Pourquoi il se gênerait ?

« C’est le morceau de sucre qui aide la médecine à couler, la médecine à couler… » (Mary Poppins.)

Moi, j’aime bien Sarkozy.

Je lis Sarko m’a tuer. C’est une galerie de portraits amusante, où l’on voit à au moins deux reprises de hauts fonctionnaires de la PP expliquer qu’ils intervenaient régulièrement pour régulariser la nounou des enfants d’un tel ou le jardinier arabe de tel autre. Quand on y ajoute les policiers de gauche qui se plaignent qu’on ait flingué leur police de proximité, un juge moine-soldat de sa propre cause ou le calamiteux Idéal du Galouzeau, cela suffit à dire si la galerie de victimes m’a fait ressentir pour eux une sympathie exacerbée…

Mais ce n’est pas vraiment le problème, ni ce qui me fait bien aimer Sarkozy tout compte fait.

Ce que je trouve réjouissant chez cet homme, c’est précisément la brutalité qu’on lui reproche. C’est justement qu’il se comporte comme un voyou ou un parrain. C’est précisément cette foudre qui tombe en faisant fi des convenances, des papiers administratifs, en bousculant les habitudes des corps constitués, en faisant trembler et en scandalisant toute une insupportable nomenklatura de gens importants engoncés dans des habitudes de bonne compagnie et des routines légalistes dont ils ont l’air de croire qu’elles dureront encore cinquante siècles tant elles sont excellentes.

Déjà ça avait été quelque chose qui m’avait fait voter contre Royal : Sarkozy n’était pas de ce monde d’énarques, de ronds-de-cuir en chef, d’invertis mondains du Quai d’Orsay ou de juges en hermine… alors que Royal, elle, profondément, appartenait quand même à cette engeance.

J’accorde qu’il abaisse la fonction présidentielle. C’est même pour ça que je l’aime bien. Toutes ces apparences pompeuses, ces manières qu’a l’État de prétendre qu’il a droit au respect pour lui-même, c’est insupportable ; cette rhétorique foireuse où cette salope de Marianne s’est coulée alors qu’elle a détruit la société monarchique qui la justifiait tourne maintenant complètement à vide. Par l’exercice d’une certaine brutalité politique, Sarkozy le montre, le met en évidence, l’incarne au plus haut de l’État.

Chacun sait bien que derrière les grands discours sur le vivre ensemble, sur la République, sur l’État de droit, sur les représentant du peuple, sur la solidarité ou sur le bien commun, derrière les principes électoraux et démocratiques, il n’est question que de rapports de force. Mitterrand le disait. Sarkozy le montre.

Chacun sait bien que sans ses instances de répression, ce bel édifice qui affirme poser sur la conscience universelle et les principes les plus sacrés serait saccagé en trois jours. Et qu’il ne tient donc, derrière les conneries pompeuses, que par la force et son usage brutal, ou du moins la possibilité de cet usage.

« Et pourquoi je me gênerais ? » est paraît-il l’une des phrases que Nicolas Sarkozy répète souvent. Et c’est — tout simplement — vrai : pourquoi il se gênerait ?

Alors, à tout prendre, oui, je préfère qu’on m’extorque mon impôt ou qu’on réduise mes libertés quand cela s’incarne dans un chef de l’État qui, d’une certaine manière qui tient au symbolique, expose au jour, par son comportement personnel — c’est ça le « truc d’incarner » —, la réalité, les tripes du régime : sa violence foncière. Je préfère que ce soit clair : s’il n’y avait pas, de la part de l’État, la menace d’une violence physique, je me défendrais contre ceux qui viendraient me voler ou me dire arbitrairement comment je dois me comporter.

Je ne dirais pas que j’y trouve quelque consolation, mais une certaine jubilation faite de lucidité et de dévoilement. La jubilation des baudruches qui éclatent et des vases chinois hideux qu’on pousse par terre. Je trouve un certain plaisir, même trouble, à ce que le Président de la République se comporte comme ce qu’il est : le chef d’une bande de voleurs plus malins que les autres, qui ont entrepris de s’appeler l’État pour échapper à toute punition en s’octroyant le monopole de la violence légale.

