That was only that

[Je me permets de rediffuser de ce texte, dont cette chère Crevette vient de me rappeler l’existence… Je le trouve pas trop mal, et le Radotage fait partie des droits de l’homme imprescriptibles, que je sache… Et puis c’est très bien, les vieilleries. Ce qui est très vilain, ce sont les nouveautés qui ressemblent à des vieilleries… Rien de plus beau que Barbey d’Aurevilly, rien de plus vilain qu’un auteur du XXIème siècle qui écrit comme Barbey d’Aurevilly. Ces gens-là, on devrait les arrêter en douane et les pendre, mais c’est une autre histoire.]

Je suis mort ce dimanche.

Je n’ai pas le sentiment d’avoir beaucoup souffert, les derniers jours, en tous cas beaucoup moins que le pensaient mes proches quand ils me voyaient suer comme un cochon dans mes draps…. La veille, on m’a fait sortir de mon lit pour que je marche autour de ma chambre, j’étais courbé et diminué comme une allumette calcinée mais je n’avais mal nulle part, ce qui n’a pas empêché mon petit neveu de se mettre à pleurer en imaginant la souffrance dont il me croyait frappé à cet instant-là…. Il faut dire que le matin, j’avais pissé dans mon lit et que la bonne m’avait en catastrophe enfilé un pyjama bariolé avec des carreaux jaunes et violets qui devait ajouter une touche pathétique au tableau…

Qui a raison et qui a tort, dans cette affaire? Est-ce que j’ai souffert autant qu’ils l’ont cru, ou bien aussi peu que j’ai cru le ressentir? La vérité doit se trouver entre les deux… Il y a quelques années, j’avais survolé les mémoires d’un soldat sudiste assez insipides, mais j’avais retenu qu’il comparait la décharge de chevrotine qu’il avait reçu dans la cuisse aux   gros coups de sabot que lui donnait le cheval de trait dont il s’occupait à la ferme, avant la guerre…. la mort et la vie, les amis jurés et les ennemis mortels, la souffrance et la joie, quand on se retourne et qu’on ne peut plus que se retourner, ce sont autant de choses qui nous nous font dire Mon Dieu, ça n’était que ça? Quand est-ce que ça commence vraiment? Oh, metteur en scène, qu’est-ce que tu fais?…Quand est-ce, le vrai bonheur ou les vraies flammes?…  C’est bien cette idée qui nous traverse la tête, quand on va mourir… Faites-moi confiance, je sais de quoi je parle, je viens d’y passer.

C’est étrange à dire comme ça, mais les six ou sept semaines de mon agonie n’ont pas été les plus désagréables de mon existence… Dans ma petite enfance, j’étais malheureux comme une pierre, je recevais des gifles, je n’étais ensemble avec personne et je me traînais comme si j’étais déjà vieux… On m’envoyait chez des orthophonistes et des psychologues, on me parlait tout doucement en tête à tête ou l’on m’envoyait des coups de pieds au cul, mais rien n’y faisait et personne ne pouvait entamer la montagne de spleen que j’avais dans le ventre et ne pouvait rien contre ce malheur qui n’était le fruit d’aucune circonstance, qui est ce qu’il convient d’appeler un état…. Cependant, même au dessous de cette chute fantastique de larmes, je connaissais des joies indescriptibles quand je me couchais le soir et que je frottais mon nez sur mon oreiller, gagné par une conviction qui ne m’a plus jamais quitté selon laquelle rien n’est grave et tout va bien.

Plus tard, disons trois ou quatre décennies après, j’ai réussi socialement dans des proportions dégoûtantes, j’ai fait entourer d’un mur trois hectares dans le Massif Central et j’ai même engagé un garde du corps Yougoslave pour qu’il tourne autour de la propriété en Jeep, avec une Kalachnikov posée à l’arrière… Dans le village, on m’appelait le fou, on s’écartait de mon passage quand j’allais à la supérette pour acheter mes conserves au volant de ma Porsche, cette défiance n’ayant entre parenthèses jamais empêché les bouseux du coin d’essayer de caser leurs filles ou leurs fils chez moi, dans le cas où j’aurais eu besoin d’un jardinier ou d’une femme de ménage… Je faisais enterrer mes chiens et mes oiseaux sous le grand chêne, je passais mes journées à jouer avec mes pieds, et je vous jure que j’étais alors aussi heureux que l’enfant à l’oreiller.

Sur la fin, donc, j’ai  connu ma troisième phase de plénitude  et de nouveau l’incroyable certitude que le bonheur existe mais qu’il ne repose sur rien, qu’on ne va jamais le chercher mais qu’il vient…. Comme une hirondelle qui se pose à la fenêtre un instant, si vite que vous avez l’impression d’avoir rêvé à l’hirondelle et qu’elle vous a dit à bientôt.

Je ne sais pas pourquoi la famille m’a envoyé au funérarium… Selon mon avis, ma chambre à coucher aurait parfaitement fait l’affaire, mais enfin ce n’est qu’un détail… Je m’éloigne petit à petit, je les vois maintenant d’en haut, comme lorsque je prenais de la cocaïne… Bon Dieu, mais alors, ça n’était que ça…. L’Existence, ce n’est donc que la répétition générale de quelque chose de plus important…

J’entends quelqu’un qui vient, je vous laisse….

54 réflexions sur « That was only that »

  1. la crevette

    xp : « J’entends quelqu’un qui vient, je vous laisse…. »

    (http://oralaboraetlege.blogspot.com/2010/12/du-bonheur.html)

    « J’ai parcouru moult chemins de traverse, j’ai crié en vain,
    Ajoutant la rage à la sottise et, au bout de mon déclin,
    Je me suis arrêtée dans le crépuscule ombré. A l’entrée
    De la nuit et du silence, tu étais là Dieu de bonté,
    Tu étais là Seigneur, depuis toujours Tu m’attendais. »

  2. Prolo De La Lite

    Merci . Sincèrement , merci . En ce moment , je ne pouvait rêver de mieux . Oui , le bohneur est éphémère , se construit seulement , et ne s’aquiert pas .
    Est-ce la différence fondamentale entre la droite et la gauche ? Le fait de voir le bonheur comme un droit syndical , un capital qui donnerait droit à des interets de joie tout les mois , distribués équitablement entre chaque citoyen , et un instant fugaçe qui part et ne reviendrat jamais identique ?

