Pour l’IPJ

Reprenons le pacte 2012 pour la justice. On dit tellement de mal sur l’IPJ en ce moment, sur rue89, arrêt sur images et autres, qu’il me semble quand même obligatoire de rappeler une petite chose qu’on ne saurait leur enlever.

Le système judiciaire et ses acteurs se retrouvent très loin d’une bonne partie des français aujourd’hui. Nombreux sont ceux qui ne comprennent plus leur justice. Ils le disent à voix haute, ils le disent dans des sondages, ils le disent chez eux, dans la rue, dans les bistrots et jusque dans l’enceinte des palais de justice.

Ce n’est pas un putain de hasard si des ministres de la République ne prennent pas trop de gants pour taper de temps en temps sur certains acteurs de notre justice, ce n’est pas une fichue coïncidence de fou si Sarkozy proposait il y a encore peu d’introduire des jurys populaires pour les délits les plus graves.

Que les acteurs de la justice se reprennent sérieusement s’ils ne veulent pas que l’IPJ soit le seul à répondre à ce désarroi.

Car chacun sait qu’une justice qui n’est plus comprise par une majorité du peuple perd de sa légitimité. Cela ne saurait être tenable longtemps. Et, aujourd’hui, cette question n’est plus le seul problème des politiques. Pourquoi ? Parce que la magistrature a, contrairement à la tonalité des gémissements qu’elle pousse parfois, une marge de manoeuvre qu’elle n’a que jamais ou rarement eu dans l’histoire. Du JLD qui s’en aménage confortablement une en dépit des lois au JAP qui détricote les peines à sa guise en passant par les « juges correctionnels » qui possèdent une liberté quasi-totale en matière d’établissement de la peine dans le cadre très lâche de la loi, il faut constater que la tonalité de la réponse pénale est largement entre les mains de la magistrature. Démission des politiques ? Théories du droit farfelues ? Sans doute. Toutefois chaque français sent, même confusément, qu’on pourrait faire mieux. Et alors il faut les entendre, il faut entendre le CSM, etc. Pour comprendre que la magistrature est éminemment responsable de cette situation.

Les seuls qui y perdent vraiment sont les français.

Mais, reprenons le thèmes et propositions développées succinctement par l’IPJ dans son pacte, points par points, et essayons d’améliorer le package.

  1. Le premier point du programme de l’IPJ est aussi le plus problématique. Tout d’abord l’Etat n’a pas à garantir l’accès des victimes et/ou familles de victimes à un avocat qui deviendrait alors commis d’office. Il existe déjà assez de droits opposables ubuesques. Néanmoins, il convient de faciliter l’accès des victimes à l’aide d’un avocat, en aidant aux démarches visant à obtenir des aides financières. Ce qui n’est pas du tout la même chose.Ensuite, on ne voit pas pourquoi la partie civile devrait avoir la possibilité de faire appel. Il faut garder en tête qu’on rend justice au nom du peuple français. Que les parties civiles aient le droit de faire valoir leur point de vue, c’est hautement souhaitable, mais ce serait un réel renversement de perspective que d’agir autrement.
  2. Concernant le deuxième point, dit de l’impunité zéro pour les attaques aux personnes, il faut rentrer dans une autre cohérence. Les peines plancher automatiques sont une bonne idée. Mais, elles n’ont de sens que si la proposition introduisant des jury populaire pour juger des délits les plus graves (et non pas la proposition visant à l’introduction des jurys populaires pour l’application des peines qui est, elle, une fausse bonne idée), c’est à dire ceux qui touchent justement aux personnes, finit par être abandonnée. En effet, l’idée qui devrait être privilégiée par l’IPJ est de redistribuer le pouvoir au peuple français avant de limiter la marge de manoeuvre des magistrats. Ce n’est que par défaut que des peines plancher automatiques (tout tient dans le automatique, et une récente votation Suisse permet de mesurer le fait que les peuples y sont tout à fait favorables) doivent être instaurées. L’IPJ ne dit rien de cette proposition visant l’introduction de jury populaires en correctionnelle.

    C’est dommage.

    Sinon, à défaut, le principe de ces peines plancher automatiques me semble éminemment souhaitable. Il m’apparait injuste de faire payer (médiatiquement) à un magistrat le fait qu’un délinquant récidive. Il m’apparait donc tout aussi absurde de lui laisser une quasi totale liberté dans la fixation de la peine en cas de récidive en matière délictuelle. La société, si elle ne peut faire reposer la responsabilité sur les épaules des magistrats, a sa part de responsabilité à prendre. Cela peut passer par des jury (il vaudrait mieux) ou cela peut passer dans l’établissement d’une peine plancher automatique.