Exactement comme je préférerais un voleur de grand chemin qui ne prétendrait pas me faire la morale pour me démontrer combien son vol est doux, magnanime, en s’entourant d’un apparat qui ne viserait qu’à me prendre pour un con en plus.

Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi autant de mes contemporains semblent mieux accepter le vol légal qu’est l’impôt ou la privation de liberté quand c’est fait avec une certaine dignité dans les actes du voleur en chef, en respectant des formes réputées vénérables, ou pourquoi cela leur paraît plus acceptable quand celui qui incarne le régime s’entoure de toute l’habituelle quincaille républicaine, étatique, nationale et présidentielle. Au point que, quand cet apparat manque, le seul reproche qu’ils font, c’est qu’on les en prive. Ce qui leur est intolérable, c’est qu’on leur fasse violence sans y mettre les formes qui leur permettent habituellement de l’accepter plus facilement en collectivité, de rationaliser tout ça.

L’attitude de Sarko, quand il tue ses ennemis, a l’avantage de montrer de quoi est réellement faite en dernière analyse notre organisation sociale et politique : de violence.

Quitte à avoir à la tête de l’État un président qui l’incarne, je préfère qu’il l’incarne bien. Je trouve même que d’une certaine manière, ainsi, on progresse.

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À propos Nicolas

« Fabrice les entendait qui disaient que le diable était sur la toit, et qu'il faillait essayer de le tuer d'un coup de fusil. Quelques voix prétendaient que ce souhait était d'une grande impiété, d'autres disaient que si l'on tirait un coup de fusil sans tuer quelque chose, le gouverneur les mettrait tous en prison pour avoir alarmé la garnison inutilement. Toute cette belle discussion faisait que Fabrice se hâtait le plus possible en marchant sur le toit et qu'il faisait beaucoup plus de bruit. Le fait est qu'au moment où, pendu à sa corde, il passa devant les fenêtres, par bonheur à quatre ou cinq pieds de distance à cause de l'avance du toit, elles étaient hérissées de baïonnettes. Quelques-uns ont prétendu que Fabrice, toujours fou,  eut l'idée de jouer le rôle du diable, et qu'il jeta à ces soldats une poignée de sequins. Ce qui est sûr, c'est qu'il avait semé des sequins sur le plancher de sa chambre, et qu'il en sema aussi sur la plate-forme dans son trajet de la tour Farnèse au parapet, afin de se donner la chance de distraire les soldats qui auraient pu se mettre à le poursuivre. »

25 réflexions sur « Pourquoi il se gênerait ? »

  1. NOURATIN

    C’es même une devise, ça, « pourquoi je me gênerais? ». Bien sûr, le voyou
    franc et massif garde un petit côté sympa en dépit de ce qu’il nous fait
    subir, d’autant que les autres se révèleront encore bien pires avec le
    côté moralisateur encore plus accentué, pour agrémenter.
    A tel point que lorsqu’il se sera fait virer nous le regretterons certainement.

      1. nicolasbruno

        Bof… C’est au contraire ce que je lui reprocherais, de manquer de violence.
        De revenir sur les baisses d’impot sous la pression du politiquement correct, de rajoûter de la loi à la loi, de faire beaucoup de bruit pour pas grand chose. Il a aujourd’hui une occasion unique de lancer les reformes qui font mal dans un contexte de cris majeure et il ne fait rien pour raison électorale, pareil que les autres finalement.
        Jolies jambes la Marine, je craois que je vais voter pour elle même si elle dit beaucoup de conneries.

        1. XP

          Si vous vouliez voter pour des jambes, alors il fallait voter pour Ségo aux primaires, mon ami…

          Moi, ce que j’aimais bien, chez Ségo, c’est quand elle sortait dde sa voiture les deux genoux bien rapprochés, en posant les deux pieds parterre en même temps… Elle maitrisait parfaitement le geste et c’était… très joli.