  3. EdgarMind

    Très beau texte. C’est exactement pour cela que je viens sur ce site, dans l’espoir d’y trouver quelques lignes savoureuses. Ceci étant, je ne peux pas m’empêcher de critiquer. Le 5e paragraphe m’évoque un peu le dernier Houellebecq. Je cherche pourquoi … ce doit être la propriété et la jeep. En fait, ce n’est pas une critique …

    1. XP Auteur de l’article

      C’est ce qu’on vient de me dire oralement. Mais je vous jure que je ne pensais pas à ça. En fait, je pensais à ce cher Alain Delon dans sa maison de Douchy, dans le Loiret. Alain Delon auquel je ne désespère pas de consacrer une biographie romancée d’une vingtaine de page, soit dit en passant…. J’y travaille, je prends des notes, je glane des infos sur internet.
      Par contre, là, pour le coup, Houellebecq va m’être d’un grand secours. Le procédé consistant à faire vivre à des personnages bien réels des évènements imaginaires me parait juteux…. Vous êtes au salon de l’agriculture, vous croisez la délégation du président de la République, et pan, son ministre de l’intérieur pète un cable, vous braque un flingue sur la tête et sa police le ceinture… Enfin des trucs comme ça…

      1. Restif

        « . Le procédé consistant à faire vivre à des personnages bien réels des évènements imaginaires » oh, Malraux l’a fait en grand dans les Antimémoires, il invente des dialogues, des rencontres, des réactions, il est allé beaucoup, mais alors là infiniment plus loin que Houellebecq (qui puise toujours aux bonnes sources, enfin façon de parler je ne suis pas un fana de Malraux, sauf peut-être justement de ce Malraux là qui est amusant à inventer l’Histoire). Enfin tu ne manqueras pas de répondant culturel, l’important n’est pas là mais dans ce que tu y mettras d’inimitable, et là je compte sur toi, ce sera bien de l’inimitable.tu ne saurai d’ailleurs pas faire autrement.

  4. Mr Monaparte

    C’est marrant je suis en pleine période « littérature russe »,et dans « La Mort d’Ivan Illitch », Tolstoi développe un point de vue sur la mort absolument contraire…
    L’Homme souffre atrocement, réalise qu’il n’y a plus rien qui l’attend, tandis que ses proches refusent de réaliser ce qui se passe car l’odeur de la mort leur fait détourner le regard du moribond, ils demeurent insensible à sa douleur physique et morale.

  5. Restif

    Tandis que dans le Don Quichotte la mort est libération, fin de la folie, dévoilement des erreurs. Montaigne, relatant ce célèbre incident où il crut mourir pour de bon a relaté combien l’impression de sortie hors de son corps qu’il ressentit lui avait paru aisé, nullement douloureuse, c’était le sommeil qui venait , un immense sommeil.
    Mais la mort selon Villon va dans le sens de Tolstoï :
    « Et meure Pâris ou Hélène,
    Quiconque meurt, meurt à douleur
    Telle qu’il perd vent et haleine;
    Son fiel se crève sur son coeur,
    Puis sue, Dieu sait quelle sueur !
    Et n’est qui de ses maux l’allège :
    Car enfant n’a, frère ni soeur,
    Qui lors voulsist être son plège. » (Grand Testament. plège > -son garant, son remplaçant)
    A vrai dire, il est très probable qu’il doit y avoir maintes morts. Dans Bel Ami, l’initiateur au journalisme du personnage principal se voit mourir avec une horreur noire, non que la souffrance soit grande, pas du tout, mais la bouche de néant s’approche, inexorable, dévoratrice, il comprend que c’est résolument et pour de bon la fin de tout, plus un parfum, plus jamais la vue du ciel, d’un arbre, d’une femme et il se tord de terreur abjecte (ce n’est pas un jugement moral, juste une description du texte). A côté de ça, vous avez Socrate…

  6. j.ax

    Oui, peut-être que la mort est un phénomène aussi différencié qu’il y a d’individus, avec tout de même des constantes. Ce qu’en disent les mystiques, ou les témoins d' »expériences de mort imminente », est aussi digne d’intérêt. La Révélation accomplie, d’un point de vue chrétien, on retourne au Père. Bon au risque de passer pour bizarre il se trouve que j’ai vécu une fois une quasi sortie du corps. C’est à la fois inquiétant et fascinant. On ressent son corps physique en état de « rigor mortis », et à sa place le même corps, mais formé seulement d’énergie, une énergie prodigieuse. Ce « corps »-là qui semble tellement puissant, on ne l’imagine pas mourir. Comme si le corps physique en était la partie visible, en quelque sorte le vêtement chimique et qu’on ne mourrait pas vraiment.

  7. Terminatormoule

    Pardon d’être hors-sujet, mais comme sur ILYS on apprécie l’étude et la dissection des bloggeurs freaks, je voulais partager cette magnifique découverte:
    http://sebmusset.blogspot.com/

    Ce « chroniqueur de guerre néo-libérale », »Graphiste, cinéaste puis écrivain » est une perle.
    En plus son phrasé psychotique ressemble à une imitation de Soral, avec moins de vocabulaire.
    http://www.dailymotion.com/video/kgP1edir3KtZV67k2t?start=56#from=embed

    Et merci pour ce texte.Superbe.

    1. Gil

      Ahaha. Ce Seb Musset avait fait un tabac sur Fdesouche il y a quelques mois avec une ou plusieurs vidéos, où il expliquait, entre autre, qu’il avait arrêter de travailler, parce que le travail dans l’enfer néo-libéral, c’est se retrouver le lundi matin avec plein de dossiers en retard… je caricature à peine.

      1. XP Auteur de l’article

        La vache, on sent qu’il l’a beaucoup lu et regardé, Soral. Mais bon, à la louche, il a l’air moins méchant (au sens premier et désuet du terme) qu’Alain Soral.

        A part ça, content d’apprendre à l’occasion que Gérard Lanvin (un des seuls people qui m’est sympathique avec Olivier Marchal) trouve Sarkozy bien plus comestible que les antisarkozystes à la con.
        Et pour les mêmes raisons que moi: Sarko se bouge et fait le job (bien ou mal, ce n’est pas la question) au lieu de faire le singe et « d’incarner la Nation », et les abrutis ont besoin de repères, d’un type que « incarne », qui fait les bouquinistes avec une écharpe et un chapeau mou.

        Je ne sais pas si c’est un bon ou un mauvais président, le Sarko, mais ce que je sais, c’est que ce n’est pas ce que les antiSarko lui reprochent. Non, ce qu’ils n’aiment pas, c’est qu’il ne leur balance pas du symbole. Ils veulent Qqu’on leur rende un roi fainéant qui alterne la sieste et les grimaces.

        1. Emil

          XP, pour vous remercier de ce texte magnifique, un autre, qui devrait certainement vous intéresser :

          http://stalker.hautetfort.com/archive/2011/09/28/philippe-muray-jacques-de-guillebon-cerf.html

          C’est un exercice de démonologie de Jacques de Guillebon. On y parle de Jérôme Leroy, de Muray, de la contre-théologie qui sous-tend l’anti-libéralisme (selon JdG, le crime du libéralisme en littérature c’est de penser « qu’il ne faut pas changer le monde mais le décrire » et comme il a raison), des masques que prennent ceux qui ont juste assez de talent pour écrire, mais pas assez pour penser etc. Une dissection qui recoupe donc de nombreuses intuitions développées ici.

          Par ailleurs, JA a de gros problèmes judiciaires et financiers actuellement avec des petits fonctionnaires malfaisants (et, là encore, pas de surprise, j’ai pris sa défense sur FB et une sorte de Patrick Mandon a divulgué publiquement des informations personnelles à mon sujet…). Bien que ce ne soit pas le genre de la maison, je crois que ce genre de texte est bien la preuve que cet homme mérite d’être soutenu, quel que soit la forme que l’on puisse donner à ce soutien.