  3. Le troisième point concerne l’application effective des peines. Il n’y a pas grand chose à dire sur la prison. Il en faut plus. Déjà parce que les conditions de vie des détenus sont déplorables et non supportables. Ensuite parce que la surpopulation ne permet pas de séparer les populations. Je ne vois guère d’avantages à ce que le petit voleur de voiture se retrouve à côté de l’agresseur. Ni pour le voleur de voiture, ni pour la société. Enfin, parce que, bien entendu, il convient que les peines de prison prononcées soient effectuées.

    Reste la question de l’application des peines. Vaste sujet. A mon sens, il convient déjà, là encore, de redonner un peu de pouvoir au peuple français, c’est à dire aux jurés, et donc d’en retirer un peu au Juge d’Application des Peines (JAP). Je pense, pour ma part, à la peine de sûreté. Celle-ci ne doit ne plus pouvoir être trafiquée par exemple (sauf cas exceptionnels, voir loi Kouchner par exemple). Et il convient, dans le même temps, que celle-ci puisse englober l’intégralité de la peine prononcée (on pourra donc voir du vingt ans de réclusion criminelle avec vingt ans de sûreté) et qu’elle soit applicable pour tous les crimes relevant d’une cour d’assise. Reste, après, à responsabiliser les jurés.

  4. Concernant le point sur les « criminels dangereux » (le terme est de l’IPJ), je suis en désaccord. Ce qu’il faut ce n’est pas une sorte de rétention de sûreté qui ne dit pas son nom, ce qu’il faut c’est des peines de prison qui peuvent aller jusqu’à perpétuité avec des peines de sûreté de trente ans. Il n’y a pas vraiment besoin d’en faire plus. Guy George ne sortira pas en 2020. Et s’il sort, il aura 57 ans. Ce n’est pas une garantie absolue. Mais aller plus loin me semble difficilement soutenable.
  5. Reste le cinquième point, c’est à dire l’élection du procureur. J’y suis pour ma part favorable. Bien entendu cela n’empêche pas d’autres biais que ceux qu’on peut constater actuellement. Mais dans notre situation actuelle… Quant à ouvrir au public plus largement, il n’y a pas grand chose à dire sur le principe, on peut même songer à y faire entrer les caméras plus souvent.

Bien entendu, tout ce qui précède sera inévitablement perçu comme un exercice prétentieux de ma part. Ce qu’il est. Et limité aussi. Il y a un tas d’autres sujets dont on pourrait parler, notamment la détention provisoire, mais pas uniquement, je pense à la garde à vue, la culture de l’aveu, etc.

Cependant, si la vidéo de l’IPJ avec Joël Censier fonctionne, il faut observer que des éléments de cette vidéo, jusqu’à sa présentation, fournissent de bonnes raisons à un tas de gens de se détourner de l’IPJ. Peut-être ceux qui seront rebutés par cette vidéo ne sont pas le public de destination de celle-ci. Mais je crois tout de même qu’il y a quelques erreurs grossières dedans. La communication de cette association se retrouve donc à la fois percutante et maladroite. Peut-être est-ce inévitable si on veut parvenir à se faire entendre. Mais le revers de la médaille, et c’est le plus tragique, revient dans le fait que les propositions de l’IPJ pourraient, en réalité et avec quelques menues modifications à mon sens, être encore plus largement partagées par la population française.

Les deux axes que j’aurais donné -dans mon génie incompris- à leur communication serait de rendre le pouvoir au peuple, au nom duquel la justice est rendue -et de responsabiliser ce même peuple.

Ce n’est pas aux victimes qu’il faut donner plus de pouvoir, c’est au peuple français.

Après je ne sais pas si la responsabilisation est un principe si vendeur que ça face à l’opinion publique, mais je crois que ça se tente.

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À propos Blueberry

Il faut pourtant qu’il y en ait qui mènent la barque. Cela prend l’eau de toutes parts, c’est plein de crimes, de bêtise, de misère… Et le gouvernail est là qui ballote. L’équipage ne veut plus rien faire, il ne pense qu’à piller la cale et les officiers sont déjà en train de se construire un petit radeau confortable, rien que pour eux, avec toute la provision d’eau douce pour tirer au moins leurs os de là. Et le mât craque, et le vent siffle, et les voiles vont se déchirer et toutes ces brutes vont crever toutes ensemble, parce qu’elles ne pensent qu’à leur peau, à leur précieuse peau et à leurs petites affaires. Crois-tu alors qu’on a le temps de faire le raffiné, de savoir s’il faut dire "oui" ou "non", de se demander s’il ne faudra pas payer trop cher un jour et si on pourra encore être un homme après ? On prend le bout de bois, on redresse devant la montagne d’eau, on gueule un ordre et on tire dans le tas, sur le premier qui s’avance. Dans le tas ! Cela n’a pas de nom. C’est comme la vague qui vient de s’abattre sur le pont devant vous ; le vent qui vous gifle, et la chose qui tombe dans le groupe n’a pas de nom. C’était peut être celui qui t’avait donné du feu en souriant la veille. Il n’a pas de nom. Et toi non plus, tu n’as plus de nom, cramponné à la barre. Il n’y a plus que le bateau qui ait un nom et la tempête. Est-ce que tu comprends, cela ? Créon, Antigone, Jean Anouilh.

