtant dit : « tinkiète, vu la daube que tu vas écrire, je vais te mettre un pseudo que personne ne reconnaîtra, ça t’évitera des soucis!Nous, sur ilys, on gère bien ce genre de truc… »

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