          Rappel des faits : http://stalker.hautetfort.com/archive/2010/06/21/valerie-scigala-jean-yves-pranchere-emmanuel-regniez-proces.html

          Désolé, je suis complètement hors-sujet mais, comme on le voit, on a beau savoir qu’il y a des convergences souterraines, on est toujours étonné de voir quelle étendue ont leurs ramifications.

          1. XP Auteur de l’article

            les grands esprits se rencontrent, nous avons mis le lien du Stalker au même moment^^

            Pour le reste, Guibon n’a pas assez de talent pour écrire, justement. Il sait faire des « belles lettres », ce qui s’append, ce qu’append à faire la première Kagneuse venue, et ce qui n’a strictement aucun intérêt…

            Ecrire, c’est développer un style, ce qui veut dire rigoureusement « faire entendre une petite musique personnnelle », ce qui permet de transmettre une émotion authentique, puisque personnelle, justement.

            Ecrire « à la manière de », c’est justement ne pas savoir écrire, il me semble. Et Guibon, comme des milliers de pisse-copies, écrit « à la manière de », il pratique conscienscieusment cet art de ne pas écrire, de ne pas avoir un style et de vampiriser celui des auteurs qu’il a lu.
            D’ou l’absence totale d’émotion, d’idées originales, bref de tout ce qui pourrait rendre son travail attachant.

  8. NOURATIN

    Très sympa. Sincères félicitations.
    Cela m’a rappelé une petite comptine que me chantait ma Grand-Mère:
    « Quand on est mort on est foutu,
    On est foutu dans une bière,
    Les asticots nous bouffent le cul,
    Quand on est mort on est foutu! »

    Avce toutes mes excuses.

  9. xyr

    Le texte est beau. Mais.

    « L’Existence, ce n’est donc que la répétition générale de quelque chose de plus important »

    Ceci est une façon de dévaluer le monde réel en faveur d’un monde imaginaire. Nietzsche parlait souvent des métaphysiciens, ces albinos de la pensée, les plus pâles parmi les êtres blêmes. Ce discours qui dit à l’homme « Ne t’en fais pas tu viens d’ailleurs, de plus haut, de quelque chose de mystérieux », c’est la maladie du nihilisme. C’est une fuite de l’esprit, une fuite vers son confort. Je crois XP, qu’il y a autre chose en toi que cela.

    1. XP Auteur de l’article

      Pfff… Ca fait maintenant des années que tu me tourmentes avec tes MAIS… Uu jour, tu me le payeras^^

      Là, comme ça, au débotté, j’ai envie de te répondre que mon personnage n’est pas un métaphysicien, un albinos qui se réfugie dans des arrières mondes.

      Jusqu’au bout, il ne pense qu’à un soldat sudiste qui s’est pris des coups de sabots croisé au hasard d’une lecture de seconde main, à la couleur de son pygama, il se remémore des petits moments de bohneur et de plénitude totalement dérisoires et très charnelles, il observe les proches qu’il va quitter froidememnt, en s’arrêtant sur des détails…

      Comme Léautaud, dans son journal, qui se trouve quelques heures en présence du cadavre du mari de sa Maitresse mort d’une crise cardiaque dans son fauteulil, et qui raconte qu’il a passé ce temps à observer le visage du mort et guetter les premiers signes de la décomposition…

      La métaphysique surgit d’une plongée non pas dans un quelconque arrière-monde (j’ai passé l’age de ce genre de conneries violonneuses), mais dans la plongée dans un monde bien réel, bien visqueux, et elle surgit à la fin seulement, en une phrase.

      1. xyr

        D’accord, mais je ne parle pas réellement du personnage mais de toi. C’est une constante chez toi de « retomber » – pardonne moi l’expression – dans cette tentation métaphysique, au sens réel de la métaphysique, ce besoin de croire que la vie ici-bas n’est que la partie émergée de l’iceberg.

        Je suis d’accord avec ce que tu me réponds là mais, admets-le, tu ne finis pas par hasard ton texte sur « L’Existence, ce n’est donc que la répétition générale de quelque chose de plus important… ». Elle finit formidablement le texte, parce que tout ce qui propose à l’homme du mystérieux est formidable, ça prend au tripes et c’est bien le but de la littérature, mais parfois je me demande s’il faut à ce point sacrifier la vérité au profit du style.

        Non, l’existence n’est pas « que la répétition générale de quelque chose de plus important », c’est une belle formule j’en conviens volontiers mais c’est la recette de la mort, ce truc. Et en Occident on en sait quelque chose. C’est une des choses les plus néfastes que le christianisme ait apporté. La vie n’est pas un préambule elle est tout, absolument tout, relayer les choses terrestres au second rang c’est une fuite quoi qu’on en dise, un nihilisme.

        Là où je veux en venir c’est : pouvons-nous écrire des choses qui soulèvent les cœurs et bouleversent les cervelles sans avoir recours à l’au-delà, aux forces mystérieuses de l’univers dont nous serions issus et qui font de ce monde « un point de détail » ? Pouvons-nous produire du beau sans céder à la formule magique, à la métaphysique, à la … facilité ? En définitive, pouvons-nous rêver autrement qu’en levant les yeux au ciel ?

        Parce qu’un esprit puissant sait que l’existence ne mérite pas de majuscule car les majuscules sont pour les CAB, que l’homme est minuscule et éphémère, et qu’il n’est jamais plus grand que lorsqu’il en a pris acte, et que ce constat le rend non pas fuyard mais heureux.

        J’en ai terminé votre honneur.

        1. la crevette

          C’est très juste. « La vie n’est pas un préambule elle est tout, absolument tout, relayer les choses terrestres au second rang c’est une fuite quoi qu’on en dise, un nihilisme. »
          Et le fait de vivre pleinement, entièrement, absolument sa vie, de ne négliger rien des choses terrestres, d’en profiter au maximum est une façon à mon sens -si ce n’est la seule- de réussir sa… mort et donc son passage vers un Au delà. (auquel vous pouvez croire ou pas).
          La métaphysique n’est pas une fuite du réel ou bien se situer « au-dessus du réel ». La métaphysique consiste au contraire à percer le secret ontologique de ce réel, c’est l’étude de l’essence même du réel.

          1. xyr

            Tu as dit le mot, « ontologique ». On l’invente, l’ontologie, la « chose en soi » :

            Comment une chose pourrait-elle procéder de son contraire, par exemple la vérité de l’erreur ? Ou la volonté du vrai de la volonté de tromper ? Ou le désintéressement de l’égoïsme ? Ou la pure et radieuse contemplation du sage de la convoitise ? Une telle genèse est impossible; qui fait ce rêve est un insensé, ou pis encore; les choses de plus haute valeur ne peuvent qu’avoir une autre origine, un fondement propre. Elles ne sauraient dériver de ce monde éphémère, trompeur, illusoire et vil, de ce tourbillon de vanités et d’appétits. C’est bien plutôt au sein de l’être, dans l’ impérissable, dans le secret de Dieu, dans « la chose en soi » que doit résider leur fondement, et nulle part ailleurs ».

            source

            A partir de là on ne perce rien, on cherche les origines « derrière » et par là on les cherche ailleurs, on sort précisément de toute forme d’étude véritable dès qu’on explique le monde par un monde derrière le monde. On ne trouve que ce que l’on désire trouver.

            vouloir que l’homme se tienne désormais en face de l’homme comme, aujourd’hui déjà, dans la discipline de l’esprit scientifique, il se tient en face de l’autre nature, avec les yeux sans peur d’un Oedipe et les oreilles bouchées d’un Ulysse, sourd à tous les appeaux des vieux oiseleurs métaphysiques qui lui flûtent depuis trop longtemps : « Tu es davantage! tu as l’âme plus haute! tu as une autre origine! »,

            source

            Je sais qu’on n’aime pas trop les citations dans le coin mais je ne recrache pas ça comme un robot, j’ai décortiqué ces mots de Nietzsche des millions de fois et j’en suis juste arrivé à la conclusion que je ne saurais mieux dire, alors autant le citer plutôt que le paraphraser.