17 réflexions sur « Pour l’IPJ »

  1. Le Plouc-émissaire

    S’agissant des « peines plancher automatiques », il y a une ambiguïté dont on aura du mal à sortir : juge-t-on des actes ou juge-t-on des personnes ? Des actes, bien sûr ! Enfin… Bisounours et Modernoeud n’ont pas leur pareil pour entretenir la confusion et touiller ça dans le sens qui les arrange au cas par cas … Abstraction faite de tout aspect moral, prendre en compte la personne – forcément du « mis en cause », pas de la victime – assure une formidable majoration de plan de charge juteuse pour l’emploi dans les professions judiciaires et une source de facturations « si ça passe, ça passe » pour les psychologues et experts de tout poils…

    Les actes ! C’est du concret et il y a un tarif ; point barre. Qui plus est, on accélère les procédures scandaleusement trop longues, pour le mis en cause comme pour la victime, et… on fait des économies…

    A ce propos, je me souviens de nos anciens papiers-monnaies : Ils portaient tous une mention en petits caractères. Sur nos vieux francs, il était écrit quelque chose comme « la contrefaçon est passible de réclusion criminelle à perpétuité » (avant c’était les « travaux forcés »…), ce qui se traduisait concrètement au pire par quelques années de prison… Sur les marks allemands que j’ai beaucoup manipulé était écrit ceci : « le contrefacteur sera puni d’une peine de privation de liberté qui NE SERA PAS INFERIEURE A TROIS ANS »… Et c’était vrai…
    Autre pays, autres mœurs…

  2. la crevette

    « Après je ne sais pas si la responsabilisation est un principe si vendeur que ça face à l’opinion publique, mais je crois que ça se tente. »

    Pas évident de tenter…C’est d’ailleurs ce qui est tenté en fait, d’une certaine façon, par cette association, par le biais de signature d’un pacte ou d’une pétition. Mais les gens aujourd’hui sont tellement persuadés que sans l’état on ne peut rien, que sans l’état le citoyen n’a aucune légitimité à ne serait-ce qu’évoquer des dossiers importants comme celui de la justice. On reproche beaucoup à l’IPJ justement de n’être qu’une assos de citoyens. Et les citoyens eux-mêmes sont les premiers à dire : « mais que fait l’état? » sans se dire : « que pourrions NOUS faire? » et « osons agir! » Les gens n’osent même pas imaginer qu’ils pourraient légitimement reprendre certaines fonctions fondamentales en main, qu’ils sont capables d’assumer certaines responsabilités justement. Et l’état freine des quatre fers ce genre d’initiative « citoyenne », l’état s’indigne et s’offusque que des gens « lambdas » osent dénoncer des dysfonctionnements.

    Pas évident de tenter et de réussir (parce que c’est cela qui est important) : il y a un peu -beaucoup- de cette forme d’endoctrinement dont parlait Dotchi9 sur Jet J jouent à la Stasi du Sorpasso : cet excellent commentaire :

    « Voilà, l’endoctrinement est avéré quand l’endoctriné ne se rebelle plus, ne met plus en question l’énormité de l’affirmation, mais la tient pour acquise et ne discutaille plus qu’à la marge.
    (…)
    C’est le problème de l’endoctrinement, on n’est plus capable de s’indigner d’un procédé, on entre directement dans le jeu, c’est un enfermement idéologique. C’est comme l’enfermement dans de faux dilemmes, les faux choix, tu préfères la lune ou le soleil, tout le monde démarre dans le benchmarking des mérites comparés de la lune et du soleil au lieu de dire ta question est sans intérêt. L’ENDOCTRINE NE SE REND PLUS COMPTE QU’IL EST ENDOCTRINE, il n’est plus capable de démasquer la posture du CAB. »

  3. nicolasbruno

    Message de présentation du collège-lycée Le Cevenol:

    « S’y sont rencontrés et ont travaillé ensemble élèves et professeurs de tous horizons géographiques, ethniques et religieux. Le climat d’ouverture, la recherche et les expériences pédagogiques, la qualité de la vie éducative, ont marqué tous ceux qui l’ont fréquenté. »

    On comprend mieux qu’un « climat d’ouverture » permette de donner leur chance aux « jeunes en difficulté », qui « cherchent à se réinsérer », qui ont « purgé leur peine », qui ont « payé leur dette » à la société. On comprend mieux que le Directeur de ce centre n’ait pas pensé à demander pourquoi ce jeune avait été déjà condamné pour viol et pourquoi aujourd’hui, ce n’est évidemment pas de sa faute, mais la faute de la justice, des psychiatres, de la police etc…

    1. Gil

      Tout à fait.