          1. nicolasbruno

            Vous avez raison, mais je suis convaincu qu’aspects physique et mental sont intimement liés. Et j’ai la même répulsion pour le visage de Ségo, que pour celui d’une Duflot d’une Aubry ou d’une Eva Joly. Allez savoir pourquoi. Et comme vous pouvez le constater, je ne m’arrete pas qu’aux jambes.

            1. XP

              « Et j’ai la même répulsion pour le visage de Ségo, que pour celui d’une Duflot d’une Aubry ou d’une Eva Joly. »

              Ah bon…

              Le seul truc de bien chez Duflot, quand elle crie pas, c’est sa voix de bébé… Sur France-info, et si on fait pas attention à ce qu’elle raconte ca passe, c’est mignon.

  2. Gil

    Il s’est aussi envoyé en l’air avec la princesse de C. ? non mais quel salaud, vraiment…

    Une objection, quand même : une partie essentielle des « rapports de force » consiste quand même à les cacher, ces rapports de force (Machiavel, toussa). Au peuple, mais aussi à ses pairs. Plus on cache sa puissance, plus on est fort. Sous cet angle, et surtout si Sarko ne se révèle être qu’un social-démocrate comme les autres, il se plante. C’est donc plutôt un faible.

    Drôle de paradoxe : vous semblez le trouver sympa parce qu’il incarnerait de manière plus réelle la violence de l’État, en fait je crois que vous le trouvez sympa parce qu’il l’incarne bien moins, parce que vous le sentez finalement plus faible qu’un Mitterand ou un Chirac.

    (pour filer la métaphore du bandit de grand chemin, celui qui vous prend pour un con, vous fait la morale et se rend populaire auprès des pauvres et des inutiles est bien plus impitoyable, plus fort, que le bandit qui ne vous ment pas – ni se ment à lui-même)

    1. Gil

      Je crois que le problème, c’est le terme « incarnation ». NS MONTRE la violence de l’Etat, il ne l’incarne pas (pas vraiment). Et en plus montrer cela est une faiblesse (c’est bien ce qu’on lui reproche à droite comme à gauche d’ailleurs : la forme).

      Si le but de son mandat est une démonstration libérale pour laquelle il accepte de se sacrifier, OK. Mais j’en doute^^

      1. Nicolas Auteur de l’article

        C’est pourtant ce qu’on lui reproche : d’incarner mal. Et le « truc d’incarner » est évidemment une référence à Céline, qu’il ne devrait pas être besoin de préciser à notre lectorat d’élite 🙂

  3. UnOurs

    Je me pose une question.
    Est-ce-qu’on se réjouit ici que Sarkozy désacralise la fonction présidentielle, parce que ladite fonction a été ou sera représentée par des baltringues ou parce que la figure du chef, avec ses attributs et son comportement particulier, est ridicule par nature? Ce qui serait assez étrangement paradoxal sur un site où l’on éprouve des vapeurs à la vision de grosses casquettes, de mentons tendus et de lunettes noires.

    En gros, la même question que par rapport au souverainisme. Moque t-on ici le souverainisme, parce que ce positionnement est défendu par des pitres sur des aspects secondaires ou bien parce que l’on préfère se soumettre, en supplétif docile, en domestique consentant, à un pouvoir extérieur que l’on juge supérieur?

    1. Nicolas Auteur de l’article

      Rappelons qu’Ilys n’a pas de ligne éditoriale, encore moins politique.
      J’avoue volontiers donc, personnellement, un problème avec l’autorité, en tant que telle. Et encore plus quand elle s’entoure d’une demande de respect inconditionnel. Disons que le chef vaut ce qu’il fait. Quand il s’appelle Reagan, Thatcher ou Pinochet, j’aime bien. Mais sur un mode presque affectif d’un part et tout rationnel de l’autre, où le respect des institutions, du drapeau et des rubans rouges à la boutonnière et tout ça n’entre pas. Quand il s’appelle Sarkozy j’aime bien, encore que beaucoup moins, pour les raisons ici évoquées. Quand c’est un quelconque étron social-démocrate, hein… bof…

      Cet été à Rimini , passant près d’un des plus grands hôtels de la ville, je demande à une petite dame hors d’âge sur le pas des sa boutique — ou sans doute le pas de la boutique de sa fille —, ce qui se passe en voyant des cars de police. « Dev’essere un grosso stronzo » : c’était en effet Napoletano qui passait dans le coin pour je ne sais quel congrès d’élus. J’aime beaucoup le sens politique des petites commerçantes hors d’âge.