            Merci pour votre attention.

            1. xyr

              Je précise que dans le premier passage que je cite, Nietzsche prend le point de vue d’un métaphysicien, celui que lui-même rejette, bien entendu…

            2. xyr

              Et que le deuxième définit l’attitude de celui qui veut véritablement percer la réalité, et qui doit pour cela rester à l’abri de la grande tentation métaphysique…

            3. la crevette

              Je me suis appuyée, pour vous répondre, sur ce blog (que je recommande) qui évoque un de nos plus grands métaphysiciens contemporains, Claude Tresmontant. (http://www.claude-tresmontant.com/)

              Cette attitude de l’homme face à lui-même ou au monde et cherchant à en percer le secret et qui décide, plutôt que de le percer, d’en inventer un, de secret, de « chose en soi », cette attitude proprement cartésienne au départ et kantienne dans ses formes les plus abouties est, à mon sens, l’inverse d’une vraie attitude ou réflexion philosophique d’abord et métaphysique ensuite. C’est de l’anti philosophie au sens strict du terme.
              Le philosophe (et donc le métaphysicien qui est « méta » dans le sens où il recherche les causalités ultimes) doit se placer face au réel comme le sujet face à l’objet de son étude. Il ne doit pas « créer » ou construire son objet mais en extraire tout ce qu’il peut sans évidemment le faire mentir ou plutôt sans le dénaturer.

              Or aujourd’hui, c’est l’inverse qui est communément opéré en philosophie:
              « La méthode la plus prisée dans la philosophie moderne est sans conteste la méthode déductive – celle qui prend pour point de départ le « JE » du philosophe et selon laquelle »toute connaissance principale devra être obtenue a priori, par pure déduction à partir du moi, à partir du sujet pensant qui se connaît immédiatement lui-même. » »
              Nietzche a parfaitement dénoncé l’attitude des philosophes modernes, attitude positiviste –c’est MOI qui décide ce que sont les choses- qui annihile toute possibilité de connaissance véritable et par conséquence toute véritable métaphysique.

              Dans cet article très éclairant vous avez un descriptif direct de l’enseignement moderne de la philosophie et du relativisme qu’il entraîne, dénoncé à très juste titre par vous xyr, et par Nietzche :
              http://www.claude-tresmontant.com/article-le-dogme-de-la-philosophie-moderne-82330657.html
              « Les étudiants en philosophie, depuis des générations, sont formés dans ce qu’on appelait naguère encore les « Facultés des lettres », lesquelles sont distinctes des « Facultés des sciences ». Les étudiants en philosophie étaient donc, et ils sont toujours, des garçons et des filles de vingt ans qui n’ont aucune connaissance des sciences de l’Univers ou de la nature : astrophysique, physique, chimie, biochimie, biologie fondamentale, paléontologie, zoologie, etc. En fait, ils n’ont aucune connaissance de quoi que ce soit, sinon de leurs rêves ou de leurs fantasmes, mais par contre, ils prétendent, et c’est là leur spécialité, parler de tout : de l’être et du néant, de l' »en-soi » et du « pour soi », du « noumène » et du « phénomène », de l’absolu et du relatif, de la raison et de la déraison, du bien et du mal – et le tout, sans aucune base expérimentale. En général, et sauf de rares exceptions, ils ne sauraient même pas traire une vache. Par contre, ils vous expliqueront, a priori bien entendu, ce qui est possible et impossible à la pensée, que Dieu est mort, que l’homme est mort, que la métaphysique est morte, et ainsi de suite… »

              Si vous voulez sortir de l’impasse relativiste que vous dénoncez à juste titre,xyr, il vous faut revenir à ce que l’on appelle communément une philosophie réaliste qui part de l’objet (l’homme, la nature, le monde) et non du sujet. C’est une attitude philosophique (et donc métaphysique) complètement différente de celle prônée ci-dessus et qui a hérissé Nietzche. Je vous donne cette dernière citation de Tresmontant :
              « Tout compte fait, le réel, patiemment exploré, est plus riche que l’imaginaire. »

  10. j.ax

    « ils vous expliqueront, a priori bien entendu, ce qui est possible et impossible à la pensée, que Dieu est mort, que l’homme est mort, que la métaphysique est morte, et ainsi de suite…  »

    Excellent! Merci Crevette, très intéressant ce Claude Tresmontant et ce qu’il dit d’une certaine tournure d’esprit qui caractérise l’université française depuis deux siècles. Dans un des audio, à propos de Comte-Sponville prof à la Sorbonne, il dénonce l’influence de Kant, véritable passage obligé, initiatique, et je soupçonne qu’il en va exactement de même de Nietzsche. Il n’y a qu’en France qu’on prend Nietzsche autant au sérieux ce qui semble carrément louche. Cet enregistrement date de 1996, je me demande ce qu’il aurait dit de Michel Onfray, avatar de Comte-Sponville sous EPO…

      1. la crevette

        Je crois vraiment que Nietzsche (mal orthographié dans mon trop long texte excusez-moi mais je n’arriverai jamais à l’écrire correctement) a dénoncé ou pour le moins décrit cette terrible dérive moderne, cette inversion complète de la philosophie et par cela même la mort de toute métaphysique…Il est allé au bout de sa description.Avec raison.
        Je n’ai pas lu Nietzsche. Mais je pense qu’il faut le lire et le lire dans ces critiques et dénonciations et ses conclusions; néanmoins, il faut comprendre aussi qu’il y a et avait et a toujours eu deux attitudes opposées en philosophie et qu’il ne tient qu’à nous de choisir celle qui nous paraît la plus cohérente et la plus juste.
        D’autre part, il y a de multiples voies de connaissance du réel et on ne parle pas ici de la Littérature ou de l’Art. Or, je pense, moi, que si la philosophie se meurt ou est morte, la voie artistique est le chemin le plus sûr de retourner à une métaphysique. Car l’art ne dépend pas des idées mais du talent, de la forme, du style. Vous pouvez avoir des artistes complètement abrutis au niveau des idées mais qui rejoindront une forme de perception du réel par leur talent, j’allais dire « à l’insu de leur plein gré ».

    1. xyr

      « Il n’y a qu’en France qu’on prend Nietzsche autant au sérieux ce qui semble carrément louche.  »

      J’espère que c’est de l’humour. Ne pas saisir la puissance de Nietzsche c’est ne pas l’avoir lu, ou l’avoir mal lu, ce qui revient au même. Inutile de contredire plus cette phrase aberrante.