      En même temps, un collège rempli de raca… – pardon, de jeunes « aux parcours atypique » (dixit le dirlo ou l’un des responsables) de 23 nationalités différentes (BFM), on se demande un peu ce qu’y fichait une gamine blanche parisienne de 13 ans, même si elle avait des problèmes scolaires.

    2. la crevette

      Il faut écouter le directeur qui s’exprimait ce matin chez Yves Calvi sur RTL et proner » l’ouverture » aux jeunes laissés pour compte du système (sauf que là il ne s’agit pas d’échec scolaire mais de VIOL et MEURTRE!!!)avec des trémolos (verbeux) dans la voix. Le monstre, c’est pas seulement ce jeune récidiviste, c’est ce dirlo.

    3. Gil

      Allons, du calme, Crevette. Quand il est rentré dans ce collège, notre assassin n’était qu’un violeur. Froid et brutal, certes. Qui violait des mineures, oui bon.

      Mais il avait bien droit à un maximum d’ouverture et de tolérance, dans un collège à ciel ouvert, au milieu de la sérénité qu’apportent pleins de potes racailleux de 18-19 ans et de jeunes filles blanches de 12-13 ans. On se demande vraiment ce qui l’a incité à recommencer, et à tuer.

      1. XP

        C’est la faute à les jeux vidéos, à l’internet, à la pornographie ambiante, à l’économie du désir et au recul des services publics dans les quartiers.

        « Dans les quartiers populaires, Un postier en moins, c’est un violeur en plus »

        Jacques Sapir.

      2. Gil

        Ah oui, surtout que dans ce collège, ils devaient avoir droit aux jeux vidéo, internet etc. La direction est donc un peu coupable, finalement. Mais pas autant que les fabriquants de jeux vidéo.

        Quant à « l’économie du désir », cette formule m’excite.

        1. Gil

          Là, je vous demande sérieusement de vous calmer, Crevette, vous commencez à me faire peur. Ça devient intolérable. J’irai même plus loin : ça ne peut pas être toléré. J’ai peur de finir avec les Rougon-Macquard encastrés dans le crâne, moi.

    4. Gil

      Plus j’y pense, plus je me dis que c’est une victime du système (le tueur, pas la gamine). Les coupables sont, dans l’ordre : les parents de la gamine qui l’ont envoyée dans ce collège; les psy pour le « mauvais suivi »; la justice et police (idem); la gamine elle-même qui a bien dû aguicher le type d’une manière quelconque.

      Bon, les responsables sont peut-être un tout petit peu responsables aussi, voire le tueur lui-même, mais loin derrière. Hum.

      1. Blueberry Auteur de l’article

        Je trouve intéressant le concept de responsabilité si on lui adjoint le principe de légitimité.

        Personne n’est « responsable » de ce passage à l’acte, d’une récidive. Personne si ce n’est l’auteur des faits.

        Derrière, par contre, il y a des décisions qui sont prises. Relâcher untel ou untel avant la fin de sa peine par exemple.

        Et le gros souci se trouve dans le fait, une fois encore, que les gens qui prennent ces décisions, les JAP ici, sont non seulement irresponsables, mais surtout illégitimes.

        Quand vous êtes irresponsable, vous ne trafiquez pas, en tant que fonctionnaire de l’administration, des décisions rendues par le peuple français, qui est le seul totalement légitime. Je ne dis pas qu’un jury qui décide de ne donner que dix ans à un criminel qui, une fois sorti après dix ans, recommence, est responsable. Là encore, personne n’est responsable si ce n’est l’auteur des faits. Mais il est de la responsabilité d’un jury, parce qu’il est le seul totalement et vraiment légitime, de fixer une peine.

        Par là, détricoter cette peine, quand on a une légitimité inférieure et qu’on est par ailleurs irresponsable, est une hérésie.

        A la limite, si le JAP était élu par le peuple, là, il aurait une légitimité pour se faire.

        1. Gil

          Un JAP pourra vous discuter ce concept de « légitimité »… vous dire : en quoi un jury de glandus est-il plus légitime que moi ? Ça rejoint d’ailleurs votre propos dans l’article, mais je crois que la question de la légitimité ne pourra se résoudre que si l’on décide a priori, et nettement, en faveur d’une justice du peuple (le plus légitime est le jury), ou d’une justice de techniciens (le plus légitime est le juge, et de toute façon il est inévitable qu’il se sente plus légitime, et il se comportera en tant que tel).

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