      Pour l’autre partie de la question je laisse se dévouer XP s’il veut. Perso je dirais seulement que ce qui m’a toujours rendu Vichy insupportable ce n’est pas la collaboration, mais le recours à ce nationalisme de décor d’opérette, où l’on a pu voir, par exemple, les civils de la Légion défiler avec des casques gaulois en carton. Esthétiquement, le nationalisme français a presque toujours été à chier.

  4. Gil

    « Ce que je ne comprends pas, c’est pourquoi autant de mes contemporains semblent mieux accepter le vol légal qu’est l’impôt ou la privation de liberté quand c’est fait avec une certaine dignité dans les actes du voleur en chef, en respectant des formes réputées vénérables, ou pourquoi cela leur paraît plus acceptable quand celui qui incarne le régime s’entoure de toute l’habituelle quincaille républicaine, étatique, nationale et présidentielle. Au point que, quand cet apparat manque, le seul reproche qu’ils font, c’est qu’on les en prive. Ce qui leur est intolérable, c’est qu’on leur fasse violence sans y mettre les formes qui leur permettent habituellement de l’accepter plus facilement en collectivité, de rationaliser tout ça. »

    Très juste. Mais à partir du moment où vous avez fait cette constatation (peu importe que vous ne compreniez pas pourquoi les gens sont comme ça), vous devriez reconnaître que Sarko se plante. S’il était vraiment fort, il donnerait aux gens « l’apparat » qu’ils demandent. Et passerait par en-dessous de bonnes réformes libérales. Il fait le contraire (cf. ce que dit Nicobruno plus haut).

    Ce que vous aimez en lui, c’est qu’il symbolise ce que VOUS avez compris de l’État (et que je partage, hein). Mais les gens ne comprendront pas le symbole. Pour eux, Sarko ne symbolise que lui-même, et pis encore, il symbolise le contraire de l’Etat (« leulibéralisme » etc).

    Alors c’est une satisfaction personnelle, oui, mais au final, à quoi bon ?

  5. UnOurs

    Quand il s’appelle Reagan, Thatcher ou Pinochet…
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    Reagan, belle plume, sens de la formule, mais creuseur assidu de déficits et grand régularisateur de Latrinos.
    Pinochet, trop à gauche pour moi, d’ailleurs Allende était plus nazi que lui.
    Thatcher, pas trop mal, surtout récemment quand elle critiquait le libéralisme des élites économiques britanniques en matière d’immigration allogène.

    P.S. merci XP de m’avoir épargné la vision d’un sketch de Fernand Raynaud. J’ai en effet de trop mauvais souvenirs de sa saynète visant à légitimer la libre-circulation en France des boulangers algériens (la même que celle des croissants?).

    1. Nicolas Auteur de l’article

      Reagan : je rêve d’entendre dans une campagne française des trucs comme « Quand votre voisin perd son job, c’est une récession, quand vous perdez votre job c’est une dépression, quand Carter perd son job, c’est la reprise. » Ca nous changerait des candidates qui reprochent à un bébé son prénom italien, ce qui n’était guère élever le débat…

      Pinochet : c’est quand même le seul exemple qu’on puisse suivre d’un pays qui est sorti de systèmes sociaux comparables aux nôtres, en particulier la retraite par répartition, en les tuant doucement et tranquillement.

      Thatcher : Elle restera toujours supérieure à n’importe quelle droite française par ce seul fait qu’elle avait compris, avec l’histoire du lait à l’école, que quitte à avoir des manifestants dans les rues, il fallait les y avoir pour quelque chose d’important, pas pour des queues de cerises. (La critique de l’immigration figure déjà en 91 dans le discours du Berlaymont.)

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