      Pour la critique que Tresmontant fait de Kant, c’est assez ironique de dire qu’il en irait de même de Nietzsche puis de Michel Onfray, ranger ces trois noms au même endroit est déjà une vaste blague. D’autant qu’en matière de critique de Kant, Nietzsche a justement déjà tout dit. Il faudrait lire Nietzsche avant d’en parler, quand-même. Parce qu’on commence à toucher le fond quand la seule objection qu’on trouve c’est « Marre des auteurs obligatoires, ces grands noms sont surfaits, Kant est surfait et j’ai le sentiment qu’il en est de même pour Nietzsche et Onfray », le blog d’élite prend un coup dans l’aile.

      Pour revenir à mon objection initiale à la phrase qui clôt le texte d’XP, ce qui est « louche » pour le coup c’est qu’elle nous plait tant. Elle stimule trop notre émotion pour nous permettre d’y voir clair, comme le « banquier dur et sec » dont parlait Stendhal. Au final il en va des idées comme des femmes : il faut se méfier des plus séduisantes.

      1. Nebo

        « Pour la critique que Tresmontant fait de Kant, c’est assez ironique de dire qu’il en irait de même de Nietzsche puis de Michel Onfray, ranger ces trois noms au même endroit est déjà une vaste blague. D’autant qu’en matière de critique de Kant, Nietzsche a justement déjà tout dit. Il faudrait lire Nietzsche avant d’en parler, quand-même. Parce qu’on commence à toucher le fond quand la seule objection qu’on trouve c’est « Marre des auteurs obligatoires, ces grands noms sont surfaits, Kant est surfait et j’ai le sentiment qu’il en est de même pour Nietzsche et Onfray », le blog d’élite prend un coup dans l’aile. »

        Merci Xyr… ^^

      2. j.ax

        Permettez mais ça confirme un peu ce qui dit cet auteur à savoir qu’on ne touche pas à certaines vaches sacrées en France sinon gare… et Nietzsche en fait partie je regrette, version rebelle au système, au pire ça aboutit à l’antimanuel de philosophie, Michel Onfray. C’est plutôt grave, comme situation. Il y a une certaine logique les Français ayant annoncé la mort de Dieu depuis bien avant. Reste que, je ne vois plus aucun intérêt à ce genre de lecture, en ce qui me concerne.

        1. xyr

          Non seulement on peut toucher Nietzsche mais on le doit. Il disait lui-même que ses ennemis ne seront pas ceux qui le contrediront mais ceux qui en feront l’éloge. « Je voulais des échos, je n’ai eu que des éloges ». Mais l’attitude consistant à dire « Je ne m’agenouille pas devant les grands noms je leur suis irrévérent » c’est très bien mais faut assurer, derrière, sinon c’est comme écouter Diam’s qui parle de Sarkozy.

          Après on peut attaquer Nietzsche comme Onfray attaque Freud, ou aimer Nietzsche comme Onfray ou Hitler aiment Nietzsche, mais dans ce cas-là on perd l’appellation « blog d’élite » aussi vite et aussi justement qu’une république socialiste perdait son triple A.

          1. j.ax

            Cette remarque sur le goût de Nietzsche comme marqueur d’appartenance à l’élite… de l’humour ça aussi, sans doute? N’exagérez pas. Vous me donneriez presque des idées, je pourrais me lancer dans le business culturel, faire sensation dans la R.A.L. comme mon nouvel ami Onfray en publiant « Nietzsche expliqué à ma femme de ménage », il y a peut-être un créneau.

            C’est vrai que je n’ai pas ouvert Nietzsche depuis mes 21 ou 22 ans. En bac philo j’aimais bien, un peu trop… comme certains adolescents. On avait un prof thomiste qui était beaucoup moins impressionné et freinait, souvent avec humour, nos ardeurs. Monstre de travail, excellent professeur. Son orientation n’était pas au goût de l’establishment français athée et a bloqué sa carrière: rien que de très logique… et aussi tragique, implacable. On est en France, régime athée ou crève. Les vaches sacrées de l’intelligence française et le terrorisme qu’elles exercent tel était surtout mon propos… pas le philosophe, le poète, l’homme Nietzsche: génial, remarquable, puissant, sans doute et tel est mon souvenir. Mon meilleur ami, ensuite, est monté très haut dans le domaine de la philo. J’ai atteint moi aussi un bon niveau social. Chacun sa voie, j’en ai suivi une autre. Quand on se revoit, faire les intelligents est la dernière chose qui nous intéresse.

            Ce qu’on peut relever aussi d’intéressant chez Tresmontant, c’est la notion que l’athéisme est une très vieille lune française pas bien fraîche et qu’il est grand temps de s’en séparer. Très percutante aussi sa critique d’une philosophie française désincarnée, ignorante des sciences, et qui prétend discourir sur le monde et lui faire des leçons sur la vie. On se moque beaucoup de ça à l’étranger vous savez. Les idées aussi, vieillissent et meurent.

            Pour en venir au fait, vous dire ce qui me bouleverse et m’intéresse surtout ces jours-ci, il se trouve que des travaux scientifiques nombreux, dans de multiples disciplines, par les équipes les plus prestigieuses, permettent de conclure à une très probable authenticité du linceul de Turin. En République française les médias et la faculté sont encore bloqués sur les fameux tests – qui se sont avérés faux – au carbone 14 de 1988. Pour extraordinaire que soit cette somme de travail la science du XXIe siècle ne peut pas expliquer le phénomène par lequel l’image splendide s’est imprimée sur le drap, ni comment elle a résisté à vingt siècles de temps. La science atteint là ses limites, ne se prononce pas sur ce qui relève de la foi. Bref, Il avait annoncé ressuciter, c’est ce que croient aussi depuis toujours les chrétiens, et cela s’est fait par un phénomène étrange, dont on a les traces. Le Fils de Dieu a bien fréquenté notre monde il y a 2000 ans. Il y a vécu, parlé, fait des prodiges, etc… Tout cela serait parfaitement plausible si ce n’est avéré. Nul doute que Nietzche aurait trouvé là matière à allègrement « ruminer ». Qui sait, il aurait peut-être écrit tout autre chose…

            1. xyr

              Croire que l’apport d’une preuve physique de tel ou tel évènement aurait changé la dynamique de Nietzsche c’est vraiment ne pas l’avoir lu. Il vous aurait répondu « Il n’est pas impossible que vous ayez raison, mais pourquoi vous est-il si important de défendre la vérité ? ». J’ai l’impression que vous ne savez pas de quoi vous parlez. Et Nietzsche a écrit sur Jésus, sur sa mort, sur la naissance de l’Eglise contre l’Evangile, c’est d’une hauteur incroyable (pourtant dans l’Antéchrist, son livre le moins subtil et pourtant…) et la découverte d’un parchemin ne modifie pas le fonctionnement des volontés humaines. Or s’il y a un cœur au monde, c’est bien celui-ci.

              Bref, je vais m’arrêter là, c’est bien ce que je craignais. La réponse chrétienne à Nietzsche c’est quoi ? « Le Fils de Dieu a bien fréquenté notre monde il y a 2000 ans. Il y a vécu, parlé, fait des prodiges, on en a la preuve » ? A ce niveau-là c’est du hors-sujet.

              Bonne nuit.

            2. la crevette

              J’ai le sentiment qu’on s’est un peu égaré à cause de Tresmontant et je le regrette bien parce que ce que pense Tresmontant de Nietzsche est le cadet de mes soucis… Il y a toujours eu effectivement une méfiance des philosophes réalistes vis à vis de N.de même que N. se méfiait comme de la peste de la scolastique.Parce que justement il récusait l’idée même d’un « système » qui enclot et ne permet aucune ouverture… métaphysique.
              Je crois profondément que c’est cela qui a heurté N., le fait que le christianisme puisse justement apporter des réponses toutes faites.
              A mon sens, et un bon philosophe le pensera aussi j’en suis persuadée, il ne faut pas confondre métaphysique et foi chrétienne. Tout philosophe ou artiste ne s’intéresse, au bout du compte, qu’à la métaphysique.C’est un fait et N. est un grand métaphysicien, c’est évident. Cependant,tout philosophe et artiste n’a pas forcément la foi.Ce sont deux plans de « connaissance » différents qui n’ont rien à voir.
              N. a dénoncé une forme de métaphysique décrite et dénoncée aussi par Tresmontant, une métaphysique construite de toute pièce par l’esprit humain (« monde en soi ») et qui ne tient pas compte de la réalité. Dans le même temps N. explique que la vérité est inaccessible et il a bien évidemment raison. Nous n’aurons jamais accès, comme philosophe ou bien comme artiste à la perception totale de la réalité. Les oeuvres d’art approcheront une forme de réalité, mais jamais complètement. (C’est peut-être cela aussi qui l’a rendu fou, Nietzsche).
              La philosophie thomiste (pour faire court) a trop tendance a vouloir s’ériger en réponse à tout. C’est un peu une faiblesse chez elle ou plutôt chez ses adeptes ou « utilisateurs ». mais il ne tient qu’à nous de ne pas tomber dans ce piège. Sans rejeter, et c’est là où je veux en venir, l’incroyable apport de ses méthodes de connaissance. (méthode inductive citée ci-dessus)

            3. j.ax

              Il ne s’agit pas de « tel ou tel évènement », ni d’une histoire de vieux parchemin, mais bon. Et je ne pense pas qu’un tel bonhomme aurait été insensible à ces découvertes de la science moderne, et à ce qu’il aurait pu en retirer pour sa pensée et sa vie d’homme.

              « J’ai l’impression que vous ne savez pas de quoi vous parlez »
              Effectivement, oui. Au risque de me répéter: je me fous pas mal de Nietzsche. Comme je me contrefous d’une « réponse chrétienne à Nietzsche ». Mais mon commentaire initial n’était pas à propos de Nietzsche.
              En effet donc je ne me souviens pas de quoi que ce soit sur l’histoire chrétienne… (rien que sur la « naissance de l’Eglise contre l’Evangile », cela dit, c’est faux). Plus généralement, les connaissances ont quand même légèrement évolué depuis 150 ans, et Nietzsche était un scientifique au départ, non? Un scientifique ne raisonne pas indéfiniment dans l’abstrait sur des données fausses ou périmées, un poète non plus d’ailleurs.

  11. Gil

    Xyr,

    FN ne dit-il pas souvent que l’illusion est une nécessité de la vie ? ne compare-t-il pas quelque part (Crépuscule ou Antéchrist) l’Ancien Testament et les lois de Manou, à l’avantage de ces dernières, bien sûr, mais pour dire qu’elles aussi sont le fruit d’une illusion, qu’elles sont la traduction religieuse d’une expérience accumulée, une expérience fondamentalement bonne certes, mais traduction (donc illusion) quand même, et nécessaire à la stabilité d’une grande civilisation ?

    J’ai un problème « circulaire » avec FN, c’est qu’il ne veut s’illusionner sur rien, et donc il veut ce monde et rien que ce monde, et pour cela le voir sans illusion. Mais une des conditions nécessaires de cette vie (de la vie), et donc de ce monde, selon lui, c’est l’illusion.

    Il semble d’ailleurs parfois lui-même reconnaître qu’il est dans une impasse, et ce dès certains paragraphes d’Aurore ou du Gai savoir; il semble parfois dire : j’ai détruit toute métaphysique, toute illusion; dès lors, comment vivre ?

    Et puis dire : « que l’homme est minuscule et éphémère, et qu’il n’est jamais plus grand que lorsqu’il en a pris acte, et que ce constat le rend non pas fuyard mais heureux », ça reste à voir. Ne vous ILLUSIONEZ-vous pas un peu, vous aussi ? N’est-ce pas le genre de phrases séduisantes que vous récusez ?

    Moi aussi, je me suis senti plus heureux un moment en découvrant FN, C.Rosset etc. Ensuite, le monde recommence, ou plutôt le caractère de chacun reprend le dessus… (je ne conteste pas que vous ou d’autres puissiez vous sentir heureux, mais je crois que la majorité ne supporte pas ce genre de découverte, voire même finissent par se flinguer – là encore, si c’est la vie en ce monde, la seule vie qui existe, qui compte, ne doit-on pas favoriser l’illusion ?)

    1. xyr

      Ne vous ILLUSIONEZ-vous pas un peu, vous aussi ? N’est-ce pas le genre de phrases séduisantes que vous récusez ?

      C’est peut-être vrai aussi, et c’est une très bonne réaction de votre part.

      « la majorité ne supporte pas ce genre de découverte, voire même finissent par se flinguer – là encore, si c’est la vie en ce monde, la seule vie qui existe, qui compte, ne doit-on pas favoriser l’illusion ? »

      Et bien non, c’est là le sens du « Que périssent les faibles et les ratés, nous devons même les y aider » !

      Non évidemment, les légendes et les mystères ne sont pas mauvaises en soi, elles peuvent être une condition favorable à la vie et à la santé. Mais ce n’est pas le cas du christianisme, ce magnifique nihilisme, et c’est bien ce dont parle XP quand on le connait.

      Et c’est précisément parce que c’est un texte d’XP que j’y réponds de la sorte. J’aurais pu me contenter de dire « Très beau texte » et je n’aurais pas menti, mais je sais que ce talentueux garçon n’est pas qu’un lyrique, qu’il aime dépouiller la réalité pour essayer d’en voir le squelette, qu’il peut faire des découvertes en philosophie précisément parce qu’il a l’esprit sec et dur d’un banquier ou d’un vendeur qui aurait réussi dans ses affaires.

      A partir de là je ne fais que lui demander s’il n’y a pas une contradiction entre ce regard qu’il veut froid et viril d’un côté, et la magie du style de l’autre, que le métaphysicien en lui tue le véritable scientifique.

      Pour Nietzsche il a développé son propre « système » de valeurs, avec d’énormes guillemets, car ses concepts de surhomme, d’éternel retour et d’univers mû par les collisions de volontés de puissance à l’avantage, qu’on y « croit » ou non, de ne pas aller chercher ses perspectives ailleurs, dans un autre monde. S’il est illusoire, il l’est beaucoup moins que tout ce qui s’est fait avant lui. On a le droit de garder des illusions confortables, mais je doute qu’on puisse dès lors prétendre à la moindre volonté de percer quoi que ce soit. Nietzsche disait qu’on peut presque mesurer la force d’un esprit au degré de travestissement de la réalité dont il a besoin pour ne pas tomber en dépression, justement.

      1. Gil

        « les légendes et les mystères ne sont pas mauvaises en soi, elles peuvent être une condition favorable à la vie et à la santé. Mais ce n’est pas le cas du christianisme, ce magnifique nihilisme »

        Oui, je me doutais que vous partiriez par là^^

        Bon, dois y aller.

  12. Nebo

    Nietzsche considère surtout les prêtres juifs du Premier Temple comme des génies. Et les juifs de la Mittel Europa comme une pièce essentielle à la Civilisation Européenne en devenir.

    De même, il n’aime pas le christianisme de son temps mais a une nette préférence pour Rome et la Catholicité. Nietzsche est un homme du Sud, un méditerranéen grec perdu dans les brumes de la forêt noire allemande et il en a souffert toute sa vie.

    Mais Nietzsche a tout dit et son contraire. Penser entièrement c’est être prêt à penser contre soi-même… ce qu’il a été, probablement, le premier à faire depuis les pré-Socratiques… avec une petite aide de Montaigne et des moralistes français, qu’il admirait plus que tout… ils lui faisaient regretter de ne pas écrire en français…

    Il est impossible de lire un seul livre de Nietzsche et de penser qu’on connaît sa pensée. Il faut tout recontextualiser sans cesse si on veut avancer sur son terrain. Lui-même EXIGE de ses lecteurs qu’ils possèdent l’art très rare de la RUMINATION… pour ne pas cligner des yeux comme le dernier homme devant la vache bariolée

    1. Gil

      « Mais Nietzsche a tout dit et son contraire. Penser entièrement c’est être prêt à penser contre soi-même ……

      Il est impossible de lire un seul livre de Nietzsche et de penser qu’on connaît sa pensée. Il faut tout recontextualiser sans cesse si on veut avancer sur son terrain. » (Nebo)

      Oui mais voilà : chaque fois qu’on parle à un nietzschéen, ça finit comme ça^^

      Et d’ailleurs, ces deux propositions sont contradictoires : si l’on suit la première, la « pensée » de FN est bien contradictoire, il n’y a donc pas de pensée nietzschéenne (au sens d’un tout organique). Selon la deuxième, si il y a une pensée nietzschénne, même si elle est dure à capter dans son ensemble.

      Bref : chaque fois qu’on expose une contradiction inextricable de la pensée de FN, on s’entend répondre que c’est normal, FN ayant « tout dit et son contraire ». Comme si ça réglait le problème (tel ou tel problème dont on prétend que FN l’a réglé définitivement).

      Eh bien d’accord : il a tout dit et son contraire. Mais alors il faut admettre qu’il n’a pas réglé, par exemple, le problème de la métaphysique ou des « arrière-mondes », que sa pensée est souvent circulaire etc. Ce qui n’enlève rien à son génie, bien entendu.

  13. Gil

    Je fais un détour par Cl.Rosset (ou plutôt les souvenirs que j’en ai), et je reprends sa classification entre penseurs « naturalistes » et penseurs « anti-naturalistes » : selon Rosset FN est un penseur anti-naturaliste, IE qui ne croit ni en Dieu, en la Nature ou en un quelconque ordre (visible ou accessible en tout cas) qui règle le cosmos etc. Et qu’il est logique que sa pensée (et son style) soient de type fragmentaire, et contradictoire.

    Le seul vrai « message » cohérent de FN serait dans cette fragmentation en apesanteur. Soit.

    Mais alors il faut admettre aussi qu’aucune vérité définitive ne puisse sortir d’une telle « pensée » (plus : que la « vérité » définitive de FN, c’est qu’il n’y a pas de vérité définitive). Et pourquoi pas ? On retrouve en effet là le génie d’un Montaigne, d’un Gracián ou d’un Gorgias… çe ne les empêche pas d’être géniaux. Mais entendre tirer des conclusions définitives de FN me laisse toujours dubitatif. (Et en effet, concrètement, il me semble difficile de ne pas buter constamment, quand on lit FN (sur plusieurs livres, ou juste sur un seul) de ne pas buter constamment sur des contradictions, raisonnements circulaires etc.)

  14. Nebo

    Cher ami, Nietzsche déteste l’idée même d’une « pensée définitive »… tout roule et va à son accomplissement… c’est-à-dire à son changement… et c’est la raison pour laquelle il méprise son époque et l’époque qui va lui succéder (il la voit venir de loin avec ses gros sabots pleins de merde), époques nihilistes et sans saveur, aptes au massacre et au « casque à pointe allemand », ce sont les mots de Nietzsche en personne.

    Nietzsche n’est aucunement un penseur à système, mais je ne connaît pas votre Cl.Rosset, en attendant Nietzsche croit que c’est Volonté de Puissance qui est le moteur de la vie, de la fleur qui s’épanouit vers son soleil, à l’individu qui (parce que capable de conscience) prend la mesure de la chose et parvient à se libérer de ses entraves morales, familiales et généalogiques et à se modeler lui-même en devenant créateur de soi. En ce domaine il doit énormément à la Paidéia grecque antique (voyez Werner Jaeger), à l’homme capable de Virtù.

    Il y a deux « races », pour Nietzsche, sur terre : les maîtres et les esclaves. Les maîtres sont peu nombreux et ils ne cherchent même pas à dominer, ils veulent juste parvenir à leur accomplissement et pour cela le but en lui-même ne compte pas vraiment, ce qui importe c’est le parcours, le voyage (« Le Voyageur et son ombre ») et la maîtrise constante de son instinct, de ses pulsions, leur divinisations. Les esclaves non seulement ne se maîtrisent en rien, mais étant le Grand Nombre, chargé de ressentiments de toutes sortes, inconscients de leurs chaînes, ils passent leur temps à exiger la vengeance, la prise de pouvoir, etc… et ce sont bien eux qui règnent aujourd’hui aux quatres coins du Globe.

    La Vie dans son ensemble est une gigantesque contradiction, une guerre perpétuelle entre diverses tendances. Dés son premier livre, (« La Naissance de la Tragédie »), le jeune Nietzsche tente de mettre en opposition les dieux Dionysos et Apollon :

    http://fr.wikipedia.org/wiki/La_Naissance_de_la_tragédie#Dionysos_et_Apollon_:_deux_forces_fondamentales

    La Métaphysique est bien réglée, chez Nietzsche, dans le sens où il pressent bien que tous ceux, fussent-ils chrétiens, socialistes ou anarchistes, renvoient leur idéal à des arrières-mondes, à des lendemains qui chantent ou à des Paradis à venir. Les chrétiens de son temps sont déjà atteints, depuis un moment déjà, par la moraline et celle-ci, bourgeoise, a empoisonné les idéaux révolutionnaires également. Alors que si le Christ a bien dit que son Royaume n’était pas de ce monde, il a bien demandé à chacun de vivre ICI et MAINTENANT, sa Révolution spirituelle et de dire, comme Nietzsche, « oui » à la vie…

    http://incarnation.blogspirit.com/archive/2011/09/23/oui.html

    http://incarnation.blogspirit.com/archive/2011/10/12/ne-soyez-pas-effrayes-car-il-faut-que-ces-choses-arrivent.html

    Nietzsche est bien antichrétien, par exemple, mais de quel christianisme parle-t-il ?

    Il a bien dit que « Dieu est mort » mais en précisant que c’était l’Homme qui l’avait tué.

    Il a bien précisé que ce qu’il réfutait, avant toute chose, c’était le Dieu moral. Or l’apôtre Paul dit que lorsque l’on a l’Amour, la Loi est inutile.

    Tout n’est que paradoxe, chez Nietzsche, et il faut l’avoir pratiqué comme un pote durant 20 ans pour se rendre compte de ce genre de petites choses qui sont tout sauf manichéennes. ^^

    1. Gil

      Bon, je ne vais pas vous fatiguer de nouveaux commentaires; ayant un peu pratiqué FN moi aussi, je trouve votre vision à la fois personnelle et juste. Il est sûr qu’il y a une base « ferme » dans la pensée nietzschéenne, qu’on peut tracer à peu près.

      Mais à nouveau : à partir du moment où l’on reconnaît à FN le statut de penseur contradictoire et paradoxal, il faut en prendre acte jusqu’au bout, et ne pas reprocher à ceux qui pointent le doigt sur telle de ces contradictions inextricables (en tout cas non démêlées par FN, volontairement ou pas) de le faire, et régler la question en disant que FN est un penseur contradictoire, et qu’il faut donc accepter ces contradictions sans plus.

      (ce n’est pas tant une critique de Nietzsche, d’ailleurs, que des nietzschéens)

      Bonne soirée !

  15. xyr

    Ce que dit Nebo est intéressant.

    J’ajouterais pour Gil que l’œuvre de Nietzsche possède une incroyable cohérence, dans sa dynamique de la volonté de puissance, mais que cette cohérence ne s’offre pas à nous comme ça, de manière évidente. Il a très bien compris qu’il est vain d’écrire pour prouver quelque chose, avec grand 1, grand 2, puis CQFD. C’est un peintre qui ne fait que donner un coup de pinceau ici, puis là, parce que c’est le maximum que l’on puisse faire si l’on veut se rapprocher du tableau.

    Nietzsche ne passe pas qu’au-dessus du bien et du mal mais de valeurs encore plus ancrées que celles-ci, la façon dont un esprit comprend une idée, la cause et la conséquence, le but, la cohérence, c’est toute la grammaire, toute la structure mentale que Nietzsche bouleverse. Il faut une grande liberté pour ne serait-ce que pouvoir le lire vraiment. Cela demande du temps.

    1. Gil

      « Ce que dit Nebo est intéressant……..J’ajouterais pour Gil que l’œuvre de Nietzsche possède une incroyable cohérence »

      c’est trop facile d' »ajouter »… Nebo nous dit que N. a dit tout et son contraire. Là vous parlez d’une grande cohérence. Il faudrait expliquer. Il faudrait aussi parler du point précis que je soulevais, celui de l’illusion.

      Je crois que les nietzschéens me fatiguent, en fait^^ Ils disent tous savoir exactement ce dont il retourne, l’ont tous lu longuement et avec une grande liberté… et pourtant ils ont tous leur version^^

      Moi,que dis-je ? Que N. est un génie, mais qu’à force de génie il en arrive à des contradictions intenables. Ma foi, c’est peut-ètre que l’intellect humain ne peut aller plus loin. Mais ça ne doit pas empêcher de le dire.

      Tiens, un autre truc : la Volonté de puissance. Est-ce un arrière-monde, puisqu’elle semble unifier tous les comportements ? Même si c’est purement biologique, pourquoi est-ce là ? Etc.

      Quant à « la structure mentale que N. bouleverse entièrement », je suis d’accord : c’est même le génie psychologique de N. qui m’a le plus frappé dans mes dernières relecture. Mais ça ne change rien à mes objections.

  16. vlad tepes

    @ Madame La Crevette

    « Et le fait de vivre pleinement, entièrement, absolument sa vie, de ne négliger rien des choses terrestres, d’en profiter au maximum est une façon à mon sens -si ce n’est la seule- de réussir sa… mort et donc son passage vers un Au delà. (auquel vous pouvez croire ou pas). »

    Magnifiquement bien dit.
    Cette (ces) réflexion(s) ne peut m’empêcher de songer à une des dimensions qui anime le débat sur la peine de mort aux USA.
    Il y a un argument, défendu par nombre de partisan aux US, et qui fait hurler de rire (jaune) quasiment tous les plus ou moins soi-disant intellectuels français (et probablement aussi tous les GVD américains), qui consiste à dire que l’application du châtiment suprême permet au criminel de se repentir, de prendre en compte le mal qu’il a fait, d’être en paix avec lui-même, et dans la bouche des évangélistes d’être prêt à aller à Dieu.
    Mais en même temps, ces abolitionnistes qui rient à pleine gorge qu’une exécution puisse faire comprendre à un criminel la gravité de son acte juste avant de le tuer, utilisent avec abondance l’un des seul argument qui à mon avis est recevable et estimable de la part des anti-PdM: le fait que très souvent (pour ne pas dire quasi-systématiquement), l’homme qui est exécuté n’est pas le même que celui qui a fait couler le sang.
    Or, qu’est-ce qui produit un si grand effet sur des gens qui ont été capables du pire, et qui semblent si irrécupérables au moment de leur arrestation, si ce n’est le fait de savoir qu’ils vont prochainement mourir, et qu’ils connaissent le moment exact? Ces hommes, dont les exactions n’ont fait que démontrer au final qu’ils ont vécu leur passage sur terre comme une profonde souffrance, trouvent enfin la paix avec eux-mêmes, pour la première et seule fois de leur vie. Cela, même un athée peut le comprendre.

    L’apport essentiel du christianisme, c’est qu’il apporte une réponse individuelle à l’existence et à ses suites, à des questions que quoi qu’il arrive, tout le monde est obligé de se poser un jour. Le christianisme, c’est avant tout ce moyen de se dire que l’on peut partir en paix. Certains le trouveront dans les écritures, d’autres non, peu importe, de toute façon très peu auront la chance de vraiment y arriver.
    Se dire que le but de la vie est de préparer la mort, c’est avant tout s’obliger à prendre le monde tel qu’il est, à chercher à percer les mystères par la recherche constante de la réalité. Ne pas penser ça, c’est se condamner à vouloir briller pour briller, à passer son existence à tenter d’accomplir. La base du totalitarisme et des camps de concentration.

    Je dis toujours à mon oncle que les lapins ne sont jamais autant musulmans que quand ils construisent des statues pour Mère Thérésa. Il me prend pour un demeuré, mais il sait très bien que j’ai raison. D’ailleurs je n’en parle jamais de cette souris là, le voile lui va très bien